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Évra, prince des Ulis
Deux jours après avoir ajouté un vingtième trophée à son palmarès, Patrice Évra a effectué lundi 23 mai un passage remarqué dans sa ville, les Ulis, avant d’entamer la préparation de l’Euro. Une journée en forme d’hommage où le latéral des Bleus a partagé l’affiche avec Anthony Martial, joué les coachs et s’est surtout ressourcé. Récit.
C’est son heure. Son moment. Pourtant, derrière ce large sourire affiché, il a le regard mâtiné de fierté et d’une gêne presque coupable. Les quelques dernières lueurs viennent de s’éclipser sous un épais ciel gris quand Patrice Évra s’avance devant un public conquis et acquis à sa cause. Il est près de 19h30 aux Ulis ce lundi 23 mai, quand l’unique tribune du stade Jean-Marc Salinier vibre peut-être comme jamais. Le maire des lieux, Françoise Marhuenda, présente sur place, n’en revient pas : « C’est du délire ! » Pendant que des « Merci Évra » et « Allez les Ulis » sont entonnés en chœur par plus de mille jeunes spectateurs venus spécialement faire le déplacement, Gaye Niakaté, nouveau maillot extérieur des Bleus arboré sur le dos et floqué au nom du latéral tricolore, pousse son ami d’enfance à lever les bras.
Pour profiter d’un instant aussi précieux que rare. Pour savourer, aussi, ce retour aux sources. Avant, plus tard, de mettre quelques mots sur ce moment singulier vécu : « Quand je vois tous ces gens présents aujourd’hui, avec vraiment beaucoup d’énergie positive… Dans les moments difficiles de ma préparation, je penserai à tous ces gens, et je suis sûr que je ne vais pas les décevoir. Sans cette ville, je n’aurais pas été l’homme que je suis aujourd’hui. Je vous remercie du fond du cœur, je suis très ému aujourd’hui. » Et il était loin d’être le seul. Retour sur un événement pas comme les autres où l’international français (71 sélections) a pris des forces à quelques semaines d’un Euro attendu par tout un pays.
Coup de pression, Gradur et chorégraphies
Avant de mettre un pied à terre dans l’enceinte modeste du stade Jean-Marc Salinier, nul ne pouvait passer à côté de la promotion pour cette manifestation baptisée « Patrice Évra, des Ulis vers l’Euro 2016 » . Outre les messages sur les panneaux d’affichage de la mairie, de nombreuses affiches sont répandues çà et là au sein de cette commune de l’Essonne. À peine arrivé aux abords du stade, la voix vigoureuse de Gaye Niakaté, responsable de l’association organisatrice de l’événement « 91 Music » , résonne. Deux heures avant l’ouverture des portes, le compère d’Évra, le stress déjà palpable, s’époumone sans relâche au cours de la réunion sécurité. Les noms bénévoles présents pour l’occasion et qui portent tous un tee-shirt spécial pour la journée s’égrènent un à un, puis chacun est ensuite réparti de part et d’autre sur le terrain. Les journalistes chargés de couvrir l’événement, eux, sont priés de siéger dans un espace réduit au bord de la pelouse. Ce qui provoque l’ire de certains qui ne se gênent pas pour le dire. « C’est comme ça et pas autrement. Si vous n’êtes pas content, vous pouvez toujours partir » , lâche Gaye à un confrère en guise de coup de pression. À mesure que le temps s’écoule, les premiers arrivants prennent place dans les gradins.
« Je suis venu parce que Patrice, c’est le padre, le patron, assure Yassine, quinze piges, large sourire aux lèvres. Ce n’est pas tous les jours qu’un joueur de l’équipe de France revient chez lui. » Mais pour voir celui a qui évolué neuf ans au CO des Ulis plus jeune, il faut s’armer de patience. Pour faire monter la température, un DJ lance quelques tubes de Gradur et MHD que la jeunesse ulissienne reprend de vive voix. Devant elle, sur la piste d’athlétisme bordant le terrain, un groupe de danse enchaîne quelques pas avant de céder sa place à Corentin Baron, champion français de football freestyle. À travers quelques figures, il s’évertue tant bien que mal à maintenir en éveil un public plus ou moins réceptif. Même problématique rencontrée par Jamil Rouissi, speaker officiel du All Star Game LNB choisi pour l’occasion, qui lance à maintes reprises : « Est-ce que les Ulissiens sont chauds aujourd’hui ? » Si les « oui » apparaissent timides, l’assistance s’ébaudit littéralement quand le nom d’Anthony Martial, le dernier illustre enfant des Ulis, est annoncé. Apparu dans la tribune pour saluer quelques personnes, l’attaquant de Manchester United disparaît aussitôt pour saluer les féminines du CO et du OC Gif Football, les premières à étrenner leurs crampons.
