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- 16e journée
- Lorient/Marseille
Simple comme Morel
Ce mardi, l'OM se déplace à Lorient, ancienne terre d'un joueur différent. Jérémy Morel, latéral gauche autrefois honni, désormais défenseur central chéri, devrait une nouvelle fois tenir la maison olympienne. Avec un calme et une discrétion qui l'animent sans discontinuer.
Jérémy Morel n’a que peu eu l’occasion de bomber son torse massif et de déployer ses larges épaules. Assailli par le poids des sifflets, des jugements permanents, des quolibets, le latéral de l’OM a croulé pendant près de 3 saisons sous la vindicte populaire. Parfois coupable logique mais victime permanente, le Breton d’origine réunionnaise a été contraint d’assumer son statut auprès d’un Vélodrome avide de revanche face à un joueur trop modeste à son goût. Le 22 février dernier, face à Lorient, Morel craquait après une énième avalanche sonore lors de sa sortie du terrain : « Ça ne m’atteint plus. À la limite, j’aurais été surpris de ne pas être sifflé (…). Même si je faisais mieux, ce ne serait pas suffisant. Il leur faut quelqu’un. Manque de chance pour moi, c’est moi qui suis ciblé. Je suis pris en grippe et ce sera comme ça jusqu’à ce que je parte. » 9 mois plus tard, Jérémy est toujours là. Mieux, le Vélodrome l’acclame. Replacé dans l’axe par Marcelo Bielsa, celui qu’une ville se plaisait à détester fait désormais figure de pilier défensif, infranchissable, limite indispensable. Pourtant, torse et épaules n’ont pas pris d’amplitude. Car si Morel se fend désormais de sourires discrets, l’homme n’est pas dépendant de l’avis général. Tout au plus, au ras de sa pelouse, du fond de son garage ou en compagnie de ses terre-neuve apprécie-t-il le confort d’un nouvel exercice plus simple. Une simplicité qui habite et accompagne un footballeur plus normal que les autres.
Bricolage et terre neuve
De Jérémy Morel, peu connaissent la vie. Peut-être car l’homme intéresse peu, sans doute parce que le joueur n’a aucun attrait pour les spotlights, contrairement à certains de ses congénères. Fabrice Abriel, qui a suivi Morel de Lorient à l’OM, précise : « L’anti-footballeur, il ne faut pas abuser. Mais c’est vrai qu’il est dans la simplicité. En fait, on va dire qu’il a des priorités bien plus importantes que le luxe dans toute sa forme. La luxure, en terme de pensées et de matériel. » Que ce soit en Bretagne, où il a grandi avant de faire ses gammes à Lorient, ou à Marseille, Morel est un être lambda. Un homme exposé de par sa profession, mais un homme qui préfère s’isoler pour s’adonner à des plaisirs de retraité lorsque le football ne domine pas son calendrier : « À Lorient, j’avais acheté une baraque et je faisais les travaux moi-même. Le plancher de l’étage, l’électricité dans le garage, la maçonnerie dehors… J’ai appris ça avec mon père et Marc (Boutruche, un ancien joueur de Lorient) » , confessait-il en janvier 2013 à L’Équipe. Fabrice Abriel va plus loin : « Plutôt que d’acheter une super maison, terminée et chère, il préfère en acheter une pas cher et la rénover. Un truc de Breton ? Non ! Il aurait pu le faire dans les Yvelines. »
Plaisirs solitaires obligent, Jérémy partage rarement son temps avec ceux qui ne lui sont pas intimes. Par crainte peut-être, par pudeur sans doute. Sigamary Diarra, partenaire du joueur chez les Merlus pendant 2 ans, se souvient : « Ça, c’est Jérémy. Il parle sur le terrain et, en dehors, il est très discret. Ce n’est pas un grand bavard. Mais c’est une carapace qui lui permet de réussir et passer au-delà des critiques quand il y en avait. Moi, en deux ans, je n’ai pas réussi à la percer ! Je pense qu’en dehors, il est différent. Il a deux, trois potes. » Parmi eux, Marc Boutruche, désormais maire de Quéven et témoin de son mariage, Fabien Audard ou encore André-Pierre Gignac. Mais aussi ses terre-neuve, des compagnons de toujours. Une passion héritée de sa famille comme le raconte Frédéric Roche, réalisateur du reportage intitulé Les amis du footballeur et consacré à Jérémy : « Il n’est pas différent des propriétaires classiques. Ce sont ses copains. Il en a 3, quand même. C’est vrai que d’accepter30 millions d’amisquand on est footballeur, c’est rare. C’est loin d’être une émissionpeople. Mais ça colle avec son image, c’est la nature. Il préfère la campagne avec ses chiens, pas les boîtes avec des danseuses. » Aux fastes, Morel préfère donc la quiétude des longues balades, la lecture d’un bon bouquin. Un îlot personnel que ses partenaires de vestiaire ne peuvent aisément rallier.
