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Bertrand Laquait : « Si je pouvais faire la même carrière dans l’immobilier… »

Propos reccueillis par Gaspard Manet
12 minutes
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Après dix-neuf années d’une carrière professionnelle bien remplie, Bertrand Laquait a décidé de ranger les gants, à l’été 2015. Pour se reposer ? Pas vraiment, puisqu'il est depuis devenu agent immobilier. Alors qu’il fête ce jeudi ses quarante ans, l’occasion était belle d’aller prendre de ses nouvelles.

Vous avez pris votre retraite en 2015, que faites-vous maintenant ?J’ai ouvert une agence immobilière à Thonon-les-Bains depuis le mois de mars 2016. L’immobilier est quelque chose qui m’a toujours plu, moi-même j’avais déjà fait pas mal d’investissements personnels dans ce secteur. Et puis il y a pas mal de similitudes avec le foot, je trouve. Les journées n’ont rien à voir les unes avec les autres, il y a cette importante dose d’incertitude, comme c’était le cas pour chaque match. Je retrouve un peu ce que j’avais dans le football, en quelque sorte, mais avec des journées un peu plus longues en revanche (rires). Et puis surtout, c’est qu’il y a une opportunité qui s’est présentée. En fait, ma femme travaille à Évian dans une agence Bersot Immobilier, un groupe qui a une douzaine d’agences sur l’est de la France, et un soir en discutant avec ses patrons autour d’un simple dîner, ils m’ont proposé de monter une franchise à Thonon et voilà comment je me suis retrouvé agent immobilier.

Vous avez reçu une formation du coup ?Oui, tout à fait, j’ai fait une petite formation à l’agence d’Évian, justement. Mais de toute façon, c’est sur le terrain que tu apprends le plus vite. J’en apprends tous les jours et j’en ai encore beaucoup à apprendre, mais c’est aussi ce qui me passionne. D’ailleurs, quand je n’aurais plus rien à apprendre, ce sera peut-être la fin. Comme dans le football, en fait. Mais j’ai encore le temps, car je n’en suis qu’aux prémices de ma nouvelle vie, donc pour reprendre un autre parallèle avec le football, je suis un peu dans la peau du gamin de dix-sept ans qui débute dans le football professionnel. Sauf que j’en ai quarante et que c’est dans l’immobilier (rires). Si je pouvais y faire la même carrière que j’ai eue dans le foot, à mon humble niveau, j’en serais absolument ravi.

Le fait de travailler, c’est une nécessité financière ou c’est plus le besoin de s’occuper ? Il y a évidemment l’aspect financier qui entre en ligne de compte, même si j’aurais pu me laisser plus de temps pour profiter un peu. J’ai très bien investi l’argent que j’ai gagné dans le football, donc ne pas travailler est quelque chose qui pourrait être possible, mais en même temps je n’y ai jamais pensé ne serait-ce qu’un seul instant. Pour moi, c’est inenvisageable. D’ailleurs, même si j’avais joué dix ans au Real ou au Barça et que j’avais des millions sur mes comptes en banque, je continuerais probablement à travailler. C’est même une certitude. En revanche, j’aurais pu me laisser plus de temps, car finalement j’ai arrêté à l’été 2015, donc j’ai eu juillet, août, septembre pour en profiter un peu, et dès le mois d’octobre ce projet s’est présenté et je n’ai pas hésité. Il a fallu préparer la structure, tout mettre en place pour être prêt à l’ouverture, mi-mars. De toute façon, au bout de deux mois déjà, je commençais à tourner en rond. C’était cool, hein, entre le lac, les apéros, les barbecues, mais j’ai besoin d’avoir une activité, de me mettre des challenges.

Vous travaillez à Thonon où vous avez joué pendant cinq ans à l’ETG, est-ce que les gens vous reconnaissent ? Oui, ça arrive. Ça ne facilite pas forcément les transactions, mais ils me reconnaissent parfois. Enfin, ça m’a rapporté quand même une affaire, car quelqu’un qui a su ce que je faisais est venu pour ça à l’agence me demander de vendre son bien. Il y a certainement plein de gens qui ne font pas le rapprochement. D’autres ont une sorte de doute quand ils voient mon nom sur la carte de visite : « Bertrand Laquait, ça me dit quelque chose, on se connaît, non ? » « Non, mais on va apprendre à se connaître. » J’ai aussi eu le droit à « Il y en a un qui était gardien à l’ETG qui a le même nom que vous. » C’est toujours très sympathique, mais je ne le mets pas en avant, je n’ai pas envie que l’on fasse l’amalgame entre le joueur de foot et l’agent immobilier. Après, bien entendu, je suis content et fier aussi parfois que l’on me reconnaisse, mais je ne vais pas prendre le téléphone en mode « Oui, bonjour je suis Bertrand Laquait, ex-gardien de l’ETG… » , ce n’est pas vraiment mon truc. Je n’ai pas envie que les gens se sentent influencés ou quoi que ce soit, je veux qu’ils me jugent sur la personne que je suis maintenant, à savoir l’agent immobilier.

