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Départ d'Aulas : la fin d'un règne, la mort d'un modèle

Par Nicolas Kssis-Martov

Jean-Michel Aulas n’occupe plus la fonction de président de l’Olympique lyonnais. C'est la fin d’une époque, et surtout du rêve d’un modèle français compétitif de construction économique du football professionnel.

Jean Michel AULAS President of Lyon  during the Press Conference of Lyon at Groupama Stadium on February 3, 2023 in Lyon, France. (Photo by Romain Biard/Icon Sport)
Jean Michel AULAS President of Lyon during the Press Conference of Lyon at Groupama Stadium on February 3, 2023 in Lyon, France. (Photo by Romain Biard/Icon Sport)

L’annonce du départ de Jean-Michel Aulas, à 74 ans, a été un choc en ce 8 mai, plutôt réservé aux commémorations de la victoire sur le nazisme. Surtout dans la capitale des Gaules, davantage habituée au long règne, à commencer par ses maires. Dans cette patrie du centrisme (de gauche ou de droite), la rupture reste souvent taboue ou mal vécue. Seulement, les temps changent. Jean-Michel Aulas avait su incarner la modernité, voire la modernisation du foot pro français, autrefois entre les mains de notables locaux, parfois fantasques tels Claude Bez. Au même titre que le parcours de son « mentor » Bernard Tapie à l’OM, sa prise de contrôle d’un fort modeste Olympique lyonnais va marquer un changement radical de perception et de pratique du rôle de président de club. Plus qu’un bourgeois, il sera d’abord un patron (en la matière, sa réussite s’appelle la Cegid, l’une des plus grosses boîtes européennes de comptabilité et gestion informatisée). Y compris sa façon de communiquer, s’emparant avec délectation des réseaux sociaux, signe de sa volonté de coller à son époque. À coups de tweets et de punchlines, de provocations, de mises en cause de l’arbitrage, il s’impose en figure détestée, donc incontournable, de la Ligue 1.

Révolution feutrée et connexions politiques

Toutefois, à la différence du boss marseillais, sa révolution libérale s’opère davantage dans le feutré et le long terme. Il prend le contrôle de l’OL en 1987. L’armoire à trophées n’est alors guère remplie. Il le transformera en un ogre sportif en championnat (sept titres consécutifs entre 2001 et 2008) et en l’une de ses principales puissances financières dans les années 2000 (dépassant, avant le rachat en 2020, les 300 millions d’euros de budget). Les Gones parviendront même à se hisser deux fois dans le dernier carré de la C1, et régulièrement à sortir des poules. L’absence de sacres européens chez les garçons sera en outre largement compensée par le triomphe des féminines. Une section dans laquelle il investira autant son argent qu’il y bâtira une contre-image de visionnaire progressiste, anticipant la montée – raisonnable – en puissance du foot féminin. Son prochain challenge, d’ailleurs, semble l’installation d’une ligue pro digne de ce nom pour le second sexe, une responsabilité qu’il assume au sein du comex de la FFF, au sein de laquelle il accompagne avec bienveillance le départ de Noël Le Graët, issu de la même génération de dirigeants, écrasé sous les affaires et les scandales.

L’OL propose un profil atypique de construction d’un grand club français, recrutant certes de grands joueurs étrangers ou hexagonaux, mais reposant également sur un centre de formation réputé dont Karim Benzema s’avère le plus brillant joyau (il rendra un hommage particulier à cet ancrage lyonnais lors de l’obtention de son Ballon d’or). Surtout, son modèle économique ne cache pas l’ambition de concurrencer ce fameux Big 4 qui règne sur le Vieux Continent, avec des recettes spécifiquement bleu-blanc-rouge. Le cercle vertueux d’un capitalisme qui reste bien de chez nous, sachant épouser les évolutions de la vie politique locale ou nationale (on songe à Thierry Braillard, secrétaire d’État aux sports sous François Hollande). Il ne faut pas négliger sa relation intime avec « son » maire Gérard Collomb, ex-PS futur En marche. Ce dernier s’est épanché sur Twitter en apprenant son départ : « C’est une page qui se tourne. De cette histoire que nous avons écrite ensemble, je veux retenir les épisodes les plus glorieux qui ont suivi 2001. Merci Jean-Michel ! » Des réseaux qui ouvrent les portes pour faire sauter les permis de construire et faciliter la vie face au fisc. L’un des points forts du projet lyonnais sera d’ailleurs le nouveau stade à Décines (malgré l’opposition des écolos du coin, qui ont depuis raflé la mairie), dont l’OL deviendra propriétaire au cœur d’une belle opération immobilière et commerciale, quand l’immense majorité des clubs continuent à évoluer dans des enceintes appartenant aux collectivités (et dont le coût, lors de l’Euro 2016, a été loin d’être négligeable pour les deniers publics).

La véritable menace venait d’ailleurs

Jean-Michel Aulas a aussi su faire de l’OL une des « marques » les plus admirées, et un sigle souvent détesté, pour la plus grande fierté de ses supporters, à la réputation souvent sulfureuse, mais avec lesquels il n’a jamais cessé de dialoguer. Il incarne de la sorte, au cœur des années 2000, le visage détesté du football moderne, en plein virage « libéral » et au capitalisme décomplexé. Cependant, la véritable menace venait d’ailleurs. Ce patriotisme économique, adossé à un colbertisme républicain compréhensif, se heurtera à la recomposition du marché européen, voire mondial, du foot. L’arrivée des Qataris au PSG en 2011 a remis les prétentions lyonnaises à leur juste place et à genoux – sauf de petites revanches sur la pelouse. Par la suite, l’achat des divers pensionnaires de Ligue 1 ou Ligue 2 par des fonds de pensions ou des propriétaires étrangers, et surtout américains (De Marseille au Red Star, en National) change radicalement la donne. De guerre lasse, Jean-Michel Aulas vend son enfant, pour 800 millions d’euros, en conservant une participation très minoritaire (moins de 9%). Il est désormais un simple supporter. Pas n’importe lequel certes, il saura sûrement le rappeler à John Textor…

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