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- 27e journée
- QPR/Tottenham
Chris Ramsey, minority report
Le successeur d'Harry Redknapp, démissionnaire, sur le banc de QPR figure une exception : il est le seul entraîneur noir de Premier League. Une singularité qui en dit long sur l'état pas si reluisant du football anglais.
Il y a un mois, ce derby londonien face à Tottenham aurait déjà été l’histoire de retrouvailles entre le coach des Queens Park Rangers et son ancienne paroisse du Nord-Est de la capitale. Oui, à un mois près, on se serait régalé d’un papelard sur l’impayable Harry Redknapp à l’heure de défier sa précédente équipe. Seulement voilà, à la rame depuis le début de la saison avec les Hoops, « Dirty Harry » a préféré rendre les clés avant de se faire virer comme un malpropre, une hypothèse qui enflait dans les coursives de Loftus Road. Mais pour ce duel made in London, le destin a voulu que le successeur de Redknapp soit lui aussi un transfuge des pensionnaires de White Hart Lane. Le chic type du mois, en vérité. Bien sûr, on pourrait s’attarder sur le parcours de cet ancien arrière droit de 52 ans à la carrière plutôt anonyme, d’où l’on pourrait ressortir une finale de FA Cup avec Brighton face à Manchester United perdue (0-4) dans un replay qu’il n’avait pu disputé pour cause de blessure lors du premier match. Ou son passage à la tête des U20 anglais en 1999 tout en étant un des adjoints de Kevin Keegan alors aux manettes des Three Lions. Ou encore sa prise en charge du centre de formation de Tottenham jusqu’à l’an passé, en ayant vu grandir, entre autres, Harry Kane et Nabil Bentaleb qui se souvient bien de son ancien mentor. « Chris a été vraiment important pour les jeunes du club. Il nous parlait beaucoup, croyait réellement en nous. Il était très clair dans ses choix, était très sûr de ses décisions qu’il expliquait très sereinement, qu’elles vous plaisent ou non. »
Les Ferdinand : « L’un des meilleurs coachs que je connaisse »
Bentaleb dit vrai, le Ramsey n’est pas du genre à s’écraser devant qui que ce soit. D’ailleurs, celui-ci boit du p’tit lait devant la réussite de son ancien poulain Harry Kane. « Je ne suis pas surpris par la réussite d’Harry. Les fans ne croyaient pas en lui au début, le club non plus, ils voulaient tous un « nom » sur le front de l’attaque. Le club doit prendre le risque de faire jouer de jeunes talents anglais qui doivent être jugés de la même façon que des joueurs étrangers transférés pour de grosses sommes et qui ne sont pas toujours à la hauteur. » Oui, c’est à ce gars sûr de son fait que les Queens Park Rangers ont confié cette mission maintien qui va se jouer sur le fil. Pourtant, Chris Ramsey avait quitté le Nord-Est de Londres en octobre dernier pour l’Ouest de la ville afin de s’occuper là encore de la formation. Les Ferdinand, directeur du football de QPR, en avait même plein la bouche à l’annonce de la venue de Ramsey dans le quartier de Shepherd’s Bush. « Les propriétaires veulent vraiment développer l’Academy, et Chris a toutes les qualités pour ça. C’est simple, c’est un des meilleurs coachs que je connaisse et il a vraiment l’œil pour les joueurs. » Mais voilà, Redknapp parti, le nom de Ramsey s’est vite imposé pour assurer l’intérim le temps de trouver un autre head coach. Mieux : le président Tony Fernandes tombe direct sous le charme de Ramsey après un simple entretien et le confirme jusqu’à la fin de saison.
Albion dans l’œil du cyclone
Mais bien entendu, tout ça ne relèverait que de la sympathique anecdote si la nouvelle sensation de QPR ne présentait pas une singularité évidente : être le seul entraîneur noir de Premier League. Car depuis quelques années, l’Angleterre du football est prise d’une sacrée crise de conscience face au manque de managers issus de la diversité dans ses clubs professionnels, un réel souci dans un pays qui se vante de son multiculturalisme et jamais en retard pour donner des leçons aux autres sur la question du racisme. « C’est essentiel, mais un peu facile de dénoncer les cris racistes dans le stade du CSKA Moscou face à Manchester City en Ligue des champions, s’insurge l’ancienne légende de Liverpool, John Barnes. Mais dans le même temps, j’ai beau regarder, il n’y a quasiment aucun manager noir dans les clubs pros en Angleterre. » Quatre précisément, dont trois dans les divisions inférieures. Et l’ancien ailier international de détailler. « Les rares fois où l’on accorde leur chance aux managers noirs, c’est souvent sur des missions d’urgence où il faut faire ses preuves en quelques matchs sous peine d’être viré, car fondamentalement, on ne leur fait pas confiance. C’est vraiment dommage, car il y a des gars remarquablement intelligents et bien formés comme Luther Blisset ou Cyrille Regis qui n’ont jamais eu l’occasion de montrer qu’ils pouvaient être des techniciens de haut niveau simplement sur ces idées reçues parfois inconscientes. »
« Le racisme déclaré et le racisme que l’on tait »
Un Barnes qui parle en connaisseur, lui qui s’était fait dégager de Tranmere au bout de huit matchs. « Mais attention, je n’en fais pas un truc de Blancs contre les Noirs, précise Barnes. En Afrique aussi, beaucoup de sélections sont confiées à des entraîneurs blancs. » Face à ce constat de plus en plus partagé outre-Manche, des voix ont appelé à ce que le football anglais adopte une sorte de Rooney Rule, ce système de discrimination positive instauré en NFL qui oblige les clubs à considérer les candidatures de coachs issus des minorités. Un temps promis par Greg Clarke, président de la Ligue anglaise, ce dernier a esquivé le sujet en 2013, date à laquelle le projet devait être examiné. Une pirouette qui rendut furax quelques voix importantes d’Albion, comme Paul Ince : « Quand est-ce qu’ils arrêteront de balayer cette idée sous le tapis ? » Pour couper court à la polémique, Richard Scudamore, boss de la Premier League, a fait voter une autre idée du même ordre : réserver trois places aux BME (Black and Ethnic Minority) dans le programme de formation nationale des coachs. Un premier pas certes, mais encore très insuffisant à l’heure où le football anglais est dans l’œil du cyclone après les débordements racistes des fans de Chelsea, ainsi qu’un rapport du FARE (Football Against Racism in Europe) qui dénonce « une discrimination institutionnelle présente dans les différentes ligues anglaises » . « En tant que citoyen britannique, et pas seulement en tant que Noir, je me sens évidemment concerné, mais beaucoup de ces questions ne sont pas liées au football, elles sont prégnantes dans la société entière, philosophe Ramsey. Le racisme a éventuellement été contrôlé dans les stades, mais pas totalement éradiqué. Car il y a le racisme déclaré, et puis le racisme que l’on tait. » La présence de Chris Ramsey sur un banc de Premier League est une bonne occasion de briser cette loi du silence.
Par Dave Appadoo