- Premier League
- J32
- Liverpool-Newcastle
Liverpool et la thèse de l’obsolescence programmée après sa chute
Au sommet de son art pendant deux ans, le Liverpool de Jürgen Klopp a subitement flanché depuis l’été dernier. Moins de fraîcheur, moins d’ardeur, rendement inférieur, résultats catastrophiques invraisemblables à domicile, nombreuses défaites après avoir connu une incroyable période d'invincibilité... Et si cette chute n'était finalement que logique, compte tenu des exigences physiques et mentales du coach allemand ?
Les Reds ne soulèveront aucun trophée, cette année. Comme en 2016, mais ils avaient alors atteint les finales de la Carabao Cup et de la Ligue Europa. Comme en 2017, mais ils avaient retrouvé le top 4. Comme en 2018, mais ils avaient joué la finale de la Ligue des champions. En 2021, en revanche, rien à quoi se raccrocher. Auréolé du titre de champion d’Angleterre, Liverpool a pourtant un temps imaginé établir une dynastie. Une perspective encore envisageable en décembre, quand les Merseysidersoccupaient la tête de la Premier League. Avant une succession de désillusions, toujours plus nombreuses et toujours plus douloureuses. Sortis de la League Cup dès les huitièmes de finale par Arsenal, les hommes de Jürgen Klopp ont également pris la porte de manière prématurée en FA Cup avec une élimination au quatrième tour infligée par le rival de Manchester United.
Condamnés à se battre pour un simple accessit en championnat, la faute à un hiver chaotique, ils ont ensuite vu leurs derniers rêves de trophée soufflés par le Real Madrid en quarts de Ligue des champions sur la scène européenne. Même le Community Shield, perdu aux tirs au but contre Arsenal en août 2020, ne permettra pas de sauver l’honneur. Et tout n’est pas qu’une question de blessés, ce serait trop facile. Les indisponibilités de Virgil van Dijk, Joe Gomez, Joël Matip, Naby Keita, Alex Oxlade-Chamberlain ou encore Jordan Henderson n’expliquent pas totalement pourquoi Liverpool a parfois semblé si absent (notamment à Madrid, en première mi-temps). Ni pourquoi il a parfois coulé aussi profondément, sans trouver de solution évitant la noyade.
Mané, symbole du mal
Dès lors, peut-on parler d’obsolescence programmée ? Autrement dit, après avoir quasiment tout raflé et évolué à un niveau exceptionnel pendant deux saisons, était-il plus ou moins prévu ou est-il du moins logique de voir cette équipe subir un contrecoup ? Y a-t-il eu une baisse globale de régime physique, expliquant en bonne partie le cauchemar de ces joueurs soudainement devenus fantômes ? Peut-être, mais Liverpool avait clairement rivalisé avec Manchester City en février (avant de lourdement s’incliner, plombé par de grosses erreurs défensives). Plus récemment, les Reds ont étouffé Arsenal à l’Emirates (0-3) et mis à mal le Real à Anfield (0-0) en faisant forte impression dans les duels et dans l’impact. De quoi penser, finalement, que le bât blesse plutôt mentalement que physiquement. Car à l’image de Sadio Mané, par exemple, les occasions sont là… mais elles ne finissent pas au fond. Le Sénégalais n’a marqué que deux buts sur ses quinze derniers matchs de championnat. Les filets de PL ne tremblent plus que toutes les 293 minutes cette saison, contre 169 en 2019-2020, 165 en 2018-2019, et 174 en 2017-2018. « Il n’y a pas de problème physique pour Sadio, martelait encore récemment Jürgen Klopp en conférence de presse. C’est juste dû à une situation particulière : s’ils ne marquent pas pendant un certain temps, alors les attaquants commencent à réfléchir. Il y a un moment où vous recommencez à penser exactement aux bonnes choses et tout va bien de nouveau, nous devons faire en sorte que ce moment ne soit pas trop éloigné. »
Des Reds tout simplement arrivés au bout du bout mentalement, donc ? Pas si simple. Parce qu’il ne faut pas l’oublier : Klopp en demande beaucoup niveau physique, par l’accent porté sur l’intensité et sur le contre-pressing qui ont fait sa réussite. Ce qui avait d’ailleurs mis l’effectif rouge à rude épreuve, au moment de l’arrivée du technicien allemand : « Voir un jeune vomir sur le côté du terrain d’entraînement lors de l’une de ses premières séances d’entraînement, cela donne le ton, témoignait à l’époque le vétéran James Milner, auprès de Sky Sports. Nous avons dû nous adapter, il y a eu beaucoup de blessures au début. Les gens disaient : « Tu ne peux pas faire ça ! » C’était possible, il fallait juste s’y habituer. On a tout de suite vu le rythme et l’intensité, lors du premier match contre les Spurs. » Cette méthode aurait, ainsi, ses limites sur la durée. Parmi les huit clubs au rendez-vous des quarts de finale de la C1, Liverpool est cependant celui dont les joueurs couvrent le plus de kilomètres (1147,6 contre 1138,8 pour le Borussia Dortmund, 1108,9 pour Porto et 1041,8 pour un Paris Saint-Germain qui ferme la marche dans ce domaine). Mais, encore une fois, il est aussi celui qui pioche le plus au moment de conclure.