« Il y a des gens qui m’ont attaqué, qui ont rigolé de mon rêve »
Accompagné de son père, de son frère Dorian et de son conseiller Philippe Lamboley, celui qui vient deux jours plus tôt de décrocher la FA Cup avec les Red Devils refait surface peu de temps après. Il n’en faut pas plus pour que tous les journalistes, la plupart munis de caméras, quittent leur zone circonscrite et accourent vers l’enfant du quartier des Bergères. Alors que ce dernier tente de satisfaire tout le monde en enchaînant les selfies et les réponses auprès des médias, l’effervescence atteint son acmé lorsque « Tonton Pat’ » débarque. La dégaine endimanchée, les contours soignés et vêtu d’une veste et d’un pantalon bleus assortis à son tee-shirt ainsi qu’à ses mocassins blancs, l’actuel Bianconero a à peine le temps de claquer quelques bises qu’il est prié, sous l’escorte très rapprochée de Gaye et du service sécurité, de s’engouffrer dans les vestiaires du club en compagnie de Toto Martial. Parce que les deux internationaux tricolores vont s’affronter au cours d’une rencontre entre les U12 et U13 du CO. L’aîné est chargé des plus jeunes, tandis que le cadet mène les plus âgés.
Dans les vestiaires, les deux hommes prennent leur rôle très à cœur. Évra, qui a récemment fait part de son envie de se reconvertir en tant qu’entraîneur plus tard, prodigue ses premiers conseils. Avec une fierté non dissimulable. « On se fait plaisir, mais il n’est pas question que je perde contre Anthony ! Ce que je veux, c’est que vous vous fassiez plaisir et que vous fassiez des passes. Quand j’étais petit, je voulais dribbler tout le monde, mais la star, c’est l’équipe » , martèle celui qui a grandi au quartier des Hautes-Plaines, avant de livrer un discours plus intimiste : « C’est la journée des enfants, pas la journée d’Évra. Je suis très ému d’être devant vous les gars, c’est un rêve pour moi. Il y a quelques années, j’étais à votre place. Je voudrais vous dire de croire à ce que vous faites. Il y a des gens qui m’ont attaqué, qui ont rigolé de mon rêve. Aujourd’hui, c’est moi qui rigole. Je suis fier des valeurs de ce club. Continuez à les porter. » Situé dans le vestiaire en face, Martial n’a pas encore le même talent d’orateur que son compatriote, mais essaie lui aussi d’haranguer ses troupes. Les speechs respectifs achevés, les jeunes arborant des maillots bleus et rouges avec le nom de leur coach floqué mettent un pied sur la pelouse avec comme chefs de file du cortège les deux joueurs professionnels.
Victoire de Tonton Pat’ et guest star de poids
Après des derniers mots distillés sur le rectangle vert, le coup d’envoi retentit. Et très vite, les petits d’Évra prennent l’ascendant. Porté par leur avant-centre Solo, les U12 marquent une fois. Puis une deuxième fois. Pour à chaque fois la même célébration du coach Patrice : un rush sur le terrain pour féliciter ses joueurs. À la mi-temps, le latéral gauche de trente-quatre ans, emmitouflé dans une doudoune noire, ne cesse pas de motiver son équipe. « On continue de la même façon, on continue de faire les efforts » , souffle-t-il. Une courte pause où les jeunes Ulissiens en profitent pour confier leur fierté d’être coaché par un entraîneur pas comme les autres. « Il nous donne la patate, assure enjoué Solo, peut-être la future star de la ville. Quand on sent qu’on abandonne, on le regarde et ça nous donne envie de travailler encore plus. C’est un très bon exemple, ils nous fait rêver et nous donne envie de réaliser notre propre rêve. » À la reprise, les bleus éprouvent davantage de difficultés face aux jeunes de Martial, mais ne rompent pas. Et alors que Patrice, sous les yeux de sa femme et de ses enfants assis sur le banc de touche, alterne entre les consignes données à ses joueurs, les autographes signés et les photos au bord de la pelouse, sa bande inscrit un dernier but et parachève un succès incontestable (3-0).
Les désignations du meilleur joueur des deux équipes effectuées, l’heure des derniers discours a sonné. Le moment idoine pour Gaye Niakaté pour dévoiler enfin sa mystérieuse surprise préservée durant plusieurs semaines. Vers 21h30, alors que les « Aux armes ! Nous sommes les Ulissiens » et « Qui ne saute pas n’est pas ulissien ! » sont repris à l’unisson, un colosse entre en scène. 2m03 sous la toise, 130 kg sur la balance, l’octuple champion de monde de judo Teddy Riner se joint à la fête. Sur une estrade improvisée face au kop ulissien qui se forme jusqu’aux barrières devant la tribune, les personnalités se succèdent ensuite au micro pendant que la nuit tombe doucement. Madame le maire ouvre le bal, puis c’est au tour de Jean-Baptiste Leroy, président du CO des Ulis, de s’avancer avec son speech écrit sur papier. Non sans être un brin désarçonné. « Appelez le médecin, il n’est pas bien ! » , s’amuse le récent vainqueur de la Coupe d’Italie, toujours d’humeur badine, qui embraye en reprenant le titre Kalash de Booba et Kaaris à sa sauce avec un responsable de la sécurité : « Ma question préférée : Qu’est-ce que je vais faire de tous ces trophées ? » S’ensuit Martial qui « espère qu’un jour l’un d’eux (des jeunes Ulissiens, ndlr) va prendre notre place » et que « la ville va nous soutenir durant l’Euro » , puis le judoka tricolore : « C’est pour la jeunesse, ça ne me dérange pas de venir à une manifestation comme ça, il faut être proche des petits jeunes. » Le derniers mots, évidemment, sont pour Patrice Évra, héros du jour et les yeux embués de larmes au moment de dire au revoir : « Juste merci. Je vous aime. »
Par Romain Duchâteau, aux Ulis