England, les glandes, des glandus…
This is England / What we're supposed to die for ? / This is England / And we're never gonna cry no more”... (“This is England”- The Clash)... Si, si, Strummer Joe ! Les Anglais vont chialer encore un bon coup. Surtout vers le mois de juin 2008. Devant la télé. L'Angleterre a donc été éliminée. Oubliez les blessés, les suspendus, la pluie, le «trop de joueurs étrangers !», la malchance, la tactique...Le fiasco était écrit à l'avance.
Mardi 6 septembre 2005. C’est le soir, dans un resto de Belfast. Sven Goran Eriksson dîne avec David Beckham. Pas trop d’appétit. En fait, les deux compères sont en train d’élaborer dans le speed le plan tactique ainsi que la composition de l’équipe d’Angleterre qui doit jouer le lendemain contre l’Irlande du Nord.
C’est un match sérieux qui compte pour les qualifications du Mondial 2006. Scène surréaliste. C’est au resto, la veille d’un match capital que Sven et David “préparent” la rencontre…Ben, oui : pouvaient pas faire autrement because les clubs anglais n’ont lâché leurs internationaux que tardivement, dimanche ou lundi. Alors, pas trop le temps de mettre en place ne serait-ce qu’un entraînement valable. Résultat du lendemain : pour la première fois de son histoire, l’Angleterre totale à la rue perd à Belfast 1-0. La qualification, compromise, sera acquise plus tard après deux victoires contre l’Autriche, puis la Pologne. Ouf !
Tout ça pour dire que l’élimination des Rosbifs à l’Euro 2008 ne doit rien au hasard. Le mal est profond, ancien, rastropégique. Pour faire court, l’explication essentielle du marasme de la sélection anglaise tient au fait que l’équipe nationale n’a jamais vraiment été la priorité du foot d’Albion, plus recentré sur le bizness de la Premiership. La seule nomination de Steve McClaren (coach très moyen et reconnu comme tel) était révélatrice du grand n’importe quoi : en 2002, la fédé anglaise a remplacé Eriksson dans la précipitation, mise sous pression par une nation entière qui exigeait un sélectionneur anglais avant tout. Une préférence nationale qui coûte cher, à l’arrivée.
Mais, ce n’est pas la peine d’accabler ce pauvre Steve : il a payé, comme son prédécesseur suédois, les inconséquences du foot de club que Sven voulait en partie réformer dès son arrivée en 2001. En gros : un championnat ramené à 18 clubs, une trêve hivernale et une vraie mise à disposition des internationaux de la part des clubs au profit de la sélection. Sven s’était fait rembarrer illico. Passe encore pour un championnat à 20, mais sans trêve hivernale, les Anglais présentent depuis toujours dans les compètes internationales de juin-juillet une équipe à la ramasse physiquement. On joue tous les deux-trois jours en décembre-janvier (Boxing Day)…Au Mondial asiatique de 2002, Eriksson avait annoncé la couleur : à partir des matches couperets, son équipe ne pourrait tenir que 60 minutes, pas plus, vu la saison éreintante d’un pays qui fait rejouer ses matches de coupes en cas d’égalité, au lieu d’avoir recours aux tirs au but. L’Angleterre sur les rotules s’est donc fait sortir par le Brésil en quarts (2-1). Idem à l’Euro 2004 ou en Allemagne 2006 avec toujours une équipe valable mais incapable ne serait-ce que de changer de rythme, d’accélérer un peu, au cours des matches.
Enfin, là aussi pour faire court, les dirigeants et les coaches des clubs britons ne collaborent pas vraiment avec les sélectionneurs. Entre blessures diplomatiques répétées des internationaux, bras de fer démentiels (Ferguson qui pourrit Eriksson (sic) au téléphone parce qu’il sélectionne Rooney !) ou pressions sournoises visant la fédé anglaise pour dédommager les clubs en cas de blessures en sélection (ce qu’ils ont obtenu), il n’est pas facile de gérer le bouzin…Ajoutez à ça la brièveté des rassemblements qui n’autorise pas un travail en profondeur et qui s’avère handicapante pour affiner les automatismes. En plus de ses limites personnelles, McClaren pouvait difficilement vaincre ce contexte général défavorable à l’équipe aux Trois Lions.
