- CAN 2025
Sébastien Desabre : « Je dis souvent aux joueurs que j’ai vécu plus longtemps qu’eux en Afrique ! »
Arrivé sur le banc de la RDC en 2022, Sébastien Desabre tutoie la perfection : demi-finaliste de la CAN 2023, il vient de qualifier les Léopards pour la finale des barrages intercontinentaux de la Coupe du monde. À peine le temps de souffler qu’il repart déjà au charbon, avec un titre de champion d’Afrique en ligne de mire.
Vous avez digéré cette folle semaine des barrages de novembre ?
C’était intense, c’est vrai. C’est arrivé très vite avec deux matchs rapprochés, le jeudi et le dimanche. Deux matchs de très bon niveau. On ne coupe jamais trop entre les listes des joueurs, les réunions des staffs et les préparations, on est lancés depuis septembre. On s’est quand même ressourcés un peu en famille. Ça faisait longtemps que j’étais en Afrique, je suis revenu en France l’espace de deux jours.
Vous avez pris conscience de la performance que vous avez réalisée en battant le Cameroun puis le Nigeria à trois jours d’intervalle ?
On sait qu’on était des outsiders, mais depuis quelques années, on progresse énormément, dans le contenu de nos matchs et au classement FIFA. C’était le moment pour nous de valider cette progression. Le plus important reste à faire contre la Jamaïque ou la Nouvelle-Calédonie. On mesure, bien sûr, parce qu’il y a beaucoup d’attentes et que la Coupe du monde est un objectif qu’on a fixé depuis mon arrivée en 2022. C’était notre 12e match de qualification, on n’a pas encore atteint notre but, mais on est toujours en course.
Avec le recul, est-ce que le vaudou était l’une des clés de votre qualification ?
Je pense qu’il ne faut pas retenir ça, mais plutôt le contenu du match qu’on a fait contre une belle équipe du Nigeria. Ce qu’il se passe à la fin du match, c’est les émotions des uns et des autres, ce n’est pas très important. Je connais très bien Éric (Chelle, le sélectionneur du Nigeria, qui a accusé un membre du staff de la RDC, NDLR). C’est un entraîneur très compétent, il y avait beaucoup de tensions. Ça reste anecdotique, je ne vais pas commenter ce genre de choses.
Comment vous vous sentez à l’approche de cette CAN, votre deuxième avec la RDC ?
On va aborder la compétition comme toutes les équipes en essayant d’aller le plus loin possible, en sachant que c’est une des compétitions les plus difficiles du monde. Il y a beaucoup de prétendants à la victoire finale. On va se préparer le mieux possible. On sera à la recherche de progression avec comme premier objectif de passer la phase de groupes. On s’en fixera d’autres une fois que cette première étape sera franchie.
Objectivement, vous vous attendiez à aller aussi loin en 2023, jusqu’en demi-finales ?
On ne peut pas dire qu’on ne s’y attendait pas. On sait qu’on n’est peut-être pas la meilleure équipe d’Afrique, mais nous avons de gros compétiteurs dans le groupe. Quand vous avez des cadres comme Chancel (Mbemba) ou Cédric (Bakambu) qui donnent un leadership dans la prestance, dans l’exemple et la discipline, pour un coach, c’est top. On aime avoir ce rôle d’outsider parce qu’on est des compétiteurs, capables d’affronter tout le monde, avec un mental très fort. On verra l’histoire de cette compétition. On sera plus attendus qu’à la dernière CAN, mais ça nous motive encore plus. On a des certitudes dans le jeu, on essaie de bonifier ce qu’on a fait depuis trois ans. J’ai des joueurs de qualité, avec un état d’esprit irréprochable. On est très soudés, c’est une de nos forces.
L’équipe est plus forte aujourd’hui ?
Oui, forcément. On ne passe pas de 75e au classement FIFA à 56e si on ne progresse pas. Contre le Nigeria, on a fait l’un de nos matchs les plus aboutis. Je pense qu’on est plus forts qu’il y a trois ans, mais comme beaucoup d’autres équipes africaines, car le football africain travaille de mieux en mieux. Après, il faut confirmer qu’on est à la hauteur pendant la CAN.
🇨🇩 La RD Congo élimine le Nigéria après la séance de tirs au but et se qualifie pour les barrages intercontinentaux pour la Coupe du monde 2026 ! pic.twitter.com/TdOH76946b
— L'Équipe (@lequipe) November 16, 2025
La RDC est armée pour gagner la CAN ?
