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Un homme, un stade : Félix Bollaert

Par Christophe Gleizes
Un homme, un stade : Félix Bollaert

En France, tout le monde connaît le nom de Félix Bollaert, associé à jamais à celui du RC Lens. Paternaliste et rusé, l'ancien directeur de la société des Mines a très vite compris l'intérêt que pouvait avoir le football au milieu des corons.

C’est la triste vérité : l’homme qui a donné son nom à l’enceinte du RC Lens est un Lillois. Mais pas de panique, « sauf la naissance, tout le reste peut s’acquérir par le talent, le savoir, l’intelligence, le génie » , dédouane Dostoïevski. Il faut donc laisser le bénéfice du doute au jeune Félix Bollaert, qui arrive à Lens en 1856 pour y passer son enfance, dans l’ombre de son père Édouard, qui figure parmi les fondateurs de la société des mines de la ville. Issu d’une lignée d’industriels et de financiers de la région, Félix va très vite faire valoir son sens du devoir et du mimétisme. Après avoir obtenu son baccalauréat, il entre en 1876 à Polytechnique, comme son père, et enchaîne avec l’École nationale supérieure des mines de Paris, comme son père. Entre tout ça, pas la moindre trace d’une crise d’adolescence.

Ascension programmée

Tandis qu’Édouard gère les mines de Lens d’une main de fer, le jeune diplômé va se faire les dents en Belgique pendant cinq ans. Au contact des mineurs du Hainaut, ce dernier comprend que le développement de l’industrie passe par le bien-être des ouvriers. Cette intuition est plus tard confirmée en 1893, quand son père, confronté à une grève générale, licencie 600 employés du jour au lendemain. Davantage porté sur le dialogue, le fils s’emploiera toute sa vie à ménager la force de travail du bassin minier, adoptant volontiers discours conciliants et attitude paternaliste. Avec une limite : celle du bénéfice. « Sans aucun doute, sa femme et lui étaient-ils charitables, mais ils n’en ont jamais oublié leurs affaires ni celles des mines de Lens » , détaillait l’historien Bernard Ghienne, récemment décédé, dans La Voix du Nord.

En cette fin de XIXe siècle, la moustache se porte longue et l’industrialisation est en plein essor. Félix revient à Lens, à la tête du service commercial. Très vite, il parvient à nouer de nombreux partenariats dans la région. Grâce à lui, racontait Bernard Ghienne, « la Société des mines diversifie ses activités, crée des usines chimiques, prend des participations dans des entreprises de câblerie » . En 1887, son mariage avec Marthe Le Gavrian, fille du député du Nord Paul Le Gavrian, programme une ascension inéluctable dans la région. Cette dernière est cependant freinée en 1898 par la mort de son père, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. À cette date, la société des mines de Lens est l’une des plus grandes entreprises de France. Elle regroupe près de 10 000 salariés et produit 2,7 millions de tonnes de charbon par an.

Paternalisme catholique

Membre du conseil d’administration, Félix Bollaert convainc petit à petit le nouveau directeur, Élie Reumaux, de l’importance des œuvres sociales. Pour lutter contre la mortalité infantile, il crée en 1902 le service de la « goutte de lait » , qui distribue gratuitement soins et alimentation aux nourrissons. Par la suite, il dote progressivement les corons de terrains de jeux, de dispensaires, d’écoles élémentaires, d’églises et de chapelles. Philanthrope ? Oui et non. Le but est avant tout de maintenir le mineur dans sa cité, afin de l’empêcher de fréquenter les troquets où se fomentent les conversations revendicatives qui font si peur aux patrons. « Dès avant la guerre, il avait donné la preuve de ce qu’on pouvait attendre de son grand cœur et de sa belle intelligence » , tranchait Marcel Decroix, le président de la Société des sciences de l’agriculture de Lille, dans son éloge funèbre.

Mais la guerre arrive, avec son cortège de mauvaises nouvelles et de chamboulements. Âgé de cinquante-huit ans, Félix est mobilisé sur le front de l’Artois, en tant que capitaine d’artillerie. Rapidement blessé, il est rapatrié à Paris, au ministère de l’armement. Son épouse est ambulancière et porte secours aux blessés. Au sortir de la guerre, tous deux seront décorés. Désormais commandant de la légion d’honneur, Félix revient à Lens en 1919, sans se douter du carnage. Envahie puis occupée, pilonnée pendant quatre ans par les obus, sa ville de cœur a pratiquement été rayée de la carte, tout comme la mine, détruite et inondée. Pour l’industriel, le coup est rude. « Le résultat de plus d’un demi-siècle de travail avait disparu. Tout était à refaire » , résumait Marcel Decroix.

