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OM 1993 : L'inaccessible étoile de Bernard Tapie

Par Chérif Ghemmour

« Tenter, sans force et sans armure / D'atteindre l'inaccessible étoile / Telle est ma quête / Suivre l'étoile » Dans sa chanson La Quête, Jacques Brel révélait l’ambition des hommes d’aventures de réaliser leurs rêves les plus fous. Une quête obsessionnelle de l’étoile, européenne celle-là, guide Bernard Tapie depuis qu’il a repris l’OM en 1986.

OM 1993 : L'inaccessible étoile de Bernard Tapie

« Lors de la cérémonie officielle de l’UEFA, la veille de la finale, la coupe était posée sur le devant de l’estrade, rembobinait Bernard Tapie, malade mais rigolard, sur RMC Sport en mai 2018. Avant d’y faire son discours, Berlusconi avait mis la main sur le trophée comme on met la main au cul d’une secrétaire ! Je monte ensuite, je mets les mains dans le dos, je me baisse, et la coupe, moi, je l’embrasse avec respect. Alors j’ai dit à Berlusconi : “T’aurais pas dû la traiter comme ça. Elle acceptera jamais de passer un moment avec toi, tu lui as manqué de respect.” » Nanard 1, Silvio 0 !

Les leçons de Bari

En rivalisant les yeux dans les yeux avec Sua Emittenza, président d’un AC Milan hégémonique, le Boss affirme au printemps 1993 son aura charismatique alors au zénith. Il est l’OM, il est Marseille, il est Adidas, il est TF1 et il est aussi le futur de la gauche, député des Bouches-du-Rhône et poulain en politique du président Mitterrand en personne ! Bernard Tapie est la France… Les cinq années qu’il s’était données en 1986 lors de la reprise de l’OM pour gagner la Coupe aux grandes oreilles ont été dépassées. Mais en mai 1993, Nanard et l’Ohème sont encore au rendez-vous européen suprême de la première édition de la Ligue des champions UEFA. Après la main de Vata (1990), les tirs au but de Bari (1991), puis la pantalonnade du Sparta Prague et le drame de Furiani (1992), le mot d’ordre initial très business school de Bernard, formulé en trois R (rêve, rire, risque), a mué alors avec l’expérience en une implicite règle des trois C : cool, calme, concentré. C’est que Bernard avait appris de ses erreurs, comme il l’avait admis dans Paris Match en 2018 : « À Bari, en 1991, j’avais mis une telle pression aux joueurs qu’ils sont arrivés sur le terrain avec la trouille au ventre. Toute la semaine, je leur avais répété : “C’est le match de votre vie, on n’a pas le droit de le perdre !”, “Des matchs comme ça, vous n’en jouerez pas cinquante dans votre vie !”… Je leur ai pourri le moral. On était beaucoup plus forts que l’Étoile rouge de Belgrade, mais on a perdu aux tirs au but. Sur le coup, j’étais fou furieux contre les joueurs, mais après j’ai compris que c’était ma faute. Ça m’a servi de leçon. » Alors, changement de décor complet en mai 1993 ! L’équipe et le staff olympiens sont arrivés juste quatre jours avant la finale en Bavière.

Regroupés le samedi 22 mai à 17h au Vélodrome, ils sont ensuite montés tous ensemble, Abedi le musulman, Bokšić l’orthodoxe et Völler le protestant, brûler un cierge à Notre-Dame-de-la-Garde. Ils avaient oublié de le faire avant d’aller à Bari en 1991. Dans la nuit de samedi à dimanche, l’OM a pris ses quartiers à l’hôtel Bachmair dans le paisible et bucolique village de Rottach-Egern, à 60 km au sud de Munich. Recommandée par Rudi Völler, cette auberge quatre étoiles abrite le Bayern, la Mannschaft et Boris Becker, les winners allemands, toutes les fois qu’ils effectuent leurs mises au vert… « En 1993, à Munich, j’ai dit aux joueurs l’inverse de ce que je leur avais dit à Bari, insistait dans Paris Match un Nanard confiné en Bavière au rôle de GO :Ça va être un moment incroyable de votre carrière, il faut en profiter à fond. Soyez bien. Régalez-vous. Si on gagne, ce sera génial. Et puis si on perd, on aura joué la finale, en plus contre le Milan. Tout le monde vous enviera d’avoir été là. Les jours qui ont précédé la finale, ils se sont amusés, ils étaient bien : des parties de tennis-ballon après les entraînements, massages, détente. » Cool, calme, concentré, donc : on se balade aussi en VTT, on déjeune au soleil et on balance des seaux d’eau sur les journalistes !

Octobre rouge, mise au vert… et ciel bleu !

« À Bari, on était bunkerisés, on avait joué le match avant : on ne parlait que de ça, confirmait Éric Di Meco sur RMC. À Munich, Waddle, arrivé direct de Sheffield, et Tapie jouaient avec nous aux entraînements. » Sans prévenir ses joueurs, le Boss a aussi fait venir leurs femmes la veille du clash contre Milan. « J’ai joué deux finales de Coupe d’Europe : la première, c’est à cause de moi qu’on l’a perdue ; la deuxième, c’est un peu moi qui l’ai gagnée », résumait Tapie en 2018. La victoire, on n’y est pas encore, mais pour la saisir, le Boss a vraiment mis tous les atouts de son côté… À l’été 1992, l’OM s’est séparé de Papin, Mozer, Waddle et Stevens. Le club a recruté Marcel Desailly (24 ans), Martin Vazquez, Rudi Völler (32 ans), en provenance de l’AS Roma, et Alen Bokšić (22 ans), revenu, lui, de son prêt à l’AS Cannes. C’est l’ancien Olympien Jean Fernandez qui a été désigné coach, après le deuxième intérim de Raymond Goethals. « Ce recrutement fut un vrai tournant, analysait Michel Tonini, le président des Yankees, parce que Tapie avait vendu dans la foulée Papin et Waddle pour les remplacer par un Völler vieillissant et un Bokšić que personne ne connaissait encore… Franchement, on se posait beaucoup de questions. » Une stratégie justifiée, selon Di Meco : « Tapie renouvelait tous les ans l’effectif en effectuant entre 20 et 30% de changements, même des monstres, pour qu’on ne s’encroûte pas. Et il ne se trompait pas beaucoup ! » Et Éric n’avait pas oublié la mise au point ferme de Rudi Völler, vieux grognard recruté afin d’apporter sa culture germanique de la gagne, lors de son premier entraînement : « Rudi, au début on l’a chambré ! Et lui, droit dans les yeux, il nous répondait, l’index pointé sur sa poitrine : “Attention : champion du monde !” »