Vous savez, on peut lister 12, 13 voire 14 nations qui peuvent gagner la CAN. Ça va être une belle bataille. On a une équipe intéressante, qui est capable de battre le Nigeria, le Cameroun et d’autres nations. Mais on est aussi capables de perdre contre le Sénégal ou le Soudan, donc il ne faut pas manquer d’humilité. Quand les joueurs sont en forme, que tout le monde est connecté, on peut faire de bonnes choses, mais il y a de très belles équipes sur le continent. Cette CAN va être âpre. Bien sûr, quand on se lance dans une compétition, il faut être ambitieux, mais il y a des étapes.
C’est pour des moments comme cela que vous faites ce métier ?
Bien sûr, une CAN, c’est extraordinaire. En Côte d’Ivoire, c’était magique. Ça va être ma troisième en tant qu’entraîneur. C’est une grosse compétition : il y a la Coupe du monde et juste après, c’est la CAN, l’Euro et la Copa América. Il y aura les meilleurs joueurs du continent africain, c’est super. On est impatients de commencer.
Lors de la dernière CAN, votre groupe avait été affecté par les violences dans l’est du pays. Cela reste un sujet dans l’équipe à l’approche de ce nouveau tournoi ?
C’est toujours un sujet parce qu’on représente la totalité du pays et on ne peut pas faire abstraction de ça. On sait très bien qu’après le match face au Nigeria, à Goma dans l’Est, la victoire a aussi été fêtée, et on espère donner un peu d’unité et de joie. Ça sera aussi un de nos objectifs à la CAN, de répandre cette joie sur tout le pays, pour que les gens soient fiers de leur Congo.
C’est dommage qu’une compétition comme la CAN soit négligée en matière de préparation, alors que tout le monde attend un beau spectacle. Le football africain mérite un peu plus de respect.
Dans quelles conditions préparez-vous ce tournoi compte tenu des modifications des dates de libération des joueurs ?
Pour être honnête, nous, on n’y croyait pas. On connaît le règlement qui initialement indiquait la date du 8 décembre, donc on a planifié tout notre stage. La fédération avait réglé l’hôtel, on avait même deux matchs amicaux. Et on apprend une semaine avant qu’on n’aura pas nos joueurs le 8, mais le 15, sachant que certains vont jouer le 14. Ce qu’on trouve très limite en matière de respect de la préparation des sélections, c’est que l’on informe les sélections une semaine avant. Notre préparation va changer, on a remis quelque chose en place à partir du 13 décembre et on a une semaine pour préparer nos joueurs pour le premier match le 23. Et encore, nous, on a la « chance » de ne commencer la compétition ni le 21 ni le 22. C’est dommage qu’une compétition comme la CAN soit négligée en matière de préparation, alors que tout le monde attend un beau spectacle.
On peut vraiment préparer son équipe en une semaine pour un tournoi comme la CAN ?
Ça paraît aberrant, oui. Par chance, on a joué deux gros matchs au Maroc en novembre, notamment sur le terrain où on jouera contre le Bénin (le stade El Madina, à Rabat, NDLR). Pour d’autres, c’est un peu plus compliqué, mais on s’adapte. On n’est pas satisfaits parce que le football africain mérite un peu plus de respect. On nous demande de sortir nos listes de 55 joueurs le 21 novembre, puis de donner la liste définitive des 23 le 11 décembre. C’est complètement incohérent si vous avez des blessés… Je pense qu’il y avait lieu à légiférer bien avant pour informer les fédérations que les joueurs seraient libérés seulement le 15.
Vous l’avez déjà ressenti par le passé, au gré de vos différentes expériences sur le continent, ce manque de considération ?
Oui bien sûr. Je peux prendre des exemples de qualification de Coupe du monde : on joue la Mauritanie, on nous impose de jouer le mercredi, alors que j’ai des joueurs qui sont encore en championnat de France ou en championnat d’Angleterre le dimanche soir. Les joueurs voyagent le lundi, ils courent un peu le mardi et ils jouent le mercredi. J’avais plutôt l’impression que ça se structurait, que ça allait dans le bon sens. C’est pour ça que j’ai été très surpris qu’on change les règles du jeu au dernier moment. Ce n’est pas changer les règles qui pose problème, c’est le délai d’informations pour qu’on s’adapte.

Vous avez pris les rênes de la RDC en 2022 alors que vous entraîniez Niort, en Ligue 2. Pourquoi vous dîtes oui à l’époque ?
C’était un super challenge, très motivant. C’était un pays à gros potentiel qui avait besoin d’un petit coup de boost pour pouvoir atteindre ses objectifs. Ce qui me plaît dans ce projet, c’est aussi que c’est difficile : il y a quelque chose à faire, ça va être très dur, donc on va travailler et essayer de faire progresser tout ça. Ça fait très longtemps que le Congo n’est pas allé à la Coupe du monde, ça représente un travail de trois ou quatre ans, que j’espère valider au mois de mars. Ce qui m’a excité, c’est que ça allait être très dur, mais qu’avec du travail, on pouvait y arriver, faire progresser le football congolais et le remettre où il doit être.
