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Les leçons tactiques de France-États-Unis

Par Markus Kaufmann
9 minutes
Les leçons tactiques de France-États-Unis

Au-delà de l’intensité amicale franco-américaine et du score final (1-1) anecdotique, le dernier match de préparation des Bleus a enfin tourné la page des examens individuels pour se replonger dans la construction collective. Le public lyonnais a revu l’articulation du milieu des compromis Kanté-Pogba-Matuidi, le nouveau rôle de Griezmann en trequartista et sa complicité avec Mbappé, et enfin l’attitude des quatre latéraux et des deux centraux en phase de possession. Sous les yeux d'un adversaire jeune et timide, les Bleus ont ainsi passé leur samedi soir à danser devant leur miroir.

Comme d’habitude, à l’heure d’observer un match de préparation, il faut regarder les mouvements plutôt que lire le résultat. Parce que le score final ne dit rien : avec une prestation égale ou similaire, les Bleus auraient pu l’emporter 5-1 ou 1-0, voire même perdre 0-1, et cela n’aurait pas constitué l’essentiel de la soirée. L’important était ailleurs : avec le ballon, les Bleus ont répété leurs gammes et les circuits de possession, montrant peu d’automatismes, mais affichant l’étendue des ressources de leur attaque – on les a toutes vues (la liste se trouve plus bas). Le contexte – adversaire, rythme, peur des blessures – ne leur a pas permis de se rassurer en phase sans ballon ou en transition. Alors que les autres matchs de préparation ressemblaient à des examens individuels et menaient parfois au chaos, Deschamps est revenu à la partition travaillée durant les éliminatoires depuis l’Euro : un système de jeu défini et une organisation claire qui sont la conséquence de compromis à tous les étages. À la mi-temps, le théâtre lyonnais dégage une drôle d’impression : si chaque artiste maîtrise son sujet, la prestation ressemble à la répétition générale d’un spectacle d’improvisations.

Phase sans ballon : l’espace et le temps

Durant la seconde période contre la Colombie, la Russie puis l’Italie – chaque match de préparation de 2018 à part l’Irlande –, les Bleus avaient abandonné leur solidité défensive affichée en début de match, concédant à chaque fois une douzaine de tirs. Et si l’anarchie due aux changements opérés à l’heure de jeu a une influence certaine, elle n’explique pas tout. Malheureusement pour notre analyse, les Américains se sont montrés trop humbles pour emballer la seconde période comme les Italiens et les Colombiens (il faut dire qu’ils menaient au score, aussi). Mais cela leur a suffi pour créer trois situations dangereuses : le but, le but refusé et une frappe dans la surface (84e). Les défenseurs français laissent souvent trois, voire quatre mètres d’espace à leur vis-à-vis : impossible d’en tirer des conclusions.

Le problème défensif des Bleus n’est pas de commettre des erreurs individuelles qui seraient (soi-disant) miraculeusement corrigées par un changement dans le onze. Bien avant les erreurs dans la surface ou la couverture du premier poteau, mieux défendre nous renvoie à une logique spatio-temporelle. L’espace : maintenir l’adversaire le plus loin possible de nos cages grâce à une possession de balle rapide et pressante. Le temps : évoluer dans un bloc assez compact pour que l’adversaire, à la récupération, n’ait pas le temps de formuler ses idées (transitions défensives). Enfin, cette rencontre a permis de revoir Griezmann dans un rôle reculé qui exploite ses qualités d’agresseur de ballons, capable d’interceptions au milieu et de pressing sur le gardien. À remarquer aussi : la discipline de Giroud dans ses replacements défensifs, toujours prêt à couper la ligne de passe entre le premier et le second relanceur. Quand il est entré en jeu, Dembélé était comme toujours plus concentré sur la création de déséquilibres offensifs.

