Laurent Roussey est-il un ASSE du coaching ?
Incroyablement sûr de lui, autoproclamé fin psychologue, l'énigmatique Laurent Roussey tente d'inculquer à son groupe une humilité qu'il semble lui-même bien incapable d'incarner. Les deux défaites successives de l'AS Saint-Etienne à Lens puis au Mans, après avoir chaque fois mené au score, ont provoqué un tollé nourri par de nombreux observateurs, circonspects devant les choix tactiques parfois hallucinants de l'ex-enfant prodige. Réponse du prince de l'autocritique : « Le doute ne m'effleure pas »... Portrait d'un mec qui nous dépasse.
Le parcours de Laurent Roussey est tortueux mais pétri de certitudes. La certitude de prendre les bonnes décisions. La certitude d’avoir foiré sa lune de miel avec l’histoire comme joueur. La certitude d’accomplir (un jour ?) une grande carrière d’entraîneur. Laurent Roussey est une météorite ambitieuse qui repousse toujours un peu plus l’inévitable crash. Son passé d’attaquant surdoué en atteste. A l’âge de 13 ans, il signe son premier contrat à Saint-Etienne malgré les réticences de ses parents, qui « avaient l’impression de vendre un paquet de lessive » .
En 1977, à 16 ans, La “Formule 1 Roussey” fait sa première apparition en D1 sous la tunique verte. Cinq ans plus tard et un titre de champion de France en poche (1981) – le dernier à ce jour de l’ASSE – il intègre l’équipe de France A le 6 octobre 1982. Des débuts tonitruants. Les Bleus arrachent une pauvre victoire face à la Hongrie mais “Lolo” surnage et plante son unique pion avec la bande à Platini. Une deuxième sélection contre les Pays-Bas en novembre consacre l’avènement d’un buteur élégant et racé. Puis, plus rien ou presque.
1983 : premier crash de la météorite. Roussey a les genoux en compote et s’exile à Toulouse, pleurant ses rêves envolés. Conscients de sa fragilité physique, les grands clubs européens ne viendront jamais le chercher. Roussey entame alors un long parcours du combattant qui le verra poser son sac à Toulon, Alès, Lausanne et enfin au Red Star. A 29 ans, le natif de Nîmes sèche ses larmes de crocodile et troque la chasuble contre la veste de survêt. Roussey déteste la facilité, laquelle s’accommode mal d’une carrière qu’il voit hors norme. Ses diplômes en poche, direction la Réunion…
Entraîneur. Une profession qui ne tolère a priori ni l’instabilité, ni la déloyauté. Mais Laurent Roussey manie l’art du contre-pied comme personne, si bien que les histoires rocambolesques ont jalonné un parcours d’éducateur pas vraiment paisible. Les anecdotes s’enchaînent comme des perles.
En 1998, “coach Roussey” navigue dans un FC Rouen en proie à de graves difficultés financières. Bon prince, il suit la déchéance du club normand en CFA2 et l’emmène jusqu’en quarts de finale de la Coupe de France.
En 2001, il est limogé par les dirigeants de Créteil pour « conflits internes » . C’est que le bonhomme veut être seul maître à bord et supporte très mal la contradiction. Belote et rebelote à Sion l’année suivante : ses ambitions n’admettent pas la moindre défaillance administrative. Les caisses du club sont vides ? Qu’importe : il accomplira son fabuleux destin dans des contrées où la médiocrité sportive et gestionnaire n’a pas droit de cité. Séduit par le discours de Claude Puel, il débarque à Lille pour en devenir l’entraîneur adjoint. Pour une fois, peut-être tétanisé par le magnétisme froid de l’ancien Monégasque, Roussey ferme sa gueule et surfe sur la réussite de son mentor. Quatre ans plus tard, retour au bercail, à Saint-Etienne, une ville qui respire l’humilité…sauf à Geoffroy-Guichard : « Avec Claude, tout s’est très bien passé, on a fait du bon travail. On continue de se parler. Nous sommes amis et nous le resterons. Lui et moi savons exactement quel a été notre investissement pour arriver à faire du LOSC ce qu’il est aujourd’hui » . La modestie, toujours…
Aujourd’hui, Laurent Roussey est l’entraîneur en chef d’une équipe adulée par des dizaines de milliers de supporters à travers l’hexagone. Sa soif de reconnaissance a trouvé un juste aboutissement. Les médias kiffent les Verts ? Ca tombe bien, Roussey adore les médias. Et ne loupe pas une occasion de faire parler de lui. La saison dernière, il a soigneusement savonné la planche d’Ivan Hasek. Trop bon, trop con, le Tchèque n’a pu contrarier le plan machiavélique échafaudé par son adjoint.