Les plans de carrière, on en faisait peut-être il y a 15 ou 20 ans, mais maintenant, je peux vous garantir qu’on n’en fait plus !
Vous vous dites aussi que c’est une opportunité en or de passer un vrai cap dans votre carrière ?
Je ne sais pas, je n’ai jamais eu trop de plans de carrière. À ce moment-là, j’avais déjà des offres très intéressantes. Ça a vraiment été un choix de prendre cette sélection, c’est un honneur pour moi d’être sélectionneur du Congo. Après, les plans de carrière, on en faisait peut-être il y a 15 ou 20 ans, mais maintenant, je peux vous garantir qu’on n’en fait plus ! Quand vous êtes là, vous donnez le maximum pour que ça fonctionne. Mon staff technique a beaucoup travaillé pour créer un contexte positif, tout le monde attend ces dates parce qu’on sait qu’on va se retrouver en famille et faire ce qu’on aime, dans de très bonnes conditions. Tant qu’on a ce plaisir, ça nous amène un plus pour la structure de l’équipe, même tactique ou en matière d’agressivité.
Vous partiez avec quel niveau de connaissance du foot congolais ?
J’avais fait 14 ans d’Afrique, donc je connais très bien les joueurs, l’environnement… Certains amis proches étaient déjà passés par la sélection. On ne peut pas prendre la décision d’aller au Congo sans connaître le contexte et avoir une certaine expérience pour manager dans cet environnement. La condition que j’avais fixée, qui me semblait essentielle, c’était d’être manager sélectionneur, d’avoir la main sur pratiquement toutes les décisions de la sélection. C’était une des clés pour faire progresser l’équipe, l’organisation et tout ça. Le ministre de l’époque a accepté. Si j’avais été seulement sélectionneur, à venir pour faire mes équipes, mes entraînements et mes matchs, ça aurait été difficile. Je ne sais pas si j’y serais allé.
Quelles décisions essentielles vous avez pu prendre grâce à cette casquette de manager ?
On choisit ses matchs amicaux, ses lieux de rassemblement, son staff technique en totalité. Pour manager une équipe, c’est beaucoup plus simple si les gens savent que vous pouvez les recruter, et éventuellement les remplacer. Je décide du nombre de joueurs que je prends en rassemblement, de l’organisation des voyages… On a élaboré un règlement intérieur avec la fédération, validé avec les joueurs. C’est un autre élément important pour le management. J’ai une liberté qui me donne aujourd’hui la possibilité de m’investir à la hauteur de la grande envie que j’ai pour faire progresser l’équipe.
Au-delà de vos connaissances sur le foot congolais, comment vous vous êtes imprégné du pays, des gens ?
J’ai vécu là-bas les premières années. J’ai vu le championnat local, qui reste d’ailleurs une marge de progression pour l’équipe nationale, c’est un vrai sujet. Il va falloir plus d’organisation pour qu’on revienne à la sélection de joueurs locaux, qui s’échappent assez vite dans les pays voisins. On a suivi le championnat, on a fait un travail de terrain, même s’il a fallu se réadapter à chaque fois, car depuis que je suis là, j’ai eu trois présidents différents à la fédé et trois ministres des Sports différents. C’est le contexte dans lequel on évolue, on doit se remettre à jour à chaque fois. Je suis pas mal en mission à l’étranger pour voir mes joueurs, mais je suis encore régulièrement à Kinshasa. C’est une ville dynamique, même si je ne suis pas quelqu’un qui sort beaucoup.
Que ce soit en Ouganda, au Cameroun, au Maroc, en Égypte, j’ai travaillé avec des personnes très compétentes qui ont amélioré ma réflexion sur le foot. J’aime ce continent. Il est passionnant, parfois fatigant, mais comme partout.
Le peuple congolais vous a vite adopté en vous appelant « Ya Seba ». Sentir l’énergie de tout un pays, ça fait partie des éléments qui vous ont attiré vers le poste de sélectionneur ?
Quand on est sélectionneur, c’est vrai qu’on représente beaucoup. C’est une fierté d’avoir amené des résultats. Quand je suis arrivé, il y avait un désamour avec l’équipe nationale. Flo Ibenge avait fait du super travail, et derrière, ça s’était un peu écroulé. On a mis de l’ambition, et les gens voient une équipe rigoureuse, combattante, à l’image du pays, donc ils s’identifient de plus en plus. Bien sûr, l’entraîneur est en première ligne, mais derrière, il y a tout un staff technique et une organisation. On sait très bien que tout est fragile en football. Mon objectif est encore d’essayer d’avancer, de mettre en place un cadre de travail qui dure dans le temps. Ça va aller en s’améliorant d’année en année. Il y a pas mal de talents, au niveau local ou des binationaux, qui tapent à la porte.
