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Jusqu’où ira Messi ?
La nouvelle saison vient à peine de commencer en Espagne, et déjà, Leo Messi a multiplié les exploits histoire de montrer qu'il était toujours au top du hip-hop. Le génial Argentin en profite pour tordre le coup à cette idée que le football moderne empêche les prodiges du ballon rond de briller dans la régularité. La courbe de progression et l'efficacité de Messi n'auraient-elles donc aucune limite ?
Au mois de mai dernier, le FC Barcelone s’installe une nouvelle fois sur le toit de l’Europe, en dominant très nettement Manchester United au cours d’une démonstration technique de très haute voltige. Et Leo Messi, comme toujours, a affiché son nom sur la liste des buteurs. L’Argentin de 24 ans a fait taire les plus sceptiques (ceux qui restaient), tout au long d’une saison où la rivalité Barça/Real, plus aiguisée qu’elle ne l’avait été depuis longtemps, a inéluctablement tourné à l’avantage des Catalans, et donc de son numéro 10, qui en profitait pour mettre un point final aux éternelles polémiques l’opposant au seul joueur capable de lui tenir tête sur la scène mondiale, Cristiano Ronaldo. Barcelone remporte la Ligue des Champions, empoche la Liga et Leo Messi est le meilleur joueur du monde.
Depuis, le Barça est devenu une référence absolue, unanimement louée dans les médias, une source d’admiration inépuisable, prise en exemple à tout bout de champs. Les pisse-froid encore insoumis, insensibles au collectif impeccablement huilé des Catalans, si calculé et répété qu’il semble devenu mathématique et pauvre en prises de risques, et qui préfèrent le foot quand il met en scène du sang et de la sueur, ont perdu à peu près tout crédit. Parce que, face aux performances du Barça comme face aux exploits de Leo Messi, il arrive un temps où il ne s’agit plus que de s’incliner. Et alors que le FC Barcelone entame sereinement sa nouvelle saison à un train d’enfer, Messi est déjà en pleine bourre. Il n’a presque pas eu de vacances, après une Copa America disputée à domicile, en Argentine. Et pourtant, dès ses premières apparitions sous le nouveau maillot Qatar Foundation des Blaugranas, il enfile les buts comme des perles. Leo Messi est déjà là, fidèle à lui-même, et sa flamboyante réussite semble imperturbable aux contre-performances en équipe nationale, au manque de repos (pas moins de 55 matches par an), aux incertitudes qu’engendre inévitablement une nouvelle saison.
Géante, cette puce
Il paraît que le plus dur, c’est de confirmer. De faire fi de la pression, de l’attente que l’on a soi-même générée… Messi n’en finit plus de confirmer. Et le fait est que Messi n’a jamais été plus fort qu’aujourd’hui, alors que les yeux n’ont jamais été davantage braqués sur lui. Il sort à peine de deux saisons hallucinantes (il a empilé 100 buts tout rond et 36 passes décisives en deux ans) et, pas vraiment emmerdé, repart sur le même rythme. Mise en bouche au mois d’août, avec la Super Coupe d’Espagne, et un double affrontement contre le Real : la Pulga place trois caramels, dont un but délicieux dans les derniers instants du match retour, quelques secondes après l’égalisation de Benzema ; une-deux avec Adriano, reprise au premier poteau, et hop, le titre est au Barça. Dans la foulée, le FCB atomise Villarreal 5-0 et Messi part s’amuser avec la sélection argentine, où Alejandro Sabella semble plus que jamais lui avoir filé les clefs du camion. Pour une nouvelle passe décisive et un nouveau slalom entre tous les joueurs nigérians ou presque qui amène un autre but.