Roussey méprise son manque d’autorité et de discernement tactique dans les moments chauds et, beau parleur, n’éprouve aucune difficulté à manipuler le ciboulot des nouilles vertes. En bon donneur de leçons, Roussey fait encore tout le contraire de ce qui lui avait malencontreusement échappé. A son départ du LOSC, il claironnait : « Cette saison, on a joué quatre fois contre Saint-Etienne. On a bien observé et on a bien vu les faiblesses stéphanoises. Certaines valeurs ont fait défaut à l’ASSE ces derniers temps. Je pense à la combativité, l’humilité et la solidarité. Il nous tient à cœur de rétablir ces vertus-là » . Hasek a dû apprécier… Car les rapports humains, c’est apparemment son truc à “Lolo”. Et effectivement, la fratrie Roussey en connaît un rayon question dialogue. L’un, ancien handballeur, est désormais docteur en psychologie et maître de conférence, l’autre est psychologue scolaire. Mais “Lolo” possède aussi cette âme du DRH qui vénère les statistiques. Il veut tout contrôler : « J’aime m’appuyer sur un critère d’efficacité. Quand un club s’aperçoit d’un taux de recrutement de moins de 50%, il est satisfait. C’est aberrant ! Il faut aller plus loin. Etablir un portrait, définir un profil psychologique, d’adaptabilité – le signe d’intelligence – du joueur, de ce qu’il attend, ce qu’il est capable de faire. On va me traiter de fou mais j’ai envie d’aller au bout de mes idées. Les managers vont être moins heureux. Ils vous vendent des qualités qu’on voit à la télé » .
Une exigence pas tout à fait en adéquation avec ce qui se fait habituellement en matière de gestion de groupe. S’il donne parfois l’impression de faire n’importe quoi, Laurent Roussey ne supporte pas l’à peu près lorsqu’il juge la performance individuelle d’autrui. Et les attaquants en prennent pour leur grade. Tel un Raymond Domenech tutoyant les planètes pour faire entrer Govou à la 74e minute, Roussey a sa spécialité : le remplacement humiliant à la mi-temps (sept fois en quatorze journées de championnat), voire bien avant. Lors de la 6e journée, David Gigliotti s’emmêle les crayons dans la défense strasbourgeoise. La sanction tombe, implacable : l’ancien Troyen sort à la 20e minute et devra répéter ses gammes à l’entraînement pendant de longues semaines de purgatoire. Le cas Nilsson ? Une contradiction de plus au vu des déclarations publiques de “Lolo” concernant son joker suédois. Août 2007 : « C’est le profil de joueur que je recherchais pour compléter notre effectif. C’est un joueur de profondeur, qui a du coffre. Il va vite et est capable de répéter les efforts » .
La 7e journée voit un Nilsson combatif mais peu en réussite encaisser un véritable camouflet. Remplacé à la 44e minute. Octobre 2007 : « A travers ce qu’il me montre, Lasse n’est pas prêt à aller au combat en Ligue 1 » . Enfin, Roussey semble s’ingénier à mettre des bâtons dans les roues de son équipe quand la situation lui est favorable. A Lens, alors que les Verts mènent 2 à 0, il remplace Gigliotti par Nivaldo et fait monter d’un cran l’excellent Mustapha Baya Sall. L’harmonie de la charnière centrale se brise net. Nivaldo, sa tête et ses pieds carrés jouent à l’envers. 3-2 à Lens puis 3-2 au Mans : Saint-Etienne rate l’occasion de s’installer confortablement dans le haut du tableau. On attendait un minimum de remise en cause. Ce sera pour la prochaine fois : « C’est la première fois que je perds un match dans une position de supériorité numérique. Ça me contrarie. Il va falloir apprendre et vite » . Apprendre (des autres et de ses erreurs), un verbe que “Lolo” va devoir s’employer à conjuguer, et vite.
Pierre Arnaud
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