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« Ce n’est pas parce que Fagioli gagne beaucoup d’argent qu’il n’est pas malade »

Par Jérémie Baron

La descente aux enfers du milieu de la Juve Nicolò Fagioli, addict aux paris sportifs, a mis en lumière un fléau qui touche même des sportifs de haut niveau. Pourquoi et comment ? Décryptage.

«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Ce n&rsquo;est pas parce que Fagioli gagne beaucoup d&rsquo;argent qu&rsquo;il n&rsquo;est pas malade<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

« Au début, un footballeur, qui a beaucoup de temps libre, finit par essayer le frisson du pari pour vaincre l’ennui. Avec le temps, cela devient une obsession. J’ai commencé à parier à Tirrenia lors d’un rassemblement des Espoirs, pour m’amuser. Mais je me suis ensuite retrouvé dans une situation de stress causée par les dettes. » Cette semaine, devant le procureur de la Fédération Giuseppe Chiné, le milieu de la Juve Nicolò Fagioli (22 ans) s’est confié sur son addiction aux paris sportifs, dans laquelle il a plongé avec la complicité de son partenaire de sélection Sandro Tonali, qu’il alimentait sur d’obscurs sites illégaux et qui lui a causé de nombreuses dettes (avec un pic à trois millions d’euros) et qui vient de lui coûter une suspension des terrains pour sept mois. Quasiment un moindre mal : comme en France, l’article 24 du code de la justice sportive de la Fédération italienne (FIGC) proscrit à un joueur professionnel de parier sur des matchs de football.

Son témoignage est glaçant : « Quand j’étais à la Cremonese, ma mère m’a conseillé d’aller me faire soigner. J’y suis allé plusieurs fois, mais j’ai eu la sensation que je pouvais m’en passer. Je jouais de manière compulsive devant la télé sur tous les événements sportifs que je regardais, y compris le foot… La nuit, je ne dormais plus. Plus le temps passait, plus ma dette devenait une obsession et plus l’argent que je devais ne cessait d’augmenter, je pensais seulement à jouer pour tenter de récupérer le tout. On me disait : “On va te casser les jambes si tu ne rembourses pas ce que tu dois.” L’argent que je gagnais servait uniquement à réduire ce que je devais à ces plateformes. » Oui, la dépendance aux paris sportifs existe. Et oui, les footballeurs peuvent eux aussi tomber dedans.

Tsunami et diabète

« Parier est un magnifique divertissement, nous rappelait il y a deux ans Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’ANJ (Autorité de régulation des jeux en ligne). Ça peut permettre d’animer des communautés, des groupes d’amis. Ça correspond à la “gamification” de la société, au fait que l’on se retrouve à faire partie d’une communauté. Tout un tas de gens jouent parce que c’est dans l’air du temps. » Mais chez certains, cela peut rapidement devenir une pente très glissante, comme le détaille Laurent Karila, professeur en addictologie à l’hôpital Paul-Brousse et qui anime le podcast Addiktion : « Il y a trois phases. Un jour, vous allez jouer et obtenir un gain conséquent. Ça va faire un effet de tsunami dans votre tête. La deuxième phase, c’est la phase de perte, ce qui va vous pousser à rejouer pour regagner et vous refaire. Mais ce qui se passe, c’est que vous ne vous refaites jamais. Et la troisième phase, c’est le désespoir, psychologique, physique, social, et là il y a plus de risques pour la personne. Les plus vulnérables tombent dans le piège. Sur le plan clinique et scientifique, les addictions aux jeux de hasard et d’argent sont similaires à l’addiction aux substances. »

Il a eu une phase de “big win”, et peu importe le gain, ça lui a fait quelque chose. C’est comme s’il avait pris sa première ligne de coke. Ça n’est pas corrélé à la classe sociale.