Le script compromis du milieu

Grâce à son rythme bas, une opposition assiégée et des profils titulaires en défense et en attaque, ce match de préparation est l’occasion idéale pour analyser la distribution des rôles du milieu en phase de possession. L’organisation est claire : Kanté derrière, Pogba à droite, Matuidi à gauche. La circulation de balle l’est tout autant. Dès la première vague de possession, Kanté redescend entre Varane et Umtiti pour prendre en main l’initiative. Manette en mains, le jeu lui demande d’aérer et de distribuer. Mais alors que le milieu à trois permet théoriquement d’évoluer sur deux voire trois lignes pour créer des décalages et progresser dans le camp adverse, un premier obstacle intervient : Matuidi descend aussi d’un cran, sur le côté gauche. Rapidement, le circuit de possession dessine un croissant de lune d’une aile à l’autre : Sidibé pour Pogba, Pogba pour Kanté, Kanté pour Matuidi, Matuidi pour Mendy. Un circuit qui serait basique si Pogba ne se permettait pas d’accélérer les transitions en sautant les étapes. Défendre contre les Bleus revient alors à courir plus ou moins vite d’un côté à l’autre de la pelouse. Dans ce schéma zonal très mourinhesque, le milieu est garant d’un équilibre tactique, et se déconnecte presque de la phase suivante : l’animation offensive (presque, parce que les impulsions de Pogba et la verticalité de Matuidi).

Lorsqu’il construit son équipe, un sélectionneur doit choisir un point de départ : une idée de jeu à développer, un système de jeu à respecter, ou des joueurs à accommoder. Pour son milieu, Deschamps a choisi la troisième option : les joueurs précèdent le jeu et le système, d’où la domination d’un sentiment de compromis. S’il avait voulu privilégier le système, le sélectionneur aurait choisi une sentinelle de métier, comme Nzonzi. Et si l’idée de contrôle par la possession devait l’emporter, Matuidi serait remplacé par un milieu plus mobile et habile dans les circuits rapides, comme Tolisso ou Lemar. Kanté n’est pas une sentinelle et brille en Premier League dans un double pivot, tandis que Pogba s’est souvent montré plus dangereux en partant du côté gauche. Mais à une semaine du Mondial, le trio Kanté-Matuidi-Pogba semble favori, même s’il n’avait pas encore été aligné en 2018. La somme de leurs qualités individuelles, leur importance dans le groupe et leur expérience internationale est peut-être la plus élevée de tous les milieux possibles, certes, mais leur complémentarité ne crée pas de valeur, elle en sacrifie.

Et les bons pieds de Lemar et Tolisso ?

Par rapport à l’Euro, il faut souligner que la présence de Kanté devant la défense permet à Pogba de gagner en liberté, d’intégrer l’animation offensive bleue et de se rapprocher du but adverse. Mais Kanté peut-il gérer la transition défensive comme Pogba avait su le faire durant l’Euro ? Et avec le ballon, Kanté a-t-il tous les outils pour maîtriser la « géométrie » de ce poste de sentinelle ? Pour le moment, il doit demander à Pogba de faire ses devoirs de jeu long et à Matuidi de s’occuper de certaines récupérations. En mettant de côté l’esthétique, le goût et l’amour – ça fait beaucoup –, cette organisation de la possession se prive surtout d’un atout fondamental : maintenir une pression continue sur l’adversaire.

Puisque l’adversaire ne doit pas recourir à sa lecture du jeu, son talent d’anticipation défensive ou sa discipline tactique, il peut souffler et garder la tête froide pour sa prochaine récupération, voire contre-attaque. Les Bleus ont rarement donné le tournis aux milieux américains. Comme Lemar contre la Colombie, Tolisso et Fekir ont modifié le paysage : il a fallu attendre l’heure de jeu pour voir un échange spontané et imprévisible au milieu (Pogba-Tolisso-Pogba). On aurait dit deux joueurs de talent qui jouaient au football entre quatre adversaires perdus, à la place de voir le milieu relayeur gauche se rapprocher de la zone du milieu relayeur droit. Au Mondial, là où seuls ceux qui se surpassent survivent, l’élan créatif devra l’emporter sur la « logique disciplinaire » (Thibaud Leplat). Heureusement, ce circuit de possession lent ne meurt pas seul : lorsque les choses sont bien faites, il aboutit à une prise de balle de Griezmann ou Mbappé.