Des jambes qui tremblent, une tête qui dort
Avec quinze buts en dix matchs, les Reds représentent la moins bonne attaque de ce Final 8 (à égalité avec Porto). Ils pointent aussi à la dernière place en matière de tirs cadrés, puisque 59% de leurs tentatives en C1 étaient ajustées cette saison, alors que tous leurs concurrents cadraient entre 63% et 71% de leurs frappes. Les efforts sont toujours là, mais plus l’efficacité. « C’est clair, net et précis : Klopp a besoin d’un engagement sans faille, souligne Steeven Mandin, préparateur physique de l’équipe de France Espoirs. Il pousse les joueurs dans leurs retranchements physiques, et il le reconnaît lui-même. Cette saison, les matchs se sont enchaînés à une cadence infernale. Donc forcément, à un moment, ça craque… Comment s’en étonner ? Parfois, Liverpool jouait le mercredi soir en LDC, puis le samedi midi en championnat : ça fait moins de 60 heures de récupération, hein ! Et puis avant, c’étaient des tueurs. Ils étaient réalistes, marquaient sur leur première occasion. Maintenant, c’est tout l’inverse. Il y a une fatigue mentale, c’est clair. »
Conclusion : les jambes suivent comme elles peuvent, mais la tête ne répond plus autant. « Passer d’invincibles à ne plus marquer aucun but à domicile, c’est… Le constat est simple, mais les raisons qui l’expliquent sont très nombreuses. En fait, c’est multifactoriel, pointe Olivier Rodríguez, préparateur physique du Havre. Ce qui peut jouer, ce sont les exigences du coach : l’intensité réclamée lors des matchs, aux entraînements… Il y a aussi le fait qu’ils sont allés loin dans toutes les compétitions ces dernières années, donc ça augmente forcément le nombre de matchs. De là à expliquer leur méforme actuelle essentiellement par la fatigue physique, ça me paraît difficile. On aurait tort de trouver là la seule explication, même si c’est peut-être l’une des raisons. Une solution simple ne peut pas répondre à ce genre de problèmes, surtout que nous ne faisons pas partie du club et nous ne connaissons pas toutes les actualités extra-sportives de chaque joueur. Ils ont beaucoup joué et beaucoup gagné, il peut également y avoir une décompression inconsciente. Les gars sont sans doute rassasiés et repus, voilà pourquoi un effectif qui fonctionne doit constamment être secoué par des nouveaux éléments. »
Quel est le secret de l’Atlético de Madrid ?
Diogo Jota et Thiago Alcântara, recrutés cet été, sont en partie arrivés pour ça. Malheureusement, leurs blessures n’ont pas arrangé les choses : sur les 46 rencontres du club cette saison, le Portugais en a disputé 25 et l’Espagnol 23. « Nous ne sommes pas en interne, donc il est difficile de s’avancer. Mais on peut quand même observer des choses : le style Klopp, jeu de transition basé sur un pressing intense, demande de la fraîcheur, souligne, encore, Steeven Mandin. Et ces derniers mois, le moins que l’on puisse dire, c’est que Liverpool manque de fraîcheur. En plus, il a beaucoup de blessés, donc il peut moins faire tourner. Cette fraîcheur peut être mentale et physique, les deux sont liées. De l’extérieur, on a l’impression que Klopp les a tenus mentalement pendant deux-trois saisons à fond et qu’ils en payent le prix aujourd’hui. D’abord la C1, puis le titre en PL… C’est très dur de se remobiliser mentalement, après tout ça. Mais c’est une impression, qui est sûrement isolée par d’autres facteurs oubliés à prendre en compte. » Comme la période coronavirus, qui a globalement affecté toutes les équipes. Certaines plus que d’autres, que ce soit pour les cas positifs ou pour les changements de rythme dus au confinement.
Bref, n’en déplaise aux collapsologues du football, il était difficile bien que possible de prévoir l’effondrement de Liverpool. Et ce, « même si la Premier League est l’un des championnats les plus intenses de la planète, confirme Olivier Rodríguez. Les exigences de Klopp, oui… Mais un entraîneur comme Diego Simeone demande également énormément à ses joueurs, peut-être encore plus que Klopp au niveau défensif, et je n’ai pas l’impression que l’Atlético de Madrid soit plus embêté que les autres cette saison. En tant que préparateur physique, en tout cas, je ne me suis pas dit en début de saison :« Vu le nombre de matchs qu’ils ont joués et le pressing réclamé par Klopp, ils vont s’écrouler. » » D’autant qu’ils peuvent encore, malgré tout, accrocher une place en Ligue des champions. Si l’objectif est accompli, Liverpool finira dans le top 4 pour la cinquième saison consécutive. Chose que le club de la Mersey n’a encore jamais réalisée, dans l’ère Premier League. De quoi maintenir les rêves de dynastie. À condition, toutefois, de se ressourcer un peu cet été (espérance sérieusement compliquée par l’Euro, et par la Copa América) et de réinjecter du sang neuf. Sauf sur le banc, puisque la devise du peuple rouge reste la même : In Klopp We Trust.
Par Quentin Ballue et Florian Cadu
Tous propos recueillis par QB et FC, sauf mentions