💬 « Coach, je te l’avais dit : tu es le meilleur coach du monde », Félix Tshisekedi à Sébastien Desabre pic.twitter.com/vftpF9TUsN
— MMC 243 (@MMCrdc243) November 17, 2025
Vous avez rencontré le président du pays, Félix Tshisekedi. C’était comment ?
Ce n’était pas la première fois qu’on se voyait. On s’est déjà parlé au téléphone, on échange régulièrement. Il adore son équipe nationale et nous soutient à 1000%. Il nous avait reçus pour nous féliciter après les barrages, tout en nous rappelant qu’on n’était pas encore qualifiés pour la Coupe du monde ! C’est toujours une fierté de rencontrer le président.
En plus, il vous dit que vous êtes le meilleur coach du monde, donc c’est plutôt sympa !
(Rires.) Il devrait plutôt dire que les meilleurs du monde, ce sont les joueurs ! C’est une boutade, nous, on sait ce qu’on doit faire pour être du niveau des équipes comme le Maroc, le Sénégal ou même le Nigeria, des équipes qui sont dans le top 5. Aujourd’hui, on est entrés dans le top 10, on vient de passer le Cameroun au classement FIFA. Se faire féliciter par le président de la République, ça veut dire qu’on va dans le bon sens, qu’on donne de la joie au Congo et aux fans, c’est ça le plus important.
Très vite dans votre parcours d’entraîneur, vous vous êtes tourné vers l’Afrique. Pourquoi ?
Dans une vie, il y a trois ou quatre rencontres qui peuvent vous orienter. Moi, très jeune, j’ai eu la chance de prendre l’ASEC Mimosas par l’intermédiaire d’Hervé Renard, qui m’avait mis en contact avec le président du club. On a fait des résultats, et j’ai développé un attachement au continent. Je dis souvent aux joueurs que j’ai vécu plus longtemps qu’eux en Afrique ! On ne peut pas rester 15 ou 16 ans sur le continent africain sans l’aimer. J’avais vraiment aimé revenir en Ligue 2, à Niort, car le championnat était bien, la structure aussi. J’aurais pu rester en France, mais la vie m’a amené ici. J’aime travailler en Afrique, j’estime que c’est le continent où il y a le plus de talent et j’aime aussi la capacité des joueurs à se mettre un objectif de vie qui fait que ça transpire plus la vérité en Afrique qu’ailleurs.
C’est-à-dire ?
L’année où on est champion du Cameroun (en 2013) et qu’on va en demi-finales de la Ligue des champions, on est avec des joueurs qui ont envie de réussir leur vie à travers le football, mais vraiment. Ils mettent tout en œuvre pour. Il y a Djené, le capitaine de Getafe, Moumi Ngamaleu, et différents joueurs qui ont joué en Europe après. Ces joueurs-là, à l’époque, ils sont petits, avec plein de rêves, et ils mettent tout en œuvre pour les atteindre. Alors quand ils les atteignent, et que l’on a pu participer un petit peu à les aider, c’est très satisfaisant. Les gars ne partent pas sur la même ligne de départ que certains, mais ils vont plus loin. J’ai beaucoup de respect pour ça. Ngamaleu, c’est moi qui lui ai fait signer son premier contrat pro à Coton Sport. Il devait avoir 17 ans. Quand il vient me voir avant le match contre le Cameroun, plein d’humilité et de remerciements, ça fait plaisir.
Pour beaucoup d’Européens, l’Afrique est pourtant un second choix.
Moi, je suis très fier de travailler ici. C’est là où je me suis construit. J’ai le BEPF, j’ai entraîné en France, mais j’ai beaucoup appris avec mes adjoints locaux, avec le football africain. On transmet les compétences qu’on a, mais on en emmagasine aussi. Que ce soit en Ouganda, au Cameroun, au Maroc, en Égypte, j’ai travaillé avec des personnes très compétentes qui ont amélioré ma réflexion sur le foot. J’aime ce continent. Il est passionnant, parfois fatigant, mais comme partout. J’ai fait des matchs de Ligue des champions africaine, de CAN, des qualifs de Coupe du monde. Je n’aurais pas pu faire ça ailleurs. Des matchs devant 100 000 spectateurs, des derbys Wydad-Raja… J’ai eu la chance d’entraîner les gros clubs du continent, donc en matière d’émotions, de qualité de jeu, de stades, de ferveur, c’est impressionnant. J’invite n’importe qui à venir vivre ça.
Le match Nigeria-RDC, qualificatif pour le Mondial, n’est peut-être pas finiPropos recueillis par Quentin Ballue et Kevin Mbundu




























