De l’art de célébrer un but
Le livre intitulé « La grande jubilation » vient tout juste de paraître en Hollande. Il s’agit d’une étude menée sur l’exaltation dans le foot, un ouvrage joyeux et exhaustif consacré à la sémiologie du buteur. Les auteurs Henk-Jan Grotenhuis et Tim Duyff, deux mordus de ballon rond, décortiquent ainsi les étapes successives du processus de jubilation ou décharge émotionnelle post-but. Tout d’abord, la « Phase-Moi », sorte d’ego-trip durant lequel le joueur qui vient de marquer personnalise instantanément ses émotions. Les exemples (Ravanelli qui tire son maillot sur la tête, Van der Meyde qui fait l’archer, etc.) sont légion. Puis arrive la « Phase-Nous », temps de la communion où la jubilation se partage avec les partenaires et s’agrémente de chorégraphies diverses (chenille…). Ces moments de jouissance collective sont fréquemment encouragés par les entraîneurs – notamment hollandais, tels Van Basten ou Hiddink -, au contraire des célébrations solitaires, considérées comme trop égocentriques. La dernière phase est la « Phase Concrète », celle qui voit les joueurs se rendre compte qu’il faut malheureusement interrompre cette effusion de joie pour reprendre le jeu. Une sorte de retour brutal sur terre après un moment de flottement et d’extase. Il est en outre intéressant de noter qu’après la « Phase Concrète », le buteur peut parfois retomber dans une « Phase-Je » et exulter, encore une fois, seul, justement pour souligner l’importance de son but. Selon les auteurs, l’année 1974 marque un tournant dans la façon de fêter un but ; à cette époque, les Bataves, après avoir remporté quatre Coupes des Champions consécutives (une avec Feyenoord, trois avec l’Ajax), perdent la légendaire finale du Mondial contre la RFA. Les idéaux sociaux des années 60 s’évanouissent alors dans l’air comme un nuage de fumée, laissant place à l’ère du culte de l’individualisme, du règne des médias, qui lâchent leurs hordes de caméramen compulsifs sur tous les prés de planète, toujours prêts à immortaliser les scènes de liesse, ou à « tirer l’éternel du transitoire » (Baudelaire). Ou comment le football devient un art, un spectacle, une fiction, réelle illustration de la modernité. En outre, la loi édictée par la FIFA en 2004 interdisant d’enlever son maillot ou de passer quelque message que ce soit marque également un tournant. Bref, un livre divertissant, instructif, et plein d’ironie. En attendant une traduction en français.
Par Lucas Duvernet-Coppola, avec Marika Viano.