Ce n’est pas un hasard si Gordon Brown, le Prime Minister, a réclamé tout haut ce que les autorités du foot anglais revendiquaient tout bas ces dernières semaines, pressentant le fiasco des qualifs de l’Euro : le retour du cher vieux Tournoi Britannique (Angleterre, Irlande du Nord, Galles et Ecosse) qui se disputait dans les années 60-70, au printemps. Preuve que même au sommet de l’Etat on considère que la sélection doit devenir cause nationale. Ressortir le Tournoi Britannique n’est pas qu’une idée en l’air. C’est surtout l’occasion idéale de se remettre en cause. Et pas que pour l’Angleterre, mais aussi pour toutes les autres nations britanniques, toutes éliminées pour l’Euro 2008 (y compris l’Eire !) : 5 nations au tapis, du jamais vu !…
Autre indice notable : Steven Gerrard, monté en première ligne pour défendre le principe platinien du 6+5 dans les clubs anglais (6 sélectionnables “nationaux” + 5 étrangers), histoire d’assurer la promotion des jeunes joueurs locaux, barrés par les non-Anglais. Une idée “dirigiste” contre le foot “ultralibéral” de l’après Bosman de plus en plus réclamée au pays de la déréglementation…L’Arsenal d’Arsène Wenger est de plus en plus dans le collimateur, vu qu’il n’y a plus d’Anglais (sauf Théo Walcott, remplaçant)…
En tous cas, ce débat autour de la règle du 6+5 met en évidence le manque de talents flagrant du foot anglais actuel. Attention ! L’Angleterre sort régulièrement des joueurs de qualité (Rooney, Gerrard, Micah Richards) mais pas suffisamment et pas à tous les postes, à la différence du foot français. Les Anglais n’ont pas de gardiens valables, pas assez de bons défenseurs latéraux. Globalement, le niveau technique général est faiblard. Ce que traduit Alan Mulery, ex international anglais des années 60-70 : « La priorité, c’est les kids ! On doit leur apprendre à bien contrôler le ballon, savoir faire des bonnes passes et leur enseigner tous les bons trucs pour devenir des joueurs doués techniquement. Ce boulot ne portera ses fruits que dans 10 ans. Aujourd’hui, le niveau technique mondial est largement supérieur à ce qui se pratique chez nos joueurs » .
Autre ancienne gloire, Trevor Brooking, Directeur du développement à la FA, avait déjà tiré la sonnette d’alarme en 2004. Il livrait une explication intéressante sur le pauvre niveau technique des joueurs d’Albion. Deux causes majeures : l’abandon progressif et dramatique des cours d’éducation physique à l’école, foot compris, entamé sous Thatcher et surtout la quasi disparition du foot de rue des kids. A cause des nombreux faits divers tragiques de ces dernières décennies, les parents, inquiets, ne laissent plus traîner les mômes dehors, s’adonner aux 5 contre 5 improvisés en bas de l’immeuble. Le foot de rue, “école du dribble, de la feinte et des prouesses otariennes” n’ayant plus trop cours, Brooking déplorait également la qualité des jeunes formateurs des petits clubs de jeunes et fustigeait les pressions des “Daddys” gueulards sur le bord de la touche, rêvant d’un destin à la Beckham pour leur fiston…
Rétrospectivement, on comprend mieux pourquoi l’Angleterre était si brillante au Mondiale italien de 1990. Grâce à des vrais manieurs de ballons, souvent expatriés dans les pays latins (Platt, Gascoigne, Lineker, Waddle !) et grâce à un calendrier plus light des clubs anglais, toujours écartés à l’époque des Coupes d’Europe pour cause de Heysel…Il est aujourd’hui significatif de constater qu’en général, l’Angleterre a plus de mal avec les nations du “foot technique” (pays latins, slaves, sud-américains) que contre les nations anglo-saxonnes, moins “créatrices” (Allemagne, Hollande, pays scandinaves). On l’a bien vu contre la Croatie, mercredi soir…
Chronique d’un désastre annoncé. Beaucoup d’observateurs du foot anglais pressentaient la cata. Elle s’est produite mercredi soir, à Wembley. Wembley, projet architectural pharaonique qui a justement englouti des moyens financiers considérables, dont une bonne partie aurait mieux servi à la formation. Par exemple, un « Clairefontaine anglais et des centres d’excellence régionaux pour former des entraîneurs » : ce que préconisait Trevor Brooking, en 2004…
Chérif Ghemmour
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