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Suspension d’Israël : pourquoi ça coince ?
Alors que le gouvernement israélien perpétue sa politique génocidaire dans la bande de Gaza, les différentes sélections sportives israéliennes continuent à disputer des compétitions internationales, sans (pour le moment) être inquiétées par d’éventuelles sanctions. Une impunité qui n’a pas l’air d’embêter la FIFA et les hautes instances, bien au contraire.

Le 6 juin dernier, en Estonie, Israël obtenait une précieuse victoire (3-1) dans la course à la qualification au Mondial 2026. Deuxièmes dans leur groupe de qualification, devant l’Italie qui a un match en retard, les Bleu et Blanc peuvent rêver de Coupe du monde, compétition qu’ils n’ont pas disputée depuis 1970. Mais pendant ce temps-là, à 3 094 kilomètres, le gouvernement israélien continue ses actes génocidaires dans la bande de Gaza. Depuis plus de 17 mois, Benjamin Netanyahu & Cie ont transformé la bande de Gaza en enfer sur terre, multipliant les bombardements et utilisant la famine comme arme de guerre. À l’heure actuelle, on compterait depuis octobre 2023 plus de 56 156 de morts (dont 15 613 enfants) dans la bande de Gaza d’après l’UNICEF, alors que 100% de la population est menacée de famine, comme l’avance l’ONU.
Alors comment imaginer les clubs et les sélections sportives israéliennes continuer à participer à des compétitions internationales, comme ce fut le cas lors des derniers Jeux olympiques ? « Lorsqu’une institution reçoit plusieurs preuves et décide délibérément de ne pas prendre de mesures et protège un contrevenant, elle ne devrait pas s’étonner que le mot “complicité” lui soit attribué », s’insurge Susan Shalabi. La vice-présidente de la Fédération palestinienne de football (PFA) et rapporteuse du dossier israélien à la FIFA pointe du doigt l’inaction des hautes instances, notamment la FIFA : « En se montrant silencieuse et en n’agissant pas, la FIFA cautionne en quelque sorte les actions d’Israël, c’est un vrai problème. » En effet, la FIFA et les hautes instances sportives n’ont pris – pour le moment – aucune mesure, ni sanction à l’encontre de la fédération israélienne (IFA).
De 2015 à aujourd’hui, la FIFA fait la sourde oreille
Si la riposte sanglante après le 7 octobre de l’État israélien a remis sur le devant de la scène la question de la légalité de l’IFA à disputer des compétitions internationales, en réalité, son homologue palestinienne travaille sur le dossier depuis plusieurs années. En mars 2015, déjà, elle avait soumis une demande auprès de la FIFA, estimant qu’Israël viole la charte étique. « Il existe de multiples raisons, et une abondance de preuves, qui justifient la suspension ou l’expulsion d’Israël par la FIFA, depuis plusieurs années déjà », estime Nick McGeehan. Pour le directeur de FairSquare, organisation à but non lucratif de défense des droits humains, le point important à prendre en considération est l’article 64 du manuel juridique de la FIFA. « Cet article souligne qu’il est interdit de jouer des matchs sur le territoire d’une autre équipe sans son autorisation, ce que fait Israël, en Cisjordanie. Et tout ce que la FIFA doit faire dans ce cas, c’est simplement appliquer cette règle. Or, elle ne le fait pas. » En effet, six clubs israéliens évolueraient actuellement en Cisjordanie qui, pour une bonne partie, comme le souligne la Cour pénale internationale, est considérée comme une colonie israélienne.
Ce que nous demandons est simple : que la FIFA applique ses propres statuts face à des violations graves et manifestes de la part de la Fédération israélienne, des violations qu’elle n’accepterait jamais d’un autre membre.
C’est justement sur ce point qu’en mars 2017, la PFA a de nouveau déposé une motion visant à interdire l’IFA de jouer en Cisjordanie occupée. En octobre de la même année, la direction de la FIFA a rendu son verdict : aucune sanction à l’encontre de la fédération israélienne de football. « Étant donné que le statut final des territoires de Cisjordanie relève de la compétence des autorités internationales compétentes en matière de droit public, le Conseil de la FIFA convient que la FIFA, conformément au principe général établi dans ses statuts, doit rester neutre sur les questions politiques », disait le communiqué de la FIFA publié à l’époque. « La FIFA néglige totalement le dossier israélien depuis de nombreuses années, à ce stade, elle pourrait figurer dans le Guinness Book des records pour lenteur institutionnelle », essaye d’ironiser Susan Shalabi. Elle ajoute : « Ce que nous demandons est simple : que la FIFA applique ses propres statuts face à des violations graves et manifestes de la part de la Fédération israélienne, des violations qu’elle n’accepterait jamais d’un autre membre. »
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Ces derniers mois, Susan Shalabi et ses collègues sont revenus à la charge. En mai 2024, la PFA a présenté des arguments pour sanctionner à nouveau l’IFA, invoquant des violations du droit international, notamment concernant les massacres contre la population gazaouie, l’inclusion continue d’équipes israéliennes basées dans les colonies et l’incapacité de l’IFA à lutter contre la discrimination raciale. Une demande renouvelée en juillet et en octobre. À chaque fois, la FIFA décide de botter en touche. Contactée, celle-ci nous assure pourtant « ne pas prendre ce dossier à légère » et que « des discussions sont actuellement en cours, et des décisions seront prises dans les prochaines semaines ». Mais pour Susan Shalabi, ces réponses de la FIFA s’apparentent à un pitoyable outil de communication : « La fédé israélienne continue de mettre en œuvre l’apartheid dans les stades de football en Cisjordanie, ignore le racisme (plusieurs organisations israéliennes ont documenté près de 483 incidents violents et racistes de la part des clubs et des supporters à l’encontre du peuple palestinien, notamment le Beitar Jésuralem, NDLR), tout en occupant et annexant illégalement le territoire footballistique palestinien. Nous devons nous demander, que faut-il de plus avant que l’instance dirigeante internationale du football ne prenne des mesures ? », se questionne la vice-présidente palestinienne.
FourSquare: FIFA enforces rules selectively, bending them for allies, ignoring violations when convenient: it continues to tolerate Israeli clubs based in illegal settlements, violating its own statutes. Governance failure isn’t a bug. It’s the system. #FIFA #HumanRights pic.twitter.com/E0Iw83xe2q
— Susan Shalabi (@SusanShalabiMol) May 27, 2025
Un constat partagé par Nick McGeehan : « La FIFA applique le règlement seulement quand cela l’arrange. Israël viole de manière flagrante le règlement de la FIFA et, plus généralement, le droit international. Nous parlons d’un État qui pratique l’apartheid contre la population palestinienne. Ce n’est pas une affirmation farfelue. C’est un argument soutenu par les tribunaux et par les ONG les plus crédibles au monde. Compte tenu de la situation actuelle à Gaza et en Cisjordanie, il s’agit simplement d’un argument de bon sens selon lequel le pouvoir du sport pourrait être utilisé efficacement pour contenir Israël. » Avec son association FairSquare, Nick a transmis à la FIFA un dossier complet prouvant l’illégalité de la fédération israélienne de football. « Nous affirmons qu’il existe de multiples raisons, et une abondance de preuves, qui justifient la suspension ou l’expulsion d’Israël par la FIFA. Le dossier en faveur de l’expulsion d’Israël est extrêmement solide. Le refus de la FIFA de l’examiner témoigne, selon moi, du fait que, politiquement, elle ne souhaite pas traiter ce sujet. Nous avons contacté la FIFA à de nombreuses reprises, sur de nombreux sujets, comme le Qatar 2022, et bien d’autres, mais jamais ils ne nous ont répondu. » Un silence accablant.
La FIFA applique le règlement seulement quand cela l’arrange. Nous parlons d’un État qui pratique l’apartheid contre la population palestinienne. Ce n’est pas une affirmation farfelue.
Lors du 75e congrès de la FIFA, organisé en mai dernier au Paraguay, il a été notamment question de la fédération israélienne de football et de possibles sanctions. Un congrès où était notamment présente Susan Shalabi. Une nouvelle fois, les voix palestiniennes sont rentrées dans une oreille et sorties par l’autre. « C’est difficile, car on a l’impression de ne pas être écoutés et respectés, d’autant plus que cela sape la crédibilité même d’une institution qui prétend défendre la justice, l’égalité et le fair-play, constate Mme Shalabi. Comment la FIFA peut-elle parler de “tolérance zéro” tout en tolérant l’impunité de manière sélective ? J’aimerais savoir et comprendre, les preuves sont accablantes. Ce qui manque, c’est le courage moral. » Plusieurs fois par le passé, la FIFA a pourtant montré qu’elle était capable d’appliquer rigoureusement son règlement, en atteste l’exemple de la Russie. Une justice à deux vitesses ? Pour la vice-présidente de la PFA, c’est tout comme : « Appelons cela par son nom, c’est une inégalité structurelle. Qu’elle découle d’un biais géopolitique, de pressions commerciales ou d’autres raisons, c’est à la FIFA de s’y confronter. Mais l’effet reste le même, c’est une application inégale de la justice. »
Une suspension impossible ?
Demander une sanction, mais laquelle ? « La sanction qui ferait le plus mal à Israël serait la suspension de la FIFA ou de l’UEFA », déclarait il y a quelques semaines Ilan Pappé. L’historien israélien et auteur de plusieurs livres sur la question palestinienne, notamment Le Nettoyage ethnique de la Palestine (aux éditions La Fabrique), souligne l’importance d’une possible sanction des instances sportives internationales. Pour Nick McGeehan, une suspension de l’IFA pourrait avoir un impact sur la politique israélienne, prenant en exemple l’Afrique du Sud qui, durant l’apartheid, a été suspendue par la FIFA de 1961 à 1992 : « L’idée n’est pas de dire que c’est simplement la suspension de la FIFA qui a mis à terre l’apartheid en Afrique du Sud, mais cela a eu un impact. Je pense qu’ici, ce serait également le cas. » Mais Israël n’a pas le même poids sur l’échiquier mondial que l’État sud-africain. « Israël bénéficie d’une certaine impunité, continue McGeehan. On sous-estime l’impact qu’aurait une telle mesure. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles la FIFA ne souhaite pas envisager cette suspension, car elle subirait d’énormes pressions, tant de la part d’Israël que de ses alliés, que ce soient les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore la France. »
Le silence face à une tragédie humaine de cette ampleur n’est pas seulement blessant, il est honteux. Le monde du football ne peut pas rester sourd aux valeurs qu’il prétend défendre.
Bien qu’Israël viole le droit international et ne respecte pas les règles éthiques de la FIFA, pourquoi celle-ci n’est pas sanctionnée ? Officiellement, seulement 12 fédérations de football* soutiennent la PFA dans ses démarches et exigent la suspension d’Israël. Un manque de soutien considérable et qui a une influence directe sur la décision de la FIFA selon Nick. « Les fédérations consultent leur gouvernement avant de prendre de telles décisions et s’alignent avec celui-ci. Autrement dit, la FFF est alignée sur le gouvernement français sur ces questions-là. C’est une question hautement politisée, et aucune fédération ne prendra une position qui irait à l’encontre de son gouvernement sur une question d’une telle importance politique », souligne le président de FairSquare.
Un constat partagé par Susan Shalabi : « Plusieurs fédérations subissent des pressions politiques. Des responsables de plusieurs associations m’ont directement confié qu’ils dormiraient mieux si la FIFA ou l’UEFA prenaient des mesures. Mais ils ne peuvent pas prendre des mesures unilatérales sans conséquences. » Pour le président de FairSquare, la solution pourrait être un vote à réponse binaire au prochain congrès de la FIFA : « Ce serait très intéressant de voir les réponses des fédérations, car il faudrait simplement répondre par oui ou non. Comme tous les faits plaident en faveur d’une suspension, je pense qu’Israël craint réellement qu’une grande partie des fédérations nationales vote en faveur de leur suspension si cela arrivait au vote. »
Toujours est-il qu’à l’heure actuelle, la fédération palestinienne de football se bat seule : « Le silence face à une tragédie humaine de cette ampleur n’est pas seulement blessant, il est honteux. Le monde du football ne peut pas rester sourd aux valeurs qu’il prétend défendre », témoigne Susan Shalabi qui, néanmoins, ne désespère pas : « Tôt ou tard, Israël sera sanctionnée. Si ce n’est par principe, ce sera sous la pression. La FIFA ne pourra pas indéfiniment esquiver ses propres règles ni le regard du monde. » Du côté de la FIFA, on nous explique que « la priorité est actuellement la Coupe du monde des clubs et que nous sommes concentrés sur celle-ci. » Ce qu’on appelle le sens des priorités.
Yossi Benayoun visé par une attaque à la grenade en IsraëlPar Tristan Pubert
Propos de Susan Shalabi et Nick McGeehan recueillis par TP.
* Algérie, Arabie saoudite, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Mauritanie, Oman, Qatar, Syrie et Yémen.