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Jamie Cureton : « En Angleterre, tu n’es pas obligé de jouer en Premier League pour que l’on se souvienne de toi »
Jamie Cureton a 50 ans et un CV long comme le bras. De Norwich à QPR, en passant par Leyton Orient, Reading, Bristol ou Colchester, il a martyrisé les défenses aux quatre coins de l’Angleterre. Il est aussi et surtout le premier homme à marquer dans chacune des dix premières divisions. La légende des Kings revient sur son immense carrière.
Qu’est-ce qu’on ressent quand on écrit l’histoire du football ?
C’est un peu étrange. Je ne m’étais pas rendu compte de l’attention que cela susciterait. Bien sûr, j’imaginais qu’on en parlerait en Angleterre, mais ça résonne dans le monde donc je suis un peu sous le choc honnêtement ! Ça fait pas mal de temps que je ne joue plus au niveau professionnel, donc me retrouver sous le feu des projecteurs une dernière fois, c’est cool. J’ai fait plus d’interviews en une semaine que dans tout le reste de ma carrière ! Je suis fier d’avoir accompli ça, et reconnaissant de toutes les marques de sympathie que je reçois.
Tu as « fini le jeu » selon l’expression largement employée à la suite de ton but. La dernière fois qu’on a dit ça d’un joueur, c’était Lionel Messi, en 2022.
Il a quand même accompli plus de choses que moi ! (Rires.) Il a coché toutes les cases en remportant la Coupe du monde. Quand tu joues au foot, il y a toujours des objectifs que tu veux atteindre. Mon parcours m’a mené sur cette voie : marquer dans une dixième division différente, à mon niveau, c’était la dernière case à cocher. C’est sympa qu’on parle de moi en même temps que lui ou que Ronaldo. Je ne veux pas qu’on me compare à eux, mais ce jour-là, pendant quelques heures, j’ai réussi à placer mon nom dans cette catégorie parce que j’ai accompli quelque chose d’inédit. J’en profite !
HES DONE IT!!!!! CURETON!!! @JamieCuro makes English football history by scoring in all 10 divisions of the English footballing pyramid. Like a fine wine. He gets better with age! ITS 4-1! Get in!@dussyroversfc 1-4 @KingsParkRFC pic.twitter.com/FfVmtIykio
— Kings Park Rangers F(C) (@KingsParkRFC) October 25, 2025
Justement, il paraît que ton but a été vu plus de fois que le 950e de Cristiano Ronaldo.
Oui, c’est fou ! J’ai énormément de respect pour tout ce qu’il a accompli, tous les buts qu’il a marqués, c’est phénoménal. C’est bizarre de me dire que le mien a fait plus de vues que son 950e ! Je ne sais pas du tout comment l’expliquer, mais c’était drôle de voir les gens relayer ça. Mes enfants étaient contents de voir que j’étais célèbre sur TikTok. Ils sont plus fiers que leur père soit sur TikTok que du but en lui-même !
Je me suis déjà demandé à quoi ma carrière et ma vie auraient pu ressembler si j’avais dit oui à Manchester United à l’âge de 15 ans.
Tu ne savais vraiment pas que tu avais l’opportunité de marquer dans une dixième division différente en rejoignant les King Park Rangers il y a quelques semaines ?
Non, absolument pas. Je n’avais pas du tout en tête que l’équipe jouait dans un championnat où je n’avais jamais marqué (la Eastern Counties League Division One North, le dixième échelon national, NDLR). Ce n’est que quand je suis arrivé que le club a commencé à en parler. Moi, je voulais simplement jouer, prendre du plaisir. Je n’avais pas d’objectif ou de record en tête. Mais dès que je l’ai su, évidemment, c’est devenu un objectif, je voulais cocher cette case.
Puisque tu n’étais pas au courant de ce possible record, pourquoi tu as rejoint le club ?
