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Le Paris FC, un autre terrain de soft power dans la capitale

Par Rémi Guyot
9 minutes

Le deuxième club de football de Paris, le Paris Football Club, a officiellement été racheté par la famille Arnault et Red Bull. Bahreïn revend donc ses 15% de parts acquises depuis 2020, selon les chiffres donnés par Pierre Ferracci. Mais derrière cette vente se cache une stratégie de soft power bien aiguisée.

Le Paris FC, un autre terrain de soft power dans la capitale

Quand la famille Arnault s’allie à Red Bull pour racheter le Paris FC, ce n’est pas qu’une simple affaire de gros sous. C’est un coup de théâtre dans le football français… et un match diplomatique à part entière. Car derrière cette opération, c’est une vieille rivalité du Golfe qui s’invite sur le terrain. Si le Qatar est bien ancré à Paris depuis 2011, Bahreïn avait investi à sa manière, symbolique et prudente, au Paris FC en 2020. L’arrivée de nouveaux investisseurs sonne l’heure du projet rêvé pour Manama. « Bahreïn a vite compris la dimension que prenait le projet. Les 15% de parts qu’ils détenaient étaient symboliques, il y a eu plus de résistance de la part d’autres actionnaires », indique Pierre Ferracci, président du Paris FC.

Bâti sur des bases saines, le Paris FC s’est reposé sur Bahreïn pour se structurer lors de ces quatre dernières années. Son budget est passé de 14,5 millions avant l’arrivée des Bahreïnis à environ 25 millions en 2023-2024, selon L’Équipe et Eurosport. Le Paris FC avait tout pour connaître tôt ou tard une accélération dans son projet, et conjuguer réussite économique et géopolitique. Alors pourquoi le prince Nasser ben Hamed Al Khalifa, président du conseil de la Jeunesse et des Sports, décide de quitter le capital du club au moment où tout s’accélère ?

Rivalité régionale et sportwashing

Le fonds souverain bahreïni avait investi, toujours selon le quotidien, 5 millions d’euros en 2020 pour acquérir 20% de parts dans le club qui siège désormais à Orly (Val-de-Marne). Une maigre somme face au milliard d’euros dépensé au PSG par son rival régional, le Qatar. Pourtant cet investissement, aussi faible soit-il, est aujourd’hui en mesure d’embêter Doha. « La rivalité remonte aux luttes princières des Al-Thani (Qatar) face aux Al-Khalifa (Bahreïn). Une rivalité d’ego subsiste encore du côté de Manama », pose Raphaël Le Magoariec, géopolitologue spécialiste du Golfe. À ce jour, après la colonisation britannique et les luttes territoriales autour d’Al-Zubarah et des îles Hawar, les tensions restent vives. Bahreïn, globalement aligné sur les EAU et l’Arabie saoudite, voit d’un mauvais œil l’influence régionale et mondiale du Qatar. Manama avait par exemple participé au blocage diplomatique de 2017.

Le seul moyen de s’aligner sur les mêmes terrains que le Qatar, c’est à travers le sponsoring.

Raphaël Le Magoariec, géopolitologue spécialiste du Golfe

Avec la montée des investissements dans l’univers du sport, l’arrivée de Bahreïn à Paris n’avait rien d’un hasard. Il faut cependant relativiser son importance. L’objectif n’était pas de faire un PSG-bis. « J’ai personnellement effectué les démarches pour proposer au Royaume de Bahreïn de rejoindre notre projet, rappelle Ferracci. Ils ne sont pas venus toquer à la porte directement. » Un investissement qui se révèle particulièrement intéressant à l’heure du rachat, alors que la pétro-monarchie ne peut pas rivaliser avec la manne financière de ses concurrents régionaux. Le pays compte un PIB de 43 milliards de dollars en 2023, contre plus de 194 milliards de dollars pour le Qatar, d’après les chiffres de la Banque mondiale.

Bahreïn tente malgré tout d’améliorer son image internationale, souvent critiquée pour ses manquements aux droits humains. « Cheikh Nasser s’occupe du volet sportif au Bahreïn, mais c’est également un militaire réputé pour ses méthodes répressives, précise Raphaël Le Magoariec. Investir au Paris FC n’est pas un hasard, mais il adopte plus une posture, qu’un véritable moyen de rivaliser. » Alors que pour Antoine Arnault, la volonté est de « rendre à la société ce qui lui a été donné », comme il l’a déclaré en conférence de presse. Ce rachat du Paris FC dépasse ainsi le simple cadre d’une rivalité entre deux pétro-monarchies : il illustre parfaitement la manière dont le « sportwashing » s’articule autour d’intérêts partagés, mêlant enjeux d’image, pouvoir et influence.

Paris, un acteur clé

L’arrivée d’investisseurs comme la famille Arnault et Red Bull aurait pu inciter Bahreïn à rester actionnaire du club, afin d’optimiser sa réussite financière. Mais le choix de vendre ses parts s’inscrit dans une négociation plus large entre des partenaires qui collaborent par ailleurs sur d’autres terrains, notamment en Formule 1, où LVMH est partenaire et où Bahreïn accueille un Grand Prix. Le projet porté aujourd’hui par Red Bull et par le fonds Elysian Park, cofondé par Antoine Arnault, vise à faire du Paris FC un club laboratoire pour le développement global de jeunes talents, avec la volonté affirmée « d’être majoritaire au sein du club », selon les mots du fils Arnault lors de la conférence de presse annonçant ce changement. « Bahreïn ne peut s’aligner sur une stratégie comme celle du Qatar, qui jouit d’une puissance financière trop importante, analyse Raphaël Le Magoariec. Le seul moyen de s’aligner sur les mêmes terrains, c’est à travers le sponsoring. Vendre les parts, c’était donc l’occasion de se réaligner sur leur stratégie traditionnelle dans le sport. »

La sortie du capital coïncide avec un renforcement du sponsoring. C’était aussi important que les parts pour eux, voire plus.