J’étais dans le « moi je« , mais j’ai soudainement réalisé qu’on n’était rien. On se fait une montagne de tout et, finalement, tu n’es rien du tout.

Pour en venir au foot, est-ce votre grand frère (Stéphane Laquait, également professionnel, ndlr) qui est à l’origine de tout ça ? À la base, il y avait surtout mon père qui avait joué à un niveau amateur, mais qui était surtout un éducateur pur et dur à l’ancienne comme on n’en trouve plus dans les écoles de foot d’aujourd’hui. Et puis avec mon frère, c’est vrai qu’on a passé des heures à jouer au foot dans le jardin.

Vous vous êtes retrouvé aux cages, car c’était le grand frère qui décidait, en fait ? Un peu, ouais. Enfin, je dois dire la vérité, c’est même exclusivement ça (rires). Il a dû me dire : « Tiens, mets-toi entre les deux arbres là et essaie d’arrêter les frappes. » Puis bon, j’ai fini par y prendre goût et je n’ai plus bougé des cages. En même temps j’étais rodé avec le nombres de patates que j’avais prises de la part de mon frère, je pense que dès trois ans, j’en prenais déjà plein la tronche.

Cet entraînement dans le jardin a porté ses fruits puisque vous finissez tous les deux en centre de formation, à Nancy. C’est quelque chose de particulier d’être en centre avec son frangin, non ? Oui, c’est clair. Après, comme Stéphane a quatre ans de plus que moi, quand je suis arrivé au centre, lui était déjà en fin de formation. Mais effectivement, ce sont des moments particuliers. Il faut savoir aussi que mon frère quitte l’ASNL pour Louhans-Cuiseaux avant de signer à Troyes et, comme par hasard, le premier match professionnel que je dispute avec Nancy, c’est face à Troyes. Ça a été un grand moment pour moi, pour ma famille… Jouer son premier match face à son frère, c’est quand même quelque chose. Mais ça ne reste pas le meilleur souvenir de ma carrière, car après vingt minutes de jeu, il y avait déjà 3-0 pour Troyes et on perd 4-2 finalement, il me semble. Mais je tiens à préciser que mon frère n’avait pas marqué, ça aurait pu briser notre relation (rires). Jouer contre son frère, c’est très particulier la première fois, mais comme c’est arrivé trois-quatre fois, on s’habitue. C’est comme un manège à sensations, la première fois c’est impressionnant, puis après ce n’est plus pareil.

Nancy colle donc à vos débuts en professionnel, ça reste des bons souvenirs pour vous ? Ah oui, de très bons souvenirs. C’est le passage dans le monde professionnel, mais c’est aussi le basculement de l’adolescence vers l’âge adulte. J’ai eu la chance d’être dans ce club-là car il y avait, et il y a d’ailleurs toujours, une structure scolaire vraiment adaptée. Jouer en professionnel, c’est le rêve qui se réalise, alors forcément, je garde de très bons souvenirs de ma période nancéienne.

Il y a aussi un mauvais souvenir avec le décès de Philippe Schuth, en février 2002, avec qui vous étiez alors en concurrence pour le poste de numéro un…C’est choquant… Terrible. Je me souviens bien de cette période-là, c’était très dur à vivre. Philippe, c’était vraiment quelqu’un qui respirait la joie de vivre. On avait un lien assez fort, car c’était une période où je jouais moins, mais il me tirait constamment vers le haut, il était très à l’écoute. Il y avait une compétition très saine entre nous, en fait il m’a appris le métier en quelque sorte. C’était un seigneur. Je me souviens qu’à la sortie de l’entraînement, on devait chacun aller faire la révision de notre voiture, on se suivait d’ailleurs, puis on s’est quittés à la fin de l’autoroute, lui a pris à gauche, moi à droite, et je ne l’ai plus jamais revu. Son décès a été un véritable tournant pour moi. Disons que j’ai changé mon approche du football et de la vie en général après ça, j’ai arrêté d’être dans ma bulle, dans le « moi je » , j’ai soudainement réalisé qu’on n’était rien. On se fait une montagne de tout et finalement, tu n’es rien du tout.

Quand je suis arrivé en Belgique, j’ai fait rire beaucoup de Belges, car quand ils me demandaient d’où je venais, je répondais « d’entre deux arbres« . Je n’avais pas de club, donc pas de terrain de foot, je n’avais accès à rien.