Le triomphe du taiseux
S’il arbore cette étiquette de discret aux plaisirs simples, Jérémy Morel ne se départ pas de ses attributs naturels lorsque la compétition arrive. Tout au plus s’ajuste-t-il. À Lorient, en 2010, le rôle de capitaine lui est même échu : « Il incarne des valeurs. Quand on dit leader, il y a des leaders techniques, de vestiaire ou de valeurs. Lui, il était garant des valeurs de Lorient. Le travail, l’humilité et l’ambition. Ce sont des valeurs qui lui conviennent parfaitement. Il donne tout et ne revendique rien. Il bosse et rectifie au lieu d’aboyer » , développe Fabrice Abriel. Se refusant à agir comme ses fidèles à quatre pattes, Morel a su au fil des ans faire accepter son mutisme parfois exacerbé, sa réserve plus naturelle que feinte. Sigamary Diarra est du même avis : « Des mecs comme Jérémy dans un vestiaire, il n’y en a pas beaucoup. Mais il y en a. Des grands timides, des réservés. Mais on ne le prend jamais mal. » Si les autres se sont habitués au taiseux, Morel lui a parfois fixé quelques limites, notamment avec un André-Pierre charrieur comme le balance Fab’ Abriel: « C’est parce qu’il a un humour, mais un certain humour. Parfois, les footballeurs se laissent dépasser par le langage quand ils sont ensemble, ils emploient des mots hors-contexte. On va chambrer une mère, et lui, il ne va pas apprécier. Alors que ça ne veut rien dire. Tout le monde est un peu « hop », et lui, il ne veut pas banaliser les mots et les choses. C’est clair dans sa tête. »
Clair dans sa tête donc, et droit dans ses baskets, Morel aurait désormais les arguments pour prendre de la place dans le vestiaire. Il n’en est rien. Sans plus de bruit que l’attention qu’on lui prête depuis son avènement dans l’axe, Jérémy travaille, encore, pour ne plus laisser les sifflets regagner ses oreilles. Marc Boutruche ne pensait déjà pas autre chose de son ami lorsqu’il s’adressait à L’Équipe en septembre dernier : « Il s’est toujours battu. Quand ça va bien, il ne carotte jamais un entraînement et, quand ça va mal, il ne carotte pas non plus. C’est un mec droit et respectueux. Un mec rare. Les supporters ont tout simplement ouvert les yeux. » Si le Vélodrome est enfin conquis après des années de malmènes, Sigamary Diarra est convaincu d’une chose : « Quand ça ira, il sera l’un des meilleurs. Quand ça n’ira pas, au contraire, il va faire des erreurs et ça va se voir. Jérémy, en un contre un, tu n’as rien à craindre. Il est puissant et rapide. Et puis, il n’hésite pas à apporter offensivement. C’est une force de la nature, une boule de muscles. Les gens ne se rendent pas compte. C’est naturel, en plus. » Comme tout le reste chez ce simple gars.
Par Raphael Gaftarnik et Swann Borsellino