Le début de saison 1992-1993 avait été laborieux. Après les défaites à Bordeaux et contre Nantes, 0-1 à dom au Vélodrome, la crise couve : « En octobre, on a touché le fond », dixit Didier Deschamps, devenu après le départ de JPP le capitaine olympien à seulement 23 ans. Et c’est encore le Boss qui avait repris les choses en main, raconte Franck Sauzée : « Après la défaite contre Nantes, le président a imposé une mise au vert. On s’attend à un savon monumental… En fait, Tapie nous galvanise pour gagner la Ligue des champions ! Il prend les gars un par un et leur explique pourquoi ils sont uniques et pourquoi on est allé nous chercher. À partir de là, on est devenu cette sorte de machine, des guerriers. » Et il faut l’être à une époque où la D1 offre une concurrence féroce et de haute volée (Monaco, PSG, Nantes, Bordeaux, AJA) qui permet à l’OM passé en mode warrior de s’étalonner parfaitement en vue de la Coupe d’Europe. Et ça repart avec un super Bokšić ! L’attaquant croate n’est pas le nouveau Papin, il n’est pas hypertechnique, mais il se donne à fond : son jeu de tête fait des ravages (1,87 m), et il mobilise beaucoup de défenseurs adverses. Son humilité et ses buts cruciaux en championnat (PSG-OM, 0-1) et en C1 (Bruges-OM, 0-1) le font vite adopter par tout le vestiaire et le difficile public du Vélodrome. Bien vu, Bernard ! Enfin, le 16 novembre 1992, Tapie a rappelé Raymond Goethals, seul coach capable, à ses yeux, de conduire l’équipe au titre européen…

L’ombre planante de VA-OM…

Sur le plan continental, les astres semblent s’être alignés. Le tenant du titre et cofavori de l’épreuve, le FC Barcelone de Johan Cruyff, a bêtement trébuché en 8es, éliminé par le CSKA Moscou ! Et puis, grâce à ses performances européennes antérieures, l’OM, premier à l’indice UEFA, a tracé une route sans raideur au départ face à Glentoran en 16es (5-0, 3-0), au Dinamo Bucarest en 8es (0-0, 2-0), puis a fini premier d’une poule comprenant les redoutables Rangers (2-2, 1-1), seconds à un point, le CSKA Moscou (1-1, 6-0) et Bruges (3-0, 1-0). Le 21 avril au soir, en Belgique, l’OM est à nouveau en finale de C1. Contre l’AC Milan terrifiant, mais pas encore tout à fait champion d’Italie. Une autre bonne nouvelle est parvenue à Bernard et ses Olympiens, le dimanche 23 mai : l’OM Vitrolles présidée par son frère cadet, Jean-Claude Tapie, est allée gagner le match aller de la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe de handball chez les Hongrois du Fotex Veszprem SE (23-22). Dans l’optique du match retour prévu le dimanche 30 mai, Vitrolles est en passe de remporter le premier trophée européen pour un club de handball français…

Seul un souci contrarie le Boss durant cette longue veillée d’armes à l’auberge Bachmair. Le joueur valenciennois Jacques Glassmann s’est répandu dans la presse le samedi 22 mai, deux jours après la précieuse victoire phocéenne contre VA (1-0, but de Bokšić). Reprises par Stade 2, le lendemain dimanche, ses accusations visent Jean-Pierre Bernès, directeur sportif de l’OM, qui aurait mandaté le défenseur marseillais Jean-Jacques Eydelie afin qu’il convainque contre 200 000 francs les Valenciennois Jorge Burruchaga, Christophe Robert et lui-même de « lever le pied » contre Marseille… Bernard Tapie, qui ne laisse rien au hasard, craignait-il à ce point qu’une blessure bête ne prive son OM d’un de ses cracks à six jours du match d’une vie ? Les Olympiens ne se laissent pas parasiter par ces bruits lointains… Au village de Rottach-Egern, l’ambiance est au beau fixe, avant la finale. Bernard le voit, Bernard le sent. Cool, calme, concentré. C’est ça qui compte. « On savait que Milan était largement favori, mais il nous était impossible de perdre à nouveau, je le savais, racontera Basile Boli. À Munich, c’était décontraction totale. Bari, c’était le bunker, les militaires… Dans la chambre partagée avec Abedi Pelé, je lui ai dit : “Abedi, le bon Dieu ne peut pas nous faire ça, Bari c’est passé une fois, pas à Munich : on ne peut pas perdre.” Et il m’a répondu : “Je le pense aussi, Basile.” »

Lire la partie 2 : L’affrontement tactique entre Capello et Goethals

Lire la partie 3 : Barthez et Boli, les héros de la première mi-temps

Lire la partie 4 : Une finale gagnée à l’italienne

Lire la partie 5 : L’héritage de l’OM 93

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