Je voulais juste kiffer. Je connaissais quelques personnes ici, je voulais retrouver le plaisir d’être sur le terrain. Jouer à 50 ans, c’était aussi un petit défi que je m’étais lancé. Franchement, je me régale depuis que je suis là. J’ai gardé la même envie, le même amour pour ce sport, que je sois payé ou non, quel que soit le niveau ou le stade où je joue. Aujourd’hui, c’est un peu comme revenir là où tout a commencé : je ne joue pas pour l’argent, pour le prestige ou je ne sais quoi., mais simplement pour passer du temps avec des amis et pour l’amour de ce sport, qui m’a guidé toute ma vie. C’est une belle manière de boucler la boucle.

Tu as repoussé une approche de Manchester United quand tu avais 15 ans. Ça t’arrive de penser à ce qu’aurait pu être ta carrière si tu avais dit oui ?
Je n’ai pas de regret, mais oui, ça m’arrive d’y penser. J’aurais fait partie de cette Class of 92. Je me suis déjà demandé à quoi ma carrière et ma vie auraient pu ressembler si j’avais dit oui. On ne saura jamais : j’aurais pu être un très bon joueur et construire une meilleure carrière, ou peut-être pas. Je n’ai aucun regret, j’ai adoré tout ce que j’ai vécu. Mais c’est vrai qu’il y a toujours ce petit truc au fond de ma tête qui me dit : « Qu’est-ce qui serait arrivé si tu avais dit oui ? » Les choses sont ce qu’elles sont. J’ai pris une décision et j’ai suivi ma carrière.
Pourquoi tu as dit non ?
J’étais heureux à Norwich. J’étais bien installé, dans un très bon club, qui se battait pour le top 3 de la Premier League (3e place en 1992-1993, NDLR) et qui jouait l’Europe. Mon idée, c’est que j’aurais plus facilement des opportunités à Norwich plutôt qu’à Manchester United. C’est vraiment ce qui a pesé dans la balance. J’ai le même âge que Beckham, Neville, Butt, Scholes et tous ces joueurs, j’aurais pu faire partie de ce groupe, oui, mais j’estimais que j’aurais plus de chance d’intégrer l’équipe première à Norwich. J’avais 15 ans, il fallait que je fasse un choix, et j’ai choisi Norwich.
J’ai 50 ans, je n’ai aucune chance si je mange McDo avant un match.
Tu aurais eu une bonne connexion avec David Beckham ?
Oh oui, j’aurais marqué beaucoup de buts ! Sans aucun doute !
Quel type d’attaquant tu es ?
Je dirais que je suis un attaquant old school. Celui qui aime faire des appels dans le dos de la défense, qui reste aux abords de la surface, sans trop participer à la construction du jeu. Le genre d’attaquant qu’on ne voit plus trop aujourd’hui, hormis peut-être Jamie Vardy.
En ayant commencé ta carrière en Premier League, en 1994, ça n’a pas été difficile mentalement de descendre les échelons et de rester dans des divisions inférieures ?
C’est vrai, je pensais rester au top plus longtemps. Je pense que j‘étais assez bon pour jouer en Premier League. Quand j’étais jeune, je n’étais pas le plus grand des professionnels, je n’étais pas impliqué à 100 %. Je me reposais un peu sur mes lauriers, je ne travaillais pas autant qu’il l’aurait fallu. C’est sans doute pour ça que la Premier League a glissé entre mes doigts. J’ai longtemps évolué en Championship, puis entre la League One et la League Two. Ce n’était pas un problème, je prenais mon pied. Je pensais que mes capacités pouvaient me permettre de revenir en Premier League, mais j’ai manqué de professionnalisme quand j’étais plus jeune. Et pour rester au sommet, ou pour y retourner, il faut faire les bonnes choses.

En 2007, quand tu finis meilleur buteur de Championship avec Colchester, tu avais déjà pris conscience de tout ça ?