Mais plus encore que les stats, c’est l’efficacité de Leo Messi qui force le respect. On l’a bien ressenti l’an dernier face au Real Madrid, face à Manchester, face à Arsenal : plus rien ne semble pouvoir l’arrêter. Certains diront qu’il a progressé et qu’il parvient à briller lors des matches décisifs. En fait, il brille constamment, quel que soit le match, et l’opposition n’est jamais assez solide pour l’empêcher de filer au but. Existe-t-il une défense capable de prétendre à arrêter aujourd’hui la Pulga ? Messi cavale tête baissée jusqu’à son 3e Ballon d’Or consécutif (à moins que Rooney n’aligne cinquante buts et que Manchester gagne tous ses matches 8-2 jusqu’à la trêve hivernale), égalant ainsi les plus grands. Tout cela avec le sourire, à une époque où les visages sont fermés et la pression maximale sur le terrain ; Messi sourit tout le temps et écrase tout sur son passage. Et il a 24 ans. Seulement. Tout cela n’est pas un dithyrambe, ce ne sont que des faits. Mais jusqu’où peut-il courir ?
L’expérience des limites
Déjà, on ne le dira jamais assez, Leo Messi a sacrément de chance – comme tous les plus grands, au demeurant. Pas de blessure gravissime depuis qu’il fait partie du gratin du ballon rond (en septembre 2010, victime d’une soi-disant déchirure des ligaments internes et externes de la cheville, il est éloigné des terrains pour deux petites semaines à peine), ce qui est assez étonnant vu le style de jeu de la Pulga, tout en conduite de balle, en accélérations, en infiltration entre les défenseurs adverses, et le nombre de taquets qu’il reçoit dans les tibias à chaque match. Il n’est peut-être pas bien grand, mais physiquement, il est sacrément solide, et habitué à prendre des coups. Mais évitera t-il toujours les pépins physiques comme les défenseurs adverses aujourd’hui ?
De plus, tout semble lui réussir. Il est toujours là au bon moment et au bon endroit pour planter le but décisif qui fait basculer un match. Il est très rare qu’un poteau ou qu’un gardien en état de grâce lui résiste bien longtemps. Alors oui, c’est certainement parce qu’il est génial, et qu’il sait provoquer sa chance. C’est ce qui le rend si irrésistible, et si agaçant pour certains. Mais on ne peut s’empêcher de penser que cette réussite insolente ne sera pas éternelle. Comme tous les grands joueurs, il y aura des périodes de doute. Déjà, un mec qui est monté si haut, qui cale 50 buts par an, ne pourra que stagner ou régresser – du moins statistiquement, dans un premier temps. On peut légitimement se demander comment Leo gèrera cette situation… Comment réagira t-il sur le pré quand arrivera le jour où il sera – enfin – décevant ? Difficile de le dire. Mais cela arrivera. Comme arrivera le jour où le Barça ne sera plus si intouchable, et où les jambes de Messi ne lui permettront plus de larguer toute une défense en trois enjambées et autant de coups de rein.
Le gentil Barcelone ne triomphera pas éternellement face au méchant Real Madrid. Cela ne voudra pas forcément dire que Leo Messi a failli mais peut-être simplement qu’un cycle prendra fin. La chance de Messi a surtout été d’exploser à peu près en même temps qu’une équipe incroyable et qu’une génération d’Espagnols enfin conquérants. Oui, le Barça est devenu ce qu’il est aujourd’hui en partie grâce à Leo. Mais même sans lui, les Espagnols du Barça et leur collectif écrasant viennent de se goinfrer un Euro et une Coupe du Monde. Messi, dans sa carrière comme sur le pré, débarque toujours au bon moment…
Mais quand le Barça faiblira enfin (Puyol et Xavi ne sont plus si jeunes), où en sera Leo Messi ? A-t-on vraiment envie de le savoir aujourd’hui, finalement ? Qu’on soit admiratif ou réfractaire à ce que le FC Barcelone accomplit sur tous les terrains d’Europe depuis plus de trois ans, on a tout intérêt à se rappeler de ce jeu et de ces exploits : dans le foot, une telle période de grâce est tout à fait exceptionnelle. Et si Messi n’a pas le charisme des glorieux anciens, Maradona ou Cruyff, au hasard, il s’agit de ne pas se comporter en vieux cons aigris et nostalgiques, et de profiter. Parce qu’on sera triste, à coup sûr, le jour où Messi s’arrêtera de courir…
Julien Mahieu
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