Laurent Karila, addictologue

La sociologue Audrey Valin présente un autre aspect de l’engrenage : « Le problème, c’est quand les joueurs s’éloignent de la notion de hasard et se focalisent sur la part de maîtrise qu’ils pourraient avoir, pose celle qui a consacré une thèse aux jeux aléatoires. Ils se placent comme des sportifs (sic) qui, à force de travail, vont pouvoir exercer une influence sur le jeu. » Sportif de haut niveau, Nicolò Fagioli aurait donc eu l’illusion de développer une maîtrise similaire dans les Loto Foot, ou même les pronostics de tennis comme il l’a raconté. Il le sait pourtant mieux que quiconque : l’issue d’un match ne pourra jamais se prédire. « Il a eu une phase de “big win”, et peu importe le gain, ça lui a fait quelque chose, il y a de l’adrénaline, de la dopamine, tout ce que vous voulez, expose Laurent Karila, qui a également participé à la campagne “Parier, c’est pas rien” de Santé Publique France. C’est comme s’il avait pris sa première ligne de coke. C’est cette première phase-là qui a déclenché les choses. »

Nicolò Fagioli, ici avec les U21 italiens
Nicolò Fagioli, ici avec les U21 italiens

À la différence près que pour se procurer cette drogue-là, nul besoin de textoter son dealer ou d’aller chercher son produit à l’abri des regards. Le profil de ces addicts ? « Plutôt les hommes, jeunes, qui connaissent bien Internet et les smartphones, qui n’ont pas beaucoup de revenus. » Fagioli ne rentre pas dans cette dernière case : en tant que footballeur professionnel, le Bianconero émarge – à la louche – à un million d’euros par an. Et n’aurait donc a priori pas de besoin vital, financièrement parlant, d’encaisser des gains en paris sportifs. Il n’empêche : en juin dernier, comme Fagioli, une trentaine de joueurs et éducateurs évoluant en France (dont Ludovic Blas, Wahbi Khazri, Jean-Charles Castelletto ou Layvin Kurzawa) s’étaient fait épingler par la Ligue de football professionnel pour ne pas avoir « respecté, au titre de la saison 2021-2022, l’interdiction de paris sportifs posée par le Code du sport et les règlements de la FFF et de la LFP. La commission rappelle que les joueurs de football professionnel ont interdiction générale de parier sur toutes les compétitions de football, qu’elles soient nationales ou étrangères. » Certains, comme Rémy Descamps, avaient même écopé d’un ou plusieurs match(s) ferme(s). Et ce n’est qu’un exemple.

« Ça n’est pas corrélé à la classe sociale, continue Karila. Ce n’est pas parce qu’il gagne beaucoup d’argent qu’il n’est pas malade. C’est comme une maladie cardiaque, un diabète : il (Fagioli) est malade, donc il joue. Il n’a pas pu faire autrement, car c’est déréglé dans son cerveau. S’il a énormément d’argent, il n’a même pas absorbé son problème et il a dû jouer énormément. » Au point de se retrouver au pied du mur, la boule au ventre, avec la menace de devoir payer physiquement ses dettes accumulées dans les tréfonds du web. « Il suffit de taper “paris sportifs” sur YouTube pour le réaliser : des sites dangereux, il y en a plein, énonce le directeur juridique de l’ANJ, Frédéric Guerchoun. Ils peuvent être coupables d’escroqueries, de pratiques commerciales déloyales… » La suite pour Fagioli, ce sera « une bonne année de traitements psychologiques réguliers, avec la thérapie comportementale », préconise notre addictologue. En espérant, par la suite, qu’il ne voit plus un Ternana-Brescia uniquement par le prisme des cotes boostées et des sommes à encaisser au bout. Nicolò Fagioli ne doit pas prendre cette suspension de sept mois comme une punition, mais comme une aubaine : cette période va peut-être permettre de lui sauver la vie.

Dans cet article :
Dans cet article :

Par Jérémie Baron

Propos de Laurent Karila recueillis par JB, ceux d'Isabelle Falque-Pierrotin, Audrey Valin et Frédéric Guerchoun tirés de l'article « Ici, c'est paris » dans So Foot n°184 (mars 2021)

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