C’est ce qui vous a donné envie de quitter Nancy à la fin de cette saison 2002 ?Non, en fait, je me suis fait les croisés peu de temps après, et comme j’étais en fin de contrat à la fin de cette saison, bah ils ne m’ont pas renouvelé. Du coup, au mois de juin, je me retrouve sans club, j’ai dû me débrouiller pour faire ma remise en forme de mon côté, car très vite plus personne ne s’occupe de vous, c’est un peu la loi de la jungle, ce milieu. J’ai heureusement pu compter sur l’appui de Christophe Miranda, qui était avec moi à Nancy et qui est venu m’aider à ne pas perdre le rythme. D’ailleurs, quand je suis arrivé en Belgique, j’ai fait rire beaucoup de Belges, car quand ils me demandaient d’où je venais, je répondais « d’entre deux arbres. » Car je n’avais pas de club, donc pas de terrain de foot, je n’avais accès à rien, et je me souviens être allé acheter cinq ballons de foot pour m’entraîner dans un parc de Nancy avec mon pote, Christophe, qui venait me faire faire des spécifiques. Vraiment à l’ancienne. Ça faisait rire les gens, mais bon j’étais au fond du trou et il fallait que je garde le rythme. C’était dur mentalement, mais je savais qu’il n’y avait qu’une chose qui pouvait m’aider à en sortir, c’est le travail. Personnellement, je n’ai jamais vu quelqu’un rester dans son canapé arriver à faire quelque chose. De toute façon, ce genre de situation te permet de réaliser pas mal de choses, quelques mois auparavant des tas d’agents m’appelaient pour me faire signer à Sochaux, à Nantes, où je ne sais pas où, puis quand t’es dans cette situation, je peux vous assurer que le téléphone ne sonne plus du tout. Donc voilà, j’ai bossé dur dans ce parc, sous la pluie, à courir après les ballons, mais c’est ça qui m’a permis d’arriver à Charleroi en pleine forme.

D’ailleurs, comment se fait ce départ en Belgique ?Le président de l’époque, Mogi Bayat, m’appelle un jour en me disant : « Voilà on est dans la merde, on est derniers, on n’a pas gagné un match, il ne reste plus qu’un match avant la fin des matchs allers et on n’a plus de gardien, est-ce que ça te tente ? » J’ai pris ma voiture, j’étais parti pour une semaine d’essai et finalement au bout de 24 heures, je signais mon contrat après deux entraînements, et cinq jours plus tard, je faisais mes débuts en championnat. Finalement, j’ai vécu une aventure sur le plan humain extraordinaire. Je garde encore un profond amour pour les Belges et notamment les Carolos, d’ailleurs ça a été dur de partir à la fin à cause de ça.

Après cette belle expérience belge de sept ans sans compter le prêt à Huelva en Espagne, c’était important pour vous de revenir jouer en France ? En fait, ma fille allait entrer en CP donc, oui, mon objectif principal était de revenir en France. J’ai eu pas mal de contacts, dont deux plutôt sérieux pour jouer en première division, mais à un moment donné, je veux bien jouer au football, mais je ne vais pas non plus me prostituer pour ça.

C’est-à-dire ?Bah des propositions pas très stables où je réalisais bien qu’on ne croyait pas vraiment en moi. Ce n’était pas qu’une question de salaire, j’arrivais avec l’étiquette d’un des meilleurs gardiens du championnat belge, donc j’estimais avoir le droit à une forme de considération. Soit tu crois en moi, soit non, mais c’est tout. Et finalement, les seuls qui m’ont proposé un vrai projet, ce sont Franck Riboud et Patrick Trotignon avec l’ETG en me disant : « C’est très simple, on est en National, mais tu nous rejoins, on bâtit une bonne équipe et on monte en Ligue 2. » J’y suis allé, j’ai foncé. À ce moment, j’ai 31 ans, je me dis bon bah je fais une année de National et je finis tranquillement ma carrière en Ligue 2 avec trois ans de contrat. Et puis, merde, ça ne s’est pas passé comme ça (rires). On monte en Ligue 2, direct on monte en Ligue 1, on se maintient, on parvient même en finale de Coupe de France, c’était vraiment une seconde jeunesse… Incroyable.

Évian, ça a été un tournant dans votre carrière, mais également dans votre vie, puisque vous vivez toujours là-bas ? C’est sûr. En fait, en arrivant, on a découvert la région, avec ma femme et mes enfants, et depuis, on ne souhaite plus en partir. On est très bien ici et aujourd’hui, clairement, on n’a pas l’intention d’en bouger. Je me souviens quand les dirigeants de l’ETG m’avaient appelé, ils m’avaient dit : « Croix de Savoie » , le club s’appelait comme ça à l’époque, bah je ne savais même pas le situer. Et finalement, j’ai découvert une région absolument fantastique pour vivre. Il y a la montagne, le lac, toujours quelque chose à faire. Vraiment, ici, la vie est belle.

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