Griezmann en trequartista

Alors que l’Euro avait permis à la paire Griezmann-Giroud de construire une complémentarité efficace, Mbappé a tout changé à partir de mars 2017. Après 15 sélections (11 titularisations) du Parisien, Deschamps a fait progressivement évoluer le rôle de Griezmann, de seconde pointe à trequartista ou numéro 10. Face à l’Italie, sur des transitions rapides, son sens du jeu avait récompensé les mouvements de Mbappé et Dembélé. Samedi, avec le retour de Giroud et d’une possession lente, Griezmann avait moins de mouvements à récompenser et plus d’espaces à créer. Et l’on peut en tirer quatre enseignements. D’une, les Bleus ont dû attendre les déplacements de Grizou entre les lignes sur le côté droit pour réussir à accélérer. Une fois face au jeu, dans une position à la Messi, le Madrilène accélère naturellement vers l’axe et crée des décalages à chaque prise de balle. En général, cela aboutit à un changement de côté vers Mendy ou Matuidi, mais cela peut aussi se traduire en combinaison avec Giroud, Mbappé ou Pogba. À partir de la semaine prochaine, nos adversaires auront probablement un plan musclé pour l’empêcher de se retourner puis d’accélérer.

De deux, la mobilité de Griezmann permet de dialoguer avec celle de Mbappé. D’une vivacité inouïe avec et sans ballon, les deux hommes parlent le même football d’élite. Dans ce contexte, Giroud joue sa propre partition : occuper les centraux adverses et proposer une solution en pivot. De trois, les démarrages lointains de Griezmann offrent des solutions dans la profondeur. Si Mbappé s´est toujours montré tranchant dans ses appels, Giroud n’offre pas la même option (et quand il l’offre, il n’est généralement pas servi). Mendy et Sidibé peuvent aussi y aller, ils seront servis. Mais qui pourra servir le numéro 10, alors ? S’il a pu tirer son épingle du jeu en frappant à l’entrée de la surface, Griezmann se retrouve rarement à la réception de bons ballons dans la surface. D’où une vraie question : les Bleus peuvent-ils se priver de l’instinct de tueur de Grizou ?

Mixtape offensive

Place à l’accélération offensive. Si le bal lyonnais s’est vite transformé en numéro solo, les Bleus ont eu l’occasion de répéter tous leurs pas de danse. Nos prochains adversaires n’auront qu’à regarder cette rencontre pour observer la liste de nos ressources offensives. La frappe lointaine de Pogba, à droite, à gauche, au milieu. La fixation puis accélération de Mbappé depuis le côté gauche. L’appel de Mbappé dans la profondeur. L’accélération de Griezmann depuis le côté droit ou le rond central. Le gros coup de tête de Giroud sur coup de pied arrêté. Le pied gauche de Griezmann depuis l’entrée de la surface. Le coup franc de Pogba et Fekir. La frappe de Lemar à l’entrée de la surface, décalé à gauche. La frappe lointaine depuis le côté gauche de Matuidi, Mendy ou Hernández. L’accélération de Dembélé en diagonale vers l’entrée de la surface. La frappe lointaine de Fekir. La combinaison sur un pivot de Giroud (ou Matuidi) dans la surface. L’appel de Mbappé en retrait à l’entrée de la surface ou au point de penalty. La tête de Varane sur corner. Et enfin la délicieuse passe lobée de Pogba, samedi soir, de l’extérieur de pied. À noter l’absence de notre arme principale de l’Euro 2016 : pas de rematador Griezmann dans la surface de réparation.

À visiter : Le site Faute Tactique Le blog Faute Tactique sur SoFoot.com

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