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Paul Pogba, un titulaire discutable
Dernier arrivé à Clairefontaine, en attendant les trois vainqueurs de la Ligue des champions, Paul Pogba semble n’avoir plus qu’à enfiler ses chaussons pour reprendre sa place dans le groupe et l’équipe type de Deschamps. Mais pourquoi tant de certitudes, au regard des derniers mois du milieu de Manchester United ?
On a tous de vieilles habitudes, des choix qu’on effectue mécaniquement, des objets incontournables sur lesquels on peut toujours compter. Ça peut être ce vieil imperméable quand le temps se gâte, ce camping que l’on réserve chaque année la deuxième semaine d’août, ce parfum qu’on porte pour toutes les grandes occasions. Pour Didier Deschamps, ces choses, ce sont des joueurs. Ceux qu’il aligne à chaque rencontre qui compte, et ce, quels que soient le schéma adverse, la météo ou l’horoscope du jour. Des chouchous, des immunisés, des soldats, appelez-ça comme vous voulez. On peut citer parmi ceux-là les piliers du banc de touche que sont Steve Mandanda et Moussa Sissoko, ou les indéboulonnables du onze de départ : Lloris, Pavard, Varane, Kanté, Pogba, Griezmann et Mbappé. Un bref calcul permet d’affirmer que seules quatre places peuvent être soumises au débat (encore que Kimpembe et Hernandez commencent à entrer eux aussi dans cette catégorie de gars sûrs). Pourtant, dans cette légion de fidèles, le crédit illimité d’un élément mériterait d’être interrogé. Au moins pour la forme. Et l’homme à présenter à la barre se nomme Paul Pogba.
Pour l’opinion publique et médiatique, se poser des questions sur son état de forme avant une grande compétition est devenu une tradition. Pourtant, le gamin de Roissy-en-Brie s’est toujours sublimé en Bleu et notamment lorsque la route s’élevait : révélation au Mondial 2014 au Brésil, moteur lors de l’Euro 2016, locomotive au Mondial 2018. Au point de devenir indiscutable dans l’esprit de Didier Deschamps. Certes, son positionnement sur le terrain — relayeur gauche, relayeur droit, sentinelle, meneur ? — a été régulièrement questionné, mais jamais sa légitimité de commencer les parties. Peut-être parce qu’il a construit une relation solide et durable avec le sélectionneur, en étant toujours exemplaire sur et en dehors du terrain (souvenez-vous de ses discours fédérateurs dans le vestiaire). De là à parler de favoritisme ? « Si Deschamps me bichonne ? Non, on a une relation créée il y a bien longtemps. L’âne et la carotte, il ne faut pas oublier, expliquait la Pioche à beIN Sports. Il m’a toujours dit mes vérités, il m’a toujours poussé à faire de bons matchs, à ne pas trop en faire, à simplement faire ce que je dois faire. Il a toujours été derrière moi, ne m’a jamais fait de cadeaux, et a toujours été franc. Il m’a aidé à devenir ce leader en équipe de France, il m’a donné cette confiance. Je suis très reconnaissant. J’essaye de tout redonner sur le terrain. »
La force de l’habitude ?
Nous sommes en 2021, et revoilà les doutes post-tournoi qui refont surface. Si ceux-là reviennent inlassablement, ce n’est certainement pas un hasard. Le joueur sort d’un exercice très contrasté avec les Red Devils, retrouvant des couleurs seulement dans les derniers hectomètres de la saison, de retour après une blessure et à un poste de milieu excentré qu’on ne lui connaissait plus. Lui qui devait être le patron du United de Solskjær s’est fait voler la vedette par un certain Bruno Fernandes, qu’il recroisera lors du dernier match de groupe de l’Euro à Budapest. Aujourd’hui, son avenir est incertain en Angleterre. On parle d’un retour en Italie, du côté de la Juventus… Là où évolue Adrien Rabiot. Pas anodin quand on sait que l’ancien du PSG est le milieu qui a marqué le plus de points cette année et qui pourrait lui offrir une belle concurrence, si Didier Deschamps opte pour un milieu à deux, pour couvrir une attaque à quatre (Mbappé, Griezmann, Benzema, Coman ou Dembélé). La dernière sortie du Mancunien était une finale de Ligue Europa, perdue contre Villarreal. Pendant cette rencontre, il a pu faire admirer ses délicieuses ouvertures de l’exter’… avant de disparaître progressivement jusqu’à sa sortie dans le money time.
Toujours tiraillé entre sa volonté d’animer le jeu et ses devoirs à la récupération, Paul Pogba n’est peut-être plus une pièce maîtresse dans son club. Quid de la sélection ? Pendant cet Euro, il pourra toujours s’appuyer sur (voire se cacher derrière) un N’Golo Kanté qui abat le travail pour deux. D’ailleurs, ces deux-là n’ont toujours pas perdu lorsqu’ils étaient associés en sélection (l’un a remplacé l’autre lors de la défaite contre la Finlande). Mais à 28 ans, l’ancien Havrais devra à nouveau appuyer un coup sur l’accélérateur s’il ne veut pas voir Corentin Tolisso ou Thomas Lemar lui griller la priorité au moment où ces derniers auront retrouvé tous leurs moyens. Cela passera certainement par un but, chose qu’il n’a plus fait depuis la finale de la Coupe du monde 2018 contre la Croatie, pour retrouver sa précieuse casquette de facteur X, celle qu’il a souvent revêtue depuis ses débuts le 14 mars 2013 contre la Géorgie. Parce que quand elles sont bonnes, personne n’a envie de les perdre, ses habitudes.
Par Mathieu Rollinger