Rivalité politique

Accablé mais inlassable, Félix Bollaert refuse d’abandonner l’œuvre d’une vie. En bon artisan, il organise la remise en route de l’exploitation. Progressivement, l’activité reprend, doucement d’abord, puis à un rythme effréné. En moins de quatre ans, près de 12 000 logements ouvriers sont bâtis, avec les mêmes idées sociales et progressistes en toile de fond. « La période est favorable au couple Bollaert-Le Gavrian qui investit dans la restauration des sociétés musicales, des associations sportives et celles de jardinage » , retraçait Bernard Ghienne. Nommé président de la compagnie des mines en 1922, le fils exauce tardivement les espoirs de son père. Mais sa notoriété est si grande auprès des ouvriers qu’on se demande parfois en ville qui de lui ou du député-maire Alfred Maës, leader du syndicat des mineurs, a le plus d’influence.

Au tournant des années 30, la rivalité que se livrent les deux hommes va se cristalliser. Félix Bollaert contrôle la majorité des terrains en marge de la cité, où il a établi les nouveaux bureaux de sa société. La reconstruction terminée, la compagnie est devenue une véritable ville dans la ville. Elle possède maintenant son propre réseau ferroviaire, ses usines électriques, ses écoles, ses logements, ses coopératives, ses églises et ses salles des fêtes. Ne lui manque plus qu’un stade, pour concurrencer celui de l’avenue Raoul Briquet, où brille un club régional largement subventionné par la mairie : le Racing club Lensois, qui fait la fierté et la popularité de son concurrent Alfred Maës.

Opium du peuple

Symbole de la puissance et de la volonté d’indépendance de la compagnie, la construction du « stade des mines » démarre en 1929 sous les critiques de La Tribune des Mineurs. En ces temps de crise financière, le journal du syndicat reproche « des dépenses folles et inutiles » . Mais pour Felix Bollaert, c’est un moyen efficace d’apaiser les ouvriers qui grognent. Fin tacticien, il confie aux 180 chômeurs de la fosse 5 la construction de cet immense complexe sportif, composé d’un terrain principal, d’une piste d’athlètisme et de gradins d’une capacité de 7000 places. Après quatre ans de travaux, ce dernier est finalement inauguré le 18 juin 1933, dans une ambiance de liesse, en compagnie d’Alfred Maës, qui ne peut que constater la modernité du complexe.

Le coup fatal va être porté dans la foulée. Le 10 mars 1934, une réunion est organisée entre les représentants de la Société des mines et les dirigeants du RCL. Félix Bollaert explique en substance que la compagnie des mines est prête à remplacer la ville et à subventionner le club. Il offre à l’équipe première ses nouvelles installations et propose à tous les joueurs du RCL un emploi dans la société. La proposition, généreuse, est acceptée. Alfred Maës ne le sait pas encore, mais il est vaincu. La nouvelle est pour lui un coup de poignard. Par la suite, sa fureur sera telle qu’il refusera toujours d’assister à un match de « l’équipe de la compagnie » . En représailles, plus aucune aide ne sera apportée par la ville au RCL jusqu’au début des années cinquante.

L’aventure professionnelle

Qu’importe, Félix Bollaert a de l’argent, beaucoup d’argent, et peu de temps à vivre. Enthousiaste, il décide de suivre son instinct et de se lancer dans l’aventure du football professionnel, comme Peugeot l’a fait deux ans avant à Sochaux. Le 26 août 1934, lors de la première journée du championnat de deuxième division, le Racing Club de Lens concède le match nul 2-2 à domicile contre le Racing Club de Calais. Dans les rapports de match, les journalistes parisiens font état d’une ferveur indescriptible, qui sera la marque de fabrique du club à travers les âges. Les termes « sang et or » , « passion » et « charbon » deviennent indissociables. Satisfait de son coup de maître, Félix Bollaert peut mourir le sourire aux lèvres le 26 décembre 1936, à l’âge de quatre-vingt-un ans. Le lendemain de sa mort, la compagnie lui rendra hommage en rebaptisant le stade des mines à son nom, au milieu des corons.

Comment aurait pu s’appeler le stade Bollaert-Delelis :

Le parc Hafiz Mammadov. Si seulement il n’avait pas manqué dix-sept millions d’euros. Le stade Toifilou Maoulida. Parce qu’à Lens, on aime vraiment beaucoup les banderoles. Le Welsh stadium. 21,3% de personnes en surpoids dans la région au dernier recensement, ça se respecte. Le stade de la ducasse. Ici, on donne des points gratuits. La Stéphane Rotenberg Arena. L’animateur est né à Lens en 1967, et il faudrait bien que la municipalité finisse par lui rendre hommage.
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