Ultras, ennemis du football ?
Après les récents incidents dans les stades, un membre actif de la Brigade Sud de Nice se livre. Répression « abusive », revendications des ultras, fumigènes, violences, il aborde tous les sujets sans langue de bois.
Suite aux incidents de la 6ème journée de L1 à Grenoble et Nice, Frédéric Thiriez s’est indigné que le football soit « pris en otage par des groupes violents qui sont ses pires ennemis » , Brice Hortefeux dénonçant de son côté « ces parasites qui n’ont pas leur place dans les stades » . Il était donc tentant de se tourner vers les supporters incriminés pour connaître leur point de vue. Exercice périlleux car ces supporters sont aussi prompts à reprocher aux médias de ne pas leur donner la parole qu’à refuser de leur répondre par crainte que leurs propos soient déformés. Agacés par le “déchaînement médiatique”, les responsables du Red Kaos de Grenoble ont ainsi préféré nous renvoyer vers un communiqué publié sur leur site Internet (Cf. Les ultras de Grenoble communiquent). En revanche, la Brigade Sud de Nice a accepté de nous répondre par l’intermédiaire d’un de ses membres de longue date, Renaud, 39 ans, juriste et entraîneur d’une équipe de football à ses heures perdues. Dans cette longue interview, que nous publions en cinq volets, il évoque tous les sujets d’actualité en dénonçant la manière dont les ultras sont traités sans pour autant tenter de les faire passer pour des anges.
Faut-il donner la parole à des individus stigmatisés pour leurs violences, comme les ultras ? Ne suffit-il pas de dénoncer leurs comportements ? Evidemment non. Comment peut-on prétendre juger un phénomène sans le connaître ? Et comment connaître la réalité de ce phénomène sans savoir ce qu’en disent tous les acteurs concernés, y compris ceux suspectés d’être violents ? Il faut donc entendre ce que les ultras ont à dire, mettre en relation ce discours avec celui des autres acteurs et le situer dans son contexte (cf. Fumigène : un objet politique). Il faut d’autant plus entendre ces discours que les représentations sur le supportérisme sont souvent éloignées des pratiques réelles des supporters. Or, comment lutter contre la violence dans les stades quand on ne sait pas de quoi on parle ? Mais s’il faut entendre ce que les ultras ont à dire, les écouter ne revient évidemment pas à accepter ou justifier toutes leurs positions.
Dans le premier volet de cet entretien, Renaud explique les raisons qui ont amené la Brigade Sud à faire grève lors du derby Nice-Monaco, samedi 19/9, en vidant leur tribune et en y exhibant deux grandes banderoles : « Justice pour les ultras » et « Interdits de stade » .
« Une justice à la louche »
« Notre grève contre Monaco est liée à la vague de répression abusive qui frappe les supporters niçois depuis début août. Il y a d’abord eu un problème à Cuneo en Italie] lors d’un match amical contre le Genoa [le 1/8] où on est un peu tombés dans un guet-apens. Les gars du Genoa sont arrivés casqués et armés derrière la tribune niçoise, ils ont lancé des projectiles. Certains Niçois sont sortis pour en découdre. Après ça, des interdictions administratives de stade ont été prononcées avec pour seule base des relevés d’identité. Par exemple, des supporters blessés par des projectiles et qui n’avaient pas participé aux incidents ont été interdits de stade simplement parce que leur nom a été relevé quand ils sont allés à l’hôpital se faire soigner. Deux petites amies d’ultras, venues pour la première fois au stade, ont reçu des avertissements de la préfecture. Un gars éméché a reproché aux flics leur inorganisation et a été conduit au commissariat. Les noms de ceux qui sont allés le chercher ont été relevés : ils ont eu des interdictions de stade ou des avertissements. En plus, nos avocats ont constaté que les délais pour contester les IDS ont été raccourcis.
Autre histoire, l’an dernier, on perd brutalement un de nos membres historiques à l’âge de 40 ans. On organise une minute de silence au match suivant. Comme il aimait les fumigènes, un jeune du groupe en allume un en son hommage. On avait prévenu tout le monde, le club, la police. Il n’y a eu aucun problème. Ce moment a été très émouvant. Quatre mois plus tard, le jeune qui a allumé le fumigène est déféré au tribunal correctionnel et prend un mois d’IDS pour ce geste symbolique !
Plus généralement, nos IDS font suite à des contrôles d’identité lors des déplacements à risque. C’est un cercle vicieux : on nous dit, “vous êtes ingérables, on ne peut pas faire de train avec vous”, certaines compagnies de bus refusent de nous prendre ou on nous impose des contraintes énormes sur le déplacement en bus. Donc on fait des déplacements en voiture ou en bus à l’arrache, on est contrôlés et certains sont ensuite interdits de stade uniquement parce qu’ils se sont déplacés de manière indépendante lors d’un match classé à risques. En fait, en voulant limiter les déplacements bien organisés, les autorités provoquent des déplacements en indépendants et après on nous le reproche !
C’est vrai que, dans ces déplacements, certains sont prêts à en découdre si l’opportunité se présente. Mais à côté d’eux, il y en a d’autres qui viennent juste pour supporter l’équipe. Un simple contrôle d’identité de tous les présents conduit à tous les considérer comme recherchant des incidents et à tous les cataloguer “hooligans”. Comme disent nos avocats, c’est une “justice à la louche”, qui frappe au hasard » .
« Nous ne bénéficions pas des mêmes droits que les autres citoyens »
« Lors de notre déplacement à Saint-Etienne début août, un des nôtres, accusé d’un jet de projectile ayant entraîné une ITT de moins de 5 jours, a pris 6 mois de prison ferme. Ces faits pouvaient mériter une sanction mais assurément pas aussi grave, d’autant qu’il les conteste. Mais la police niçoise l’avait dans le collimateur.
Nous avons toujours assumé nos actes, même répréhensibles, et encaissé les sanctions. Mais, aujourd’hui, nous ne sommes manifestement plus jugés en regard de la gravité réelle des faits. Nous ne bénéficions pas des mêmes droits que tout autre citoyen. Le simple fait d’être catalogué supporter de foot est une circonstance aggravante. Un traitement particulier et des sanctions particulières nous sont appliqués.
Alors on s’est demandé, qu’est-ce qu’on fait ? C’est difficile car il n’y a pas vraiment de coordination nationale des ultras, parce qu’on n’arrive pas à se mettre d’accord sur les moyens d’action et les revendications. En fin de saison 2008, on avait proposé une journée “tribunes vides”. Mais plein de groupes se sont désolidarisés, ils avaient tous de bonnes raisons : “On joue le titre”, “On joue l’Europe”, “On risque de descendre”, etc. Pourtant, nous aussi, on jouait l’Europe… On a quand même décidé de faire une manifestation pour la dernière journée de championnat en conviant de nombreux groupes. Même si certains ont refusé l’invitation, plein d’autres sont venus, y compris des groupes avec qui nous entretenons une vive animosité. Ce fut un vrai succès. On était 2000 personnes, les images le prouvent. Mais les journaux n’ont pas donné ces chiffres. Dans Nice-Matin, c’était 1200 personnes, dans les médias nationaux, quelques centaines. Notre action n’a pas intéressé les grands médias car elle donnait une bonne image des ultras et ça, ça ne les intéresse pas. Les deux manifestations –il y en avait une autre en même temps à Lens– n’ont été couvertes que localement ou par des médias plus confidentiels ([Sacrée union).
Donc puisqu’on avait compris qu’une manifestation, ça ne marche pas, il fallait tenter autre chose pour avoir plus d’écho. On voulait attirer l’attention de notre maire, qui est aussi ministre, et toucher notre club pour l’obliger à bouger auprès de la Ligue. On s’est dit, “Si on fait quelque chose qui gêne le club, la ville, on va arriver à avoir une réunion avec les pouvoirs publics par l’intermédiaire des élus locaux”. Notre but, c’était que, dans la région niçoise, la répression baisse, en tout cas qu’elle soit juste et non pas abusive comme ces derniers temps. Il a donc été décidé de faire tribune vide. »
Cet après-midi :Nice-Monaco : de la grève aux incidents
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