Pierre Ferracci

Pierre Ferracci confirme : « La sortie du capital coïncide avec un renforcement du sponsoring. C’était aussi important que les parts pour eux, voire plus. Je reviens de Bahreïn avec un contrat de trois ans de sponsoring. » Le renouvellement du sponsoring, avec un contrat de trois ans, est un signal fort. À l’heure où le merchandising et le marketing sont des atouts marquants au PSG, Bahreïn tire les enseignements nécessaires. Exploiter un maillot parisien floqué de sa tour Eiffel est un élément d’influence surpuissant. En renforçant le sponsoring, Bahreïn s’assure une place centrale sur le maillot. La présence médiatique sera constante, frontale, et n’échappera à aucun fan de football.

Mais l’intérêt ne s’arrête pas là pour Manama. La cession de ses parts permettra d’accroître la pression sur Doha. Alors que le PSG semble plus proche que jamais de quitter le Parc des Princes, la mairie de Paris peut voir dans le PFC un nouveau locataire potentiel. Un moyen de pression non négligeable dans les négociations entre le PSG et la classe politique. Nasser Al-Khelaifi a (ré)affirmé fermement son intention de quitter la porte de Saint-Cloud, et de construire un nouveau stade, quelques jours après que l’information quant au rachat du PFC est sortie. Une chose est certaine, l’arrivée de nouveaux investisseurs du côté du PFC ne facilite pas la position du Paris Saint-Germain.

« Je regrette de devoir quitter Charléty qui a besoin de gros travaux pour accueillir un club de Ligue 1, répond Ferracci quant à l’intérêt qu’il porte au Parc des Princes. Nous déménagerons donc dès l’année prochaine à Jean-Bouin. Nous avons négocié avec le Stade français, qui joue également dans le stade. » À l’heure où le football devient un enjeu majeur de soft power, ce duel entre pétromonarchies illustre bien ces formes de rivalité qui se jouent sur les terrains de sport. Mais il révèle aussi combien la mairie de Paris occupe une place centrale dans cette partie d’échecs, cherchant son équilibre entre le rayonnement international de la capitale à la suite des Jeux olympiques de 2024, et la préservation de sa souveraineté. Entre ambitions sportives, diplomatie économique et stratégies d’image, Paris apparaît ainsi comme un acteur clé, où sport, politique et géopolitique se conjuguent. Les prochaines décisions participeront à la définition de la place de la métropole sur la scène géopolitique.

Vers un derby aux enjeux géopolitiques ?

D’un point de vue de sportif, depuis son arrivée en 2020, Bahreïn n’était pas parvenu à hisser le club en première division masculine. À l’issue d’une saison 2024-2025 serrée, le PFC verra finalement la première division française dès août prochain. Mais l’accession à la Ligue 1 n’est qu’une étape pour le PFC. Le club récemment acquis par l’une des familles les plus riches de la planète devrait se faire une place parmi les neuf plus gros budgets de la Ligue, avec une fourchette estimée à 80-100 millions d’euros, bien loin des plus de 800 millions d’euros du PSG. Abu Dhabi, avec Manchester City, a mis quatre ans pour remporter le championnat, et 15 longues années avant de remporter une Ligue des champions. Le Qatar aura mis 14 ans pour remporter la coupe aux grandes oreilles. Bahreïn devra donc se montrer patient avant d’atteindre les sommets, et rivaliser directement avec le PSG.

L’influence de Manama dans le club se destine également à être bien inférieure à celle du Qatar au PSG. « Auparavant, je me devais de rediscuter le contrat de sponsoring à la fin de chaque année », souligne Ferracci. La réussite relative qu’a connue le club jusqu’aujourd’hui dans sa gestion, sa stratégie et son recrutement dans ces dernières années, est donc plus à mettre au crédit du président actuel et ses équipes, qu’à Bahreïn à proprement parler. D’un point de vue marketing, le retard accumulé par le PFC face au PSG est titanesque. L’investissement du Qatar au PSG s’est accompagné d’une stratégie globale redoutable avec, entre autres, le développement de son championnat national, une stratégie de multipropriété et l’organisation de la Coupe du monde de football 2022.

Acquise pour 70 millions d’euros en 2011, la marque Paris Saint-Germain est devenue mondiale et représente 4,2 milliards de dollars selon Forbes en 2023. Le PSG est parvenu à créer un véritable empire marketing, et a participé à transformer le Qatar en hub mondial du sport. En début de saison, le projet du PSG semblait à bout de souffle — plombé par le départ de Mbappé et une série de fiascos sportifs et médiatiques. Mais sa victoire européenne est venue tout rebattre. Face à ce renouveau, le Paris FC ne peut plus se contenter de capter la frustration des supporters déçus du Parc. L’histoire partagée avec le « grand frère » et son image de club alternatif ne suffisent plus. Il lui faut désormais construire un véritable projet d’image, cohérent, lisible, ambitieux. À 44 mètres seulement du Parc des Princes, le stade Jean-Bouin symbolise mieux que jamais la proximité géographique… et l’écart symbolique entre les deux clubs. Reste à savoir si le PFC saura enfin sortir de l’ombre — ou s’il est condamné à y rester.

Par Rémi Guyot

Tous propos recueillis par RG

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