Oui, j’avais déjà changé à ce moment-là. Je m’entraînais plus dur, je travaillais plus. Cela explique que j’ai réussi une telle saison. Plus je vieillissais, plus je devenais exigeant avec moi-même car je voulais continuer à jouer. Être Soulier d’or du Championship, ça fait partie des choses dont je suis le plus fier. Je sortais de quelques saisons compliquées, c’était un grand moment pour moi, surtout que Colchester était plutôt attendu en bas de classement.
Pourtant tu as mangé au McDonald’s avant ton but historique avec KPR, non ?
Non, pas moi ! (Rires.) On a fait une petite pause et j’ai juste pris un café. Je suis trop vieux pour manger un McDo avant de courir sur un terrain, je ne peux plus faire ça. Certains ont pris à manger, mais ils sont beaucoup plus jeunes que moi, ils peuvent se le permettre. J’ai 50 ans, je n’ai aucune chance si je mange McDo avant un match.
Qu’est-ce que tu fais en dehors du foot aujourd’hui ?
J’ai bossé dans la livraison ces dernières semaines, notamment pour Josh (Pollard), le propriétaire des Kings Park Rangers. Je suis aussi coach depuis huit ans et aujourd’hui, je suis un peu à la croisée des chemins. Je dois décider si je continue dans cette voie ou si je prends une autre direction. C’est dur quand tu joues au foot toute ta vie et que tu dois trouver un autre job. Si le bon poste se présente comme manager, j’y réfléchirai, mais en attendant je profite d’une petite pause, car le management peut être assez stressant.
Je ne suis pas loin des 400 buts, c’est mon prochain objectif. J’ai cherché et je crois qu’il m’en manque encore 13. Peut-être qu’il m’en faut moins, mais je ne veux pas prendre le risque !
De quoi tu es le plus fier quand tu penses à ta carrière ?
Ma longévité, vraiment. J’ai vécu des montées, un titre de meilleur buteur en Championship, mais continuer de jouer aujourd’hui, c’est un grand accomplissement pour moi. Je voulais devenir footballeur quand j’étais gamin, j’ai 50 ans et je continue de prendre du plaisir sur le terrain.
Dans quelle division tu t’es le plus régalé ?
Probablement la League One. J’ai connu trois montées, c’est certainement le championnat où j’ai passé le plus de temps et où j’ai le plus marqué. La Premier League, c’est le top, tout le monde en parle. Je suis hyper fier de pouvoir dire que j’ai réussi à jouer et à marquer des buts à ce niveau. Mais bon, nous avons été relégués au bout de ma première saison. On peut aussi avoir une très belle carrière en Championship ou en League One, être reconnu et respecté. On est assez chanceux en Angleterre : même dans les divisions inférieures, il y a du monde au stade, tu n’es pas obligé de jouer tout en haut pour que les gens se souviennent de toi.
Full time celebrations with the history maker 👑 🥳 pic.twitter.com/lF4uq2Auwu
— Kings Park Rangers F(C) (@KingsParkRFC) October 26, 2025
Maintenant que tu as fini le jeu, c’est quoi la suite ?
Collectivement, si on peut monter avec KPR, ce serait super. Personnellement, je ne suis pas loin des 400 buts, c’est mon prochain objectif. J’ai cherché et je crois qu’il m’en manque encore 13. Peut-être qu’il m’en faut moins, mais je ne veux pas prendre le risque ! Après ça, je serai tranquille.
Et marquer en onzième division, ça te botterait ?
Peut-être ! Un club m’a contacté et m’a demandé si je voulais descendre d’un cran pour jouer en onzième division. Je ne sais pas combien de niveaux il reste, on verra. Je suis heureux où je suis aujourd’hui, j’espère bien finir cette saison et si j’ai l’occasion de jouer en onzième division l’année prochaine… On ne sait jamais. Marquer dans les dix premières divisions, ça me va déjà très bien !
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