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Quand la Real Sociedad ne savait pas perdre

Par Antoine Donnarieix
5 minutes
Quand la Real Sociedad ne savait pas perdre

Depuis la saison 1979-1980, le record d’invincibilité de la Real Sociedad, qui s'élève à 38 journées sans la moindre défaite en Liga, tient bon. À l'occasion de la réception de Valence aujourd'hui, le Barça a l'occasion d'effacer ce record des tablettes. Il est donc l'heure de rendre hommage à cette équipe de la Real Sociedad.

Le FC Barcelone et le Real Madrid, les deux ogres contemporains de la Liga espagnole, s’étaient lancés à la poursuite de ce record comme Long John Silver chasse un trésor. Devenir le club à la plus longue série d’invincibilité offre un prestige non négligeable à l’échelle nationale. Jusqu’au week-end dernier, ce record était la propriété d’une seule équipe en Espagne : la Real Sociedad. En l’occurrence, l’actuel treizième de Liga. À la fin des années 1970 pourtant, la Real était un collectif redouté dans toute l’Espagne. « Nous avions un superbe gardien de but dans notre équipe avec Luis Arconada, détaille Roberto López Ufarte dans un bon français. Pour l’épauler, notre défense était constituée de quatre stoppeurs sans latéraux. Ensuite, notre milieu travailleur et soudé à l’image de Jesús Zamora récupérait les ballons afin de servir le trio offensif : j’étais le numéro dix, Satrústegui et Idígoras s’occupaient de l’attaque avec leurs grands gabarits. » Un onze à la réputation bientôt invincible.

« Quand vous ne savez pas quoi faire du ballon, passez-le à Ufarte »

Bien entendu, ce 4-4-2 possédait son commandant de bord : Alberto Ormaetxea. Décédé en 2005, ce mâle alpha reste bien vivant dans les mémoires de ses matelots. « Ormaetxea était le phare de notre équipe, Arconada son bras droit, évoque Alberto Gorriz, recordman du nombre de capes sous le maillot de la Real avec 599 apparitions au compteur. C’est l’entraîneur qui m’a offert mon premier match chez les professionnels, et entre défenseurs de métier, nous partagions la même vision. Il ne parlait pas beaucoup, mais quand il ouvrait la bouche, c’était pour nous inculquer le sérieux et l’honnêteté dans le travail. » À l’entraînement, le coach est adepte de la rigueur. « J’avais le souvenir d’une de ses phrases favorites, poursuit le milieu offensif natif de Fès. « Quand vous ne savez pas quoi faire du ballon, passez-le à Ufarte, il saura quoi faire. » Il était carré sur la préparation physique, mais ce n’était pas un mec à aborder un match en lisant des livres. Sa force, c’était son caractère et sa capacité de motivation. C’était le patron qu’il nous fallait. »

Le dimanche 29 avril 1979, la Real Sociedad démarre son parcours homérique. La victoire 1-0 face au FC Valence lance les Txuri-Urdin dans une série de quatre victoires et deux nuls. Les Basques terminent quatrièmes de la Liga derrière le Real Madrid, le Sporting Gijón et l’Atlético de Madrid, et ce, grâce à une victoire acquise sur le terrain du FC Barcelone (1-3). Jesús María Satrústeguí faisait partie des joueurs ciblés par le Real ou le Barça à l’intersaison, mais sa fidélité envers son club formateur et ce « groupe d’amis » est restée plus forte. « Ormaetxea avait une vision du football à 80 voire 90% défensive, rembobine le meilleur buteur de l’histoire de l’Erreala. De fait, si notre adversaire marquait en premier, nous sortions de notre tactique et passions à un schéma davantage porté vers l’avant. Si l’adversaire ne trouvait pas de faille, les corners et centres nous donnaient des occasions de but, car Cortabarría, Gorriz, Idigorás ou moi-même étions capables de nous imposer dans les airs. » Défendre avec entrain pour fatiguer le rival et le maîtriser : la stratégie de la forteresse impénétrable gonfle avec succès.

Polémiques madrilènes, colique et chute au Sánchez-Pizjuán

Pour l’exercice 1979-1980, la Real s’installe dans le haut du tableau, enchaînant quatre victoires et quatre nuls. Au soir de la neuvième journée, la voilà même dans le duo de tête, où elle s’engage dans un chassé-croisé avec le Real Madrid. Sa faiblesse ? Ne jamais avoir remporté la Liga. Ses forces ? Un total de 20 buts encaissés durant l’intégralité du championnat, doublé d’une capacité à contraindre au score de parité. « À l’époque, une victoire t’offrait seulement deux points, contextualise Gorriz. Du coup, un nul à l’extérieur était perçu comme un résultat convenable. » Le 23 mars 1980, la Real Sociedad manque de distancer la Maison-Blanche au Bernabéu dans un final haletant. Un tournant pour Ufarte. « À Madrid, nous menions 2-0. Le Real revient au score, puis égalise grâce à un penalty très litigieux dans les ultimes secondes… On va dire que c’est facile de parler de l’arbitrage, mais le Real est souvent avantagé dans ce domaine. C’était du vol. »

Toujours dans le sillage de la Real, les Blancos jubilent au terme de l’avant-dernière journée du championnat. Le 11 mai 1980, le FC Séville agresse la Real pour terminer la rencontre à neuf contre onze, mais s’impose aux forceps grâce au doublé de Daniel Bertoni (2-1), une première depuis 38 rencontres consécutives. Vainqueur de son côté, le Real Madrid passe en tête au classement et file vers un nouveau titre en Liga. « Ce jour-là, je n’avais pas pris l’avion pour Séville, car j’avais contracté une colique néphrétique, décrit Ufarte. C’était notre première blessure de la saison pour notre effectif, elle arrivait au pire moment. » Les dégâts sont visibles : le convalescent Ufarte pleure dans une émission radio en direct, tandis que sur la pelouse du Sánchez-Pizjuán, le colosse Arconada est inconsolable.

Gorriz : « Cette invincibilité nous a donné deux leçons »

Le Real sacré champion d’Espagne, l’issue tragique de cette saison pour les Basques va prendre un goût plus amer quelques mois plus tard. « Bertoni avait expliqué que le Real Madrid leur avait offert une maleta pour les motiver davantage, affirme Ufarte. C’était la seule équipe qui pouvait se permettre ce genre de choses… » Malgré 4 500 000 de pesetas touchées par les joueurs du FC Séville pour service rendu, la Real Sociedad prend sa revanche à la régulière dans la foulée avec deux Liga remportées, en 1981 et 1982. « Cette invincibilité et ce statut de vice-champion nous ont donné deux leçons, conclut Gorriz. La première, c’était que nous étions capables de rivaliser avec les meilleurs. La seconde, c’est que nous étions trop modestes. En conséquence, nous avons repoussé nos propres limites. » Une belle recette pour chambouler l’histoire.

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Par Antoine Donnarieix

Tous propos recueillis par AD

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