D’Allemagne en Ouzbékistan en passant par les bords de la Volga
Pour la comprendre, il faut remonter à l’année 1763 précisément. À l’époque, la Russie est dirigée par une impératrice d’origine allemande, Catherine II, qui récupère de l’Empire ottoman de vastes territoires quasi inhabités au niveau de l’actuelle Ukraine et de la région du Caucase. Pour tenter de coloniser ces grands espaces désertés, elle lance un décret adressé à ses anciens compatriotes, les incitant à y émigrer contre une foule d'avantages, dont l’exemption d’impôts et de service militaire ainsi que la liberté de culte. Des dizaines de milliers d’entre eux, majoritairement luthériens, vont ainsi faire le choix de s’y installer. Au début du XXe siècle, ils sont ainsi 800 000 de ces Allemands de souche à vivre sur les bords de la Volga, en plein territoire russe, et parmi eux les ancêtres de Geynrikh. Après la Révolution de 1918, une République socialiste soviétique des Allemands de la Volga sera même créée, avec deux tiers de ses 600 000 habitants d’origine allemande. Un pays à l’existence éphémère, qui disparaîtra au cours de la Seconde Guerre mondiale, dissous sur ordre de Staline, qui décidera même la déportation de ses habitants par dizaine de milliers dans les camp du Goulag de Sibérie et d’Asie centrale, dans le contexte d’extrême tension entre soviétiques et nazis. Parmi les survivants de ces déportations, la majorité décide de rester sur place. C’est la raison pour laquelle ces descendants d’Allemands, colons du temps de l’empire, puis persécutés du temps des Soviétiques, se trouvent aujourd’hui implantés dans les pays indépendants nés de la fin de l’URSS au début des années 90. Ils représentent 2% de la population au Kazakhstan et sont des dizaines de milliers au Kirghizistan et en Ouzbékistan, dont ce cher Alexander Geynrikh.
Gaby Heinze, le lointain cousin
Il n’est pas le seul footballeur issu de cette lointaine communauté. C’est le cas aussi de Gabriel Heinze, l’ancien Parisien, Marseillais et international argentin, né dans la ville de Crespo, où réside une forte proportion de population d’origine allemande comme lui. Une racine qui remonte non pas à la fuite des criminels de guerre d’après 1945, comme on pourrait le penser spontanément, mais à la vague d’émigration des Allemands de la Volga au dix-neuvième siècle vers le nouveau monde, Amériques du Nord et du Sud. Heinze partage donc une lointaine histoire commune avec l’attaquant international ouzbek, qui racontait dans une interview avoir vécu un court moment en Allemagne, au début de sa formation de footballeur. « J’y suis allé lorsque j’étais très jeune, mais je n’ai pas aimé du tout, disait-il. Ce n’était pas mon style de football, je suis vite revenu en Ouzbékistan. » Son pays, le vrai, celui où il a débuté en pro avant de mener une carrière qui l’a fait voyager en Russie, Corée du Sud, aux Émirats arabes unis et aujourd’hui au Kazakhstan, c’est l’Ouzbékistan. À la chute de l’URSS, l’Allemagne avait mis en place un droit au retour pour ces lointains descendants du Caucase et d’Asie centrale. Des « Aussiedler » comme ils sont appelés, qui se sont plus ou moins bien faits à cette réintégration. Geynrikh, lui, a donc fait le choix de rester citoyen ouzbek, sa seule et unique patrie, dont il défend les couleurs depuis 2002 et qu’il compte bien continuer à honorer au moins jusque 2018.
Par Régis Delanoë
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