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Le malheur est dans le prêt

Par Andrea Chazy et Mathieu Rollinger
6 minutes
Le malheur est dans le prêt

Avec l’idée de réguler, voire même d’interdire les prêts, la FIFA veut passer à l’offensive pour enrayer la spéculation autour des jeunes joueurs. Une initiative à double tranchant qui pourrait aussi mettre en difficulté de nombreux clubs qui se reposent financièrement sur ce modèle pour survivre.

Quatre-vingt-un. C’est le nombre de footballeurs actuellement prêtés aux quatre coins de l’Europe par trois clubs : la Juventus (41), Chelsea (22) et Manchester City (18). À ce niveau-là, plutôt que de « joueurs » , beaucoup parlent d’ « actifs » . Un écart sémantique qui illustre à lui seul un système des transferts rongé jusqu’à la moelle, notamment par les grands clubs. « On s’aperçoit que les prêts font l’objet de combines, charge Philippe Piat, président de la FIFPro et vice-président de l’UNFP. Quand un club fait signer un joueur le 1er juillet pour le prêter le 3 juillet, ça veut dire qu’il l’a pris non pas parce qu’il en avait besoin, mais pour faire de la spéculation sur sa valeur. » De quoi entendre des voix s’élever contre ces abus.

C’est d’ailleurs après qu’une action en justice, menée par le syndicat international des joueurs professionnels, a été intentée contre la FIFA auprès de la Commission européenne en 2015, que les choses ont commencé à bouger. Le syndicat international des joueurs professionnels dénonçait alors un système « anti-concurrentiel, injustifié et illégal » .

La FIFA veut raisonner le marché des transferts

Aujourd’hui, la plainte a été retirée et les débats sont ouverts. Depuis quelques mois, et encore dimanche dernier lors d’une réunion à Miami, la FIFA a réuni et consulté plusieurs interlocuteurs pour dessiner la future réforme du système des transferts. D’un contrôle plus strict des agents de joueurs à la création d’un fonds de solidarité pour les clubs formateurs, en passant par la limitation des effectifs, onze points ont été listés par le président Gianni Infantino pour tenter de raisonner le marché des transferts. Si ces mesures seront soumises à un vote lors du comité exécutif de la FIFA en octobre, un point soulève déjà quelques interrogations : celui concernant l’interdiction, du moins la limitation des prêts de joueurs.

Prête-moi ta main

De premier abord, le prêt peut être considéré comme une chance pour un joueur qui peut bénéficier d’un temps de jeu qu’il ne pouvait pas espérer dans son club d’origine. « Quand tu es jeune et que tu es dans un grand club, tu sais que tu ne vas pas avoir du temps de jeu tout de suite, confirme Serge Gakpé, qui a été prêté quatre fois au cours de sa carrière. Être prêté peut te permettre d’être compétitif plus rapidement. » Pour le club destinataire, voir débarquer un élément qu’il n’aurait pas pu se payer peut aussi représenter une belle affaire. Notamment quand on a un petit budget. « Pour les clubs de National, par exemple, ce serait une mauvaise nouvelle, se projette Stéphane Carnot, responsable du recrutement de l’En Avant de Guingamp. Ce serait la mort des petits clubs en quelque sorte. » Mais les profiteurs sont facilement identifiables : les grands clubs qui usent et abusent de cette possibilité.

« Concurrence déloyale et malsaine »

Surtout que ces déviances se mesurent directement sur le terrain. « Quand je vais au Portugal, dès que je trouve un joueur intéressant dans un petit club et que je regarde sa fiche, il est toujours prêté par Porto, Benfica ou le Sporting » , témoigne Stéphane Carnot. Et c’est tout le fond du problème : la manne financière que se constituent les clubs les plus riches avec un effectif pléthorique ne fait qu’accroître l’écart avec les clubs de seconde zone. Et c’est justement à ça que veulent s’attaquer prioritairement les syndicats, aujourd’hui soutenus par la Fédération internationale, avec une volonté d’instaurer une squad limit. « Ce n’est pas acceptable de prendre des joueurs, de les mettre en cheptel et de les dispatcher aux quatre coins de l’Europe pour les récupérer ensuite, vitupère Philippe Piat, lui-même ancien attaquant passé notamment par Monaco, Strasbourg et Sochaux. Ça crée une concurrence déloyale et malsaine. Normalement, un club ne devrait recruter que les joueurs qu’il utilisera vraiment pendant la saison. Point. »

Alors, limitation ou interdiction ? La FIFPro propose deux options : une interdiction stricte compensée par plus de laxisme sur la taille des effectifs ou, au contraire, un nombre de prêts encadré avec une limite de joueurs sous contrat à ne pas dépasser. Ce qui dans tous les cas obligerait les clubs à réfléchir à une nouvelle stratégie de recrutement et de formation. La FIFA, elle, n’a pas encore tranché, mais certaines pistes de réflexion sont déjà en application en France. Les clubs de l’Hexagone sont autorisés à prêter sept joueurs, et à en accueillir au maximum cinq en prêt. « Le système qu’on a en France est assez équitable et honnête à l’heure actuelle, assure Stéphane Carnot, favorable à la limitation. À Guingamp, ce serait compliqué d’avoir de la visibilité sur l’avenir si, sur vingt joueurs, la moitié appartenait à Paris, Monaco ou Lyon. Cette année, nous n’avons aucun joueur en prêt et on s’en sort plutôt bien. Mais ça reste une carte intéressante à jouer en cas de besoin. » Et si la grande majorité s’y tient, certains n’atteignant même pas leur quota, un seul déroge à la règle : l’AS Monaco.

Monaco, le mauvais élève

Le club du Rocher a ventilé pas moins de onze joueurs en France, en Italie et en Belgique. « À Monaco, certains comprenaient très vite qu’ils ne joueraient pas et que c’était mieux pour eux de partir » , témoigne l’Amiénois Serge Gakpé. L’astuce ? En envoyer quatre au Cercle Bruges, club-satellite dont Monaco est propriétaire. Une combine déjà bien dans les moeurs de Chelsea, qui a indirectement racheté le Vitesse Arnhem en 2010, ou encore chez Manchester City qui a un deal avec un autre club néerlandais, le NAC Breda. En France, ce modèle a