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Lucile Guillotin : « J'ai annulé mes vacances, mais c'est la chance d'une vie »

Propos recueillis par Jérémie Baron

Elle est la voix qui accompagnera l'équipe de France en Australie et en Nouvelle-Zélande : à 44 ans, Lucile Guillotin a été choisie par France Télévisions pour commenter les matchs des Bleues, entre autres. Une superbe opportunité pour cette amoureuse du foot, du RC Strasbourg et d'Éric Cantona.

Lucile Guillotin : « J'ai annulé mes vacances, mais c'est la chance d'une vie »

Tu as beaucoup commenté à la radio. Mais à la télévision, c’est une première ?

J’ai suivi le Racing Club de Strasbourg pendant dix saisons sur France Bleu, de 2010 à 2016. À la télé, j’ai fait du multiplex en Coupe de France. Mais sinon, en intégral, ce sera effectivement une première.

Tu t’imaginais, un jour, commenter les Bleues ?

Non. Je ne pensais jamais faire de télé, déjà. J’avais une voix assez grave donc en radio, ça te permet de percer un peu plus facilement quand tu es une nana. Moi, je ne voulais pas faire de télé, ça n’était pas mon trip. Les Bleues, je ne l’imaginais pas une seule seconde.

Tu avais suivi la Coupe du monde, en 2019 ?

Oui. Pas pour le boulot, mais personnellement. Surtout les Bleues. Je suis une grande malade de sport, je regarde beaucoup de sport à la télé. Et puis, c’était en France, et tu te sens plus concerné quand c’est chez toi. Je pensais qu’il y aurait plus de retombées après, j’étais un peu déçue. C’était quand même une belle Coupe du monde.

Comment tu juges l’évolution du foot féminin dans le pays, depuis 2019 ? On a la sensation que la France n’a pas réussi à surfer sur la vague.

Je trouve que c’est catastrophique. Les joueuses le disent. Comme (Ada) Hegerberg, il n’y a pas longtemps : plus ça va, et plus on est en retard. Je pensais vraiment que ça allait accélérer le processus pour la professionnalisation, parce qu’on a des filles qui ont encore des contrats fédéraux. On nous parle de la ligue professionnelle en 2024, et ça va normalement voir le jour avec Aulas. Mais quand tu vois que les Italiennes sont professionnelles depuis l’année dernière, quand tu vois les affluences en Espagne et en Angleterre comme en FA Cup où tous les stades étaient blindés cette année… C’est juste hallucinant. En France, les retransmissions et les terrains sont catastrophiques. Les affluences, on n’en parle même pas. Il n’y a aucune valorisation du foot féminin et même en matière de licenciées, il n’y a pas eu de rebond. On a obligé tous les clubs pros à créer une section féminine, mais je suis quand même déçue. Cette année, on n’a pas eu de club finaliste en Ligue des champions. Ni Lyon ni Paris. C’est plutôt inquiétant.

Oui, les filles vont moins vite. Oui, il y a moins d’agressivité et d’impact. Mais ça reste du foot, avec un autre style de jeu.

Tu te sens investie d’une mission, à l’occasion de cette Coupe du monde, pour accentuer l’intérêt du public pour le foot féminin ?

Investie d’une mission, c’est un peu fort. Ce qui m’agace vraiment, c’est quand on compare le foot féminin et masculin. Ce n’est que dans le foot : on ne compare pas dans le basket, le hand ou le rugby. Ça me gonfle, j’entends ça depuis 40 ans. Oui, les filles vont moins vite. Oui, il y a moins d’agressivité et d’impact. Mais ça reste du foot, avec un autre style de jeu. Ça pose un problème que les filles jouent différemment des garçons. Quand tu vois les Américaines jouer, c’est fantastique, elles ont des joueuses de grand talent. Du côté du Brésil aussi, du Japon… Il y a quand même du niveau. Donc moi, c’est plutôt ça : j’espère très humblement montrer aux téléspectateurs que le foot féminin est aussi plaisant à voir, attrayant. Un foot à part, avec d’autres caractéristiques qui sont propres aux filles. Quand je jouais petite, c’était pareil. On en est au même point, ça n’a pas du tout évolué en France. Les mentalités sont toujours les mêmes. Je ne suis pas féministe, donc ce n’est pas un combat. Mais je trouve ça dommage. Quand tu voyages un peu, tu n’entends pas ce genre de discours. Dans les pubs en Angleterre, jamais on ne te parle de ça comme en France !

Tu as joué dans des équipes de mecs ?

J’ai commencé dans les années 1980 dans le Calvados dans des équipes de village, donc on était plusieurs nanas à jouer dans des équipes de garçons. À l’adolescence, tu ne peux plus jouer avec les garçons. J’étais interdite de jouer, donc j’ai mis le foot en stand-by pendant trois ans et j’ai fait d’autres sports à côté. Ensuite, j’ai intégré des équipes de filles en région parisienne. Il y en avait beaucoup moins qu’aujourd’hui, mais je n’ai jamais eu de mal à trouver un club.

Le grand public va découvrir la plupart des joueuses de cette Coupe du monde. Ça rajoute une difficulté, ça aussi ?

C’est compliqué de trouver des infos sur les joueuses. Pour le match d’ouverture entre la Norvège et la Nouvelle-Zélande, il faut s’accrocher ! La difficulté, c’est de parler de ces équipes-là aux téléspectateurs. Savoir comment elles jouent, quel jeu elles proposent, quel style… Heureusement, je vais pouvoir m’appuyer sur Louisa (Necib) et sur d’autres filles. Les équipes étrangères, à part pour la Coupe du monde tous les quatre ans, on ne les a jamais vues jouer.

Combien de matchs tu vas commenter ?

J’en commente 11, sur les 32 que va faire France TV.

Je cochais des cases, on ne va pas se mentir : j’adore le foot, j’ai fait du commentaire et je suis une nana.

Comment tu expliques que les droits TV ont mis autant de temps à trouver preneurs ?

Au départ, la FIFA n’a pas joué le jeu. Il y a quand même un décalage horaire monstrueux, ça ne rend pas les matchs attrayants pour les chaînes françaises. Donc personne ne s’est vraiment battu pour les avoir, et ça a traîné. J’ai hâte et je suis très fière de commenter le match États-Unis/Pays-Bas, mais il va malheureusement être à trois heures du matin. Alors que c’est le remake de la dernière finale, donc l’un des plus beaux matchs de poules. Quand tu entends ce qu’Infantino demandait… Les recettes publicitaires, ce ne sont pas les mêmes. Les droits télé sont de plus en plus chers, globalement. Aujourd’hui, il faut être filou pour avoir les bonnes compétitions.

Quand est-ce que tu as été prévenue que ce serait toi, et quand est-ce que ça a été décidé ?

À l’arrache totale. Mais comme tout le monde, en fait. Il y avait plusieurs questions : est-ce qu’on va faire des matchs, et combien ? La répartition, de qui fait quoi entre M6 et France TV, ça a été très long. Ensuite, qui fait quoi, pour nous à France TV ? Donc finalement, ça ne fait même pas trois semaines. J’ai annulé mes vacances, mais ça n’est pas grave : une Coupe du monde, c’est tous les quatre ans et c’est aussi la chance d’une vie de faire ça.

Tu as dit au Parisien que c’était une prise de risque de te choisir, car tu étais une « nobody ».

Je suis une nobody(Rires.) Ça n’est pas de la fausse modestie. À Radio France, j’étais un peu connue, car j’avais commenté l’Euro 2016. D’ailleurs, j’avais fait le groupe de la France. J’ai pas mal commenté le Racing, aussi. Mais en télé, personne ne me connaît. J’étais aux sports depuis dix mois (pour l’émission Stade 2), ça se passait bien, donc ils m’ont proposé. Je ne suis pas sûre que dans d’autres chaînes, ils auraient osé faire ça. Tu vas plutôt choisir un nom, choisir quelqu’un habitué en télé depuis longtemps. Mais pas une nana qui a certes fait dix ans de commentaire, mais est inconnue du grand public.

Ils étaient dans l’optique de mettre une femme pour commenter cette Coupe du monde féminine ?

Je cochais des cases, on ne va pas se mentir : j’adore le foot, j’ai fait du commentaire et je suis une nana. J’ai fait un remplacement à Stade 2, cette année. Si j’avais été un homme, je ne sais pas s’ils m’auraient pris. Mais je ne me suis pas posé cette question, je pense que ça les arrange, et la diversité est importante à France TV.

Au-delà du commentaire, j’aimais vraiment le personnage de Gilardi : il avait de la gouaille, il était bon, il avait une super voix, il avait une gueule.

Les matchs de préparation des Bleues sont sur W9, tu n’auras donc pas d’entraînement avant le début de la compétition ?

Non, donc je regarde attentivement les matchs ! (Rires.) Les joueuses de l’équipe de France, je les connais bien et j’adore les matchs de Ligue des champions féminine. Les Bleues, que ce soit du hand, du basket ou du foot, je regarde toujours de toute façon. J’ai presque moins d’appréhension pour les matchs des Bleues que pour les autres matchs, en fait. Parce que la Nouvelle-Zélande, par exemple, je pars de zéro. J’aurai la chance d’avoir avec moi Louisa Necib, une joueuse majeure des deux dernières décennies en France. Son expérience va beaucoup m’apporter. Je vais aussi faire quelques matchs avec Laëtitia Philippe, et peut-être avec Charlotte Lorgeré. Toute seule, ce serait très compliqué.

Vous vous connaissiez, avec Louisa ?

Je l’ai connue en tant que joueuse, elle était brillantissime. Mais on ne se connaît absolument pas, on a prévu de s’appeler. Je vais lui dire ce que j’attends d’elle, c’est-à-dire revenir techniquement sur les actions. Même si on est sur le service public, donc je veux que ça reste grand public malgré tout. Qu’elle trouve sa place à mes côtés, aussi. Le premier match, on risque d’être sur un fil, mais c’est le jeu.

Tu as des modèles dans le commentaire sportif, que ce soit en radio ou télé ?

Je regardais beaucoup Canal quand j’étais petite, parce que j’étais fan de Canto. Comme il jouait en Angleterre, je regardais tous les matchs de Manchester. J’avais 14, 15 ans. Du coup, j’aimais beaucoup (Thierry) Gilardi. Au-delà du commentaire, j’aimais vraiment le personnage : il avait de la gouaille, il était bon, il avait une super voix, il avait une gueule. Ce n’est pas vraiment un modèle, mais c’est le commentateur que je respecte le plus.

Tu as suivi Cantona toute sa carrière ?

Oui ! À chaque fois que je changeais de club, je voulais toujours le numéro 7 comme Canto. Je jouais plutôt ailière, ou milieu de terrain. J’adorais son style de jeu, il était différent. Je collectionnais tout : j’enregistrais L’Équipe du dimanche sur les VHS, tous les passages de Cantona… J’ai toutes ses biographies, j’ai compilé tous ses buts, je les ai regardés maintes et maintes fois. J’ai croisé pas mal de gens célèbres, dans ma vie. Mais quand je l’ai rencontré, j’étais totalement tétanisée. C’était mon idole.

J’ai des milliards d’anecdotes – que je ne dirai jamais publiquement – de confrères odieux avec moi.

À la radio, tu as connu de la misogynie de la part des auditeurs. Là, l’audience sera plus grande. Tu as peur que ça se reproduise ?

Non, je n’ai pas peur parce que je sais qu’il y en aura et je m’y attends. Les fans non plus n’ont pas changé, c’est une réalité. J’ai des milliards d’anecdotes – que je ne dirai jamais publiquement – de confrères odieux avec moi, aussi. Ça a un peu changé, car dans les tribunes de presse, tu as maintenant un peu plus de nanas. Mais je suis allée voir l’équipe de France lors des deux derniers matchs au Stade de France et sur 80 journalistes, on était deux filles. Ça me faisait mal, quand j’avais 25 ans. J’en ai maintenant 44, ça me passe au-dessus.

Tu es devenue une fan du RC Strasbourg par ton travail, mais tu as aussi eu le Red Star et le PSG…

Je suis née en région parisienne dans le Val-d’Oise, avec des parents de Seine-Saint-Denis. Donc le Red Star, dans la famille, ça avait une résonance. Ma mère vient d’un milieu ouvrier, assez modeste. C’est l’étoile rouge, quoi ! J’ai aussi un grand frère qui était fan du PSG, mais qui ne l’est malheureusement plus. Comme d’autres, qui sont dépités de Paris. J’accompagnais mon frère à Auteuil dans les années 1990 avec la belle génération de Raí, Valdo, Le Guen, Guérin, Lama… C’était fabuleux ! J’ai aussi beaucoup aimé le Stade Malherbe Caen, j’y allais petite à Venoix avant qu’ils soient à D’Ornano. Il y a beaucoup de clubs que j’aime en France, je ne suis pas fan d’un club en particulier.

Tu as suivi la remontée du Racing depuis la CFA2.

J’ai fait Ligue 2, Ligue 1, Ligue 2, National, CFA2, CFA, National, Ligue 2. J’ai vécu le meilleur comme le pire du Racing. Quand on donne les clés à quelqu’un qui veut faire de l’argent, qui n’a aucune feuille de route et qui ne comprend rien à rien… On voit ce qu’il se passe à Sochaux, en ce moment. Quand on a repris et que j’ai dû aller commenter le match à Forbach, ça m’a fait tout drôle. J’ai 8000 histoires à raconter là-dessus, je regrette juste de ne pas avoir pris des photos de mes périples à l’époque pour faire un petit carnet de voyage. J’ai fait plein de stades en France, de la CFA2 à la Ligue 1, et c’était fou. J’en garde de très bons souvenirs. J’ai découvert des endroits improbables : le stade de Pacy-sur-Eure, je t’invite à y aller. (Rires.) Ou le CA Bastia, c’est pas mal. Le meilleur souvenir, c’est quand on apprend que le club va redevenir professionnel. Le match de la montée contre Metz, c’était un feu d’artifice à la Meinau. Avant, il n’y avait pas cette ferveur au Racing : quand le club a déposé le bilan, les supporters se sont approprié leur club. Ça a fait grandir le club. Strasbourg, c’est le club de la région avec une vraie identité.

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Propos recueillis par Jérémie Baron

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