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Tout le monde aime Raymond ?
Un entrainement ouvert au public est une bonne façon de se renseigner sur qui sont les vrais supporters des Bleus. Entre les gamins excités, les adultes simili-blasés et les vrais fans hardcore, nous avons découvert mercredi des invités pas comme les autres. Depuis plus d'un an, ils animent un groupe de soutien à Raymond Domenech, sur un célèbre réseau social. Rencontre du troisième type...
Dans le taxi qui les emmène de la gare de Rambouillet jusqu’au centre d’entrainement de l’Equipe de France, à Clairefontaine-en-Yvelines, les trois adolescentes sont surexcitées. « Je suis venue exprès de Bruxelles pour voir Thierry Henry, nous explique la plus loquace. Ma copine, à côté, elle vient plutôt pour Gourcuff » . Jusqu’ici rien de surprenant. Les séances ouvertes au public ne sont plus l’apanage de la gente masculine, depuis que les footeux sont devenus des sex-symbols. La suite, en revanche, n’est pas loin d’être inédite : « On vient aussi pour voir Raymond. On l’aime bien, on a été invitées à Clairefontaine grâce au groupe Facebook » .
Le groupe Facebook ? Une bizarrerie intitulée “Soutien de Raymond Domenech à la tête de l’équipe de France”, lancée par Pierre, un internaute qui surfe à contre-courant, après l’échec de l’Euro 2008 pour rameuter les troupes contre la cabale anti-Raymond. À trois jours du match aller contre l’Eire, une vingtaine de ses membres a été invitée par l’attaché de presse de l’Equipe de France pour services rendus à la cause. Une vingtaine sur 306 membres au total, soit vingt fois moins que “Domenech dehors”, quarante-cinq fois moins que “Pour que les FARCS capturent Raymond Domenech” et même trois fois moins que “Oui, j’exige que Raymond Domenech se laisse à nouveau pousser la moustache”. Pas un succès fou, donc, pour cette famille en or, la seule sérieuse et active au milieu des centaines de groupes anti-Domenech répertoriés par le réseau social.
« On voulait faire des banderoles et des t-shirts, mais c’est mon pote qui devait les amener et sa mère a refusé qu’il vienne parce qu’il a eu une mauvaise note en maths » , se désole Clovis, administrateur du groupe, conduit à Clairefontaine par sa propre maman, plus conciliante. Mais qu’est-ce qui peut bien pousser un jeune homme à se lancer dans un combat perdu d’avance, contre la majorité ? « Les journalistes ne comprennent rien. Ils ont critiqué Jacquet en 98, ils ont critiqué Domenech en 2006, et ils continuent. Moi j’aime ce genre de personnalités fortes. L’équivalent en politique, c’est Ségolène Royal. Je ne défends pas des causes perdues : Royal est allée au deuxième tour » . Raisonnement implacable.
« Domenech est un stratège »
Ils pensaient avoir les Bleus et leur idole pour eux seulement, mais les supporters du Ray ont été bien surpris en débarquant au centre Fernand Sastre. Une file de voitures, un parking bondé et des cars entiers ont déversé leur flot de cocoricos dans l’unique tribune jouxtant le terrain d’entrainement. L’ambiance est assurée par les gamins d’un club de foot, tout en voix stridentes, selon un rituel bien établi : on hurle le nom d’un joueur en cadence, celui-ci l’entend, fait un petit coucou pour remercier, on crie sa joie, on hurle le nom d’un autre joueur en cadence, etc…
Sur la pelouse, les joueurs restent relativement distants, malgré un entrainement peu intense pour les vingt-et-un joueurs présents (Toulalan, Lassana Diarra et Diaby étaient au repos). Gourcuff et Gignac sont en couple sur tous les petits exercices en attendant l’affrontement sur petit terrain, puis les frappes au but. L’émeute débute à la fin de la séance. Agglutiné autour de la main courante, le public tend tout ce qui lui tombe sous la main (carnets, maillots, albums panini) pour récupérer une petite signature. Les joueurs travaillent à la chaîne, tous les joueurs, mais pas le sélectionneur, qui observe le bain de foule à distance. Pas de quoi remettre en question l’admiration de Pierre, fondateur du groupe, pour le sélectionneur : « Déçu ? Un peu, de ne pas l’avoir vu de plus près, mais tout le monde sait que Raymond Domenech n’est pas un amoureux de ce genre de situations, c’est un stratège, il regarde les choses de loin et savoure » .
L’œuf ou la poule ?
Reste à savoir si Ray-le-stratège, donc, ne gagnerait pas en image s’il se montrait plus proche des Français. C’est l’avis de la mère de Clovis qui, sur le chemin du retour, remet gentiment en cause l’engagement de son fils : « Il ne communique pas beaucoup ton héros, il ne donne même pas de consignes aux joueurs sur le terrain. Je comprends qu’il soit autant critiqué » . Pour Pierre, ce serait prendre le problème à l’envers. « Je peux comprendre cette façon de faire, lâche-t-il. L’Equipe de France que “tout le monde” acclame, ce sont les joueurs, pas l’entraineur. La preuve, quand dans un match au Stade de France, le public crie “Domenech, démission” au bout de dix minutes de jeu, ou lundi soir à Bercy lorsqu’il est apparu à l’écran pendant le match et que le public l’a sifflé. Pourquoi viendrait-il au devant de ces mêmes personnes qui, si ça se trouve, l’ont conspué auparavant ? » .
Qui, de l’œuf ou de la poule, est arrivé le premier ? Qui, de la mauvaise com’ de Domenech ou du désamour du “public”, a lancé les hostilités ? Quelle que soit la réponse, il n’est pas certain qu’une qualification à la Coupe du Monde 2010 suffise à faire augmenter le nombre d’adhérents au groupe de Pierre et Clovis…
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