- Italie
En Italie, le Buffon de Giorgia Meloni
Gianluigi Buffon, champion du monde 2006, a exprimé sans nuance son admiration pour Giorgia Meloni. Au-delà de l’indignation facile, sa prise de position nous indique que le foot est, lui aussi, tout à fait prêt à s’accommoder de la vague populiste qui déferle sur l’Europe.
« Elle représente la nation de la meilleure façon qui soit. Elle est au gouvernement depuis longtemps, c’est un accomplissement formidable. » Le soutien inconditionnel, et fondamentalement sincère, à Giorgia Meloni apporté par Gianluigi Buffon, indiscutablement l’une des légendes du calcio, s’avère révélateur de l’atmosphère actuelle en Europe. Autre fait significatif : cette déclaration a surtout été balancée lors de la visite de l’ancien portier de la Juventus et du PSG à l’Atreju, une sorte de fête partisane organisée par la Gioventù Nazionale, la branche jeunesse du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia.
Il s’y est rendu accompagné du ministre des Sports, Andrea Abodi. La présence de ce dernier n’est pas davantage étonnante. S’il se positionne aujourd’hui officiellement comme un « indépendant », il fut au lycée militant du Fronte della Gioventù, l’organisation de jeunesse associée à la droite post-fasciste italienne (Movimento Sociale Italiano), à une époque (les années 1970) où les descendants des chemises noires se préoccupaient beaucoup moins de leur dédiabolisation.
Bref, le lieu n’a rien d’anodin. D’autant plus que, par ailleurs, l’ancien portier de la Nazionale n’est pas un banal retraité qui s’exprime à titre personnel : il est encore chef de la délégation de la sélection italienne ! Cette allégeance d’une personnalité en poste au sein de la fédération italienne rappelle que la politique n’est jamais trop loin du foot (et des footballeurs), comme l’illustrent depuis des mois Gianni Infantino et Donald Trump.
Une polémique à Parme en 1999
Certes, l’Italie possède une longue tradition de joueurs assumant leur engagement idéologique. À gauche, on songe naturellement au cas de Cristiano Lucarelli du côté de Livourne, qui assumait dans So Foot que son engagement communiste « n’était pas un avantage, mais bon, je suis comme ça. Et puis, je ne suis pas activiste politique, j’ai mes idées et c’est tout. Maintenant, dans le foot, savoir qu’il y a quelqu’un qui s’intéresse à ce qui se passe hors du terrain, c’est anormal. » En face, personne n’a oublié le parcours de Paolo Di Canio, fièrement fasciste, qui allait saluer les supporters en tendant droit le bras. Par ailleurs, sans faire de généralités gratuites sur les fans de la Lazio, Giorgia Meloni s’était occasionnellement présentée comme une Laziale. Son gouvernement s’est en outre montré plutôt interventionniste sur le terrain du football, parfois en le brusquant.
En un Parma-Lazio de 1999 Buffon escribió en su jersey "Boia chi molla", grito de batalla de Mussolini y los suyos. Lo acusaron de fascista. pic.twitter.com/hs8GcwqEPp
— David Mosquera (@renaldinhos) February 14, 2017
Pour sa part, le « coming-out » de Buffon ne constitue pas vraiment une surprise. En 2021, comme l’a rappelé le site Dialektik Football, il s’était défini en tant qu’« anarcho-conservateur » dans une interview accordée à la Repubblica. Par le passé, certaines polémiques semblaient clairement indiquer que ses références culturelles penchaient nettement à droite, comme en 1999 quand il porta sur son maillot à Parme un slogan fasciste : « Boia chi molla » (notamment la devise de l’armée de la République de Salo qui combattait aux côtés des nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale). Il s’était alors défendu à chaque fois en prêchant l’erreur de jeunesse ou l’ignorance.
Le foot ne rejette pas la vague populiste
Par la suite, il s’était surtout illustré en applaudissant les gouvernements libéraux successifs, tels celui de Mario Monti, puis de Matteo Renzi. De ce point de vue, il incarne aussi le ralliement de la droite classique à cette nouvelle version 2.0 de la marche sur Rome.
Comme tout citoyen, les footballeurs ont le droit d’affirmer leurs convictions politiques. Et donc aussi le devoir d’en assumer les conséquences en retour (même si, aujourd’hui, pour le camp populiste, la liberté d’expression rime surtout avec l’interdiction de le critiquer). Le cas de Buffon illustre une tendance de fond que nous allons sûrement bientôt expérimenter en France, même si l’histoire politique de notre pays et la réalité sociale actuelle (place de l’immigration notamment dans le petit monde du ballon rond) en atténuent la virulence. Le grand accommodement du foot face à la vague populiste d’extrême droite qui s’étend sur le Vieux Continent n’épargnera pas l’Hexagone.
Une récompense pour Gianluigi DonnarummaPar Nicolas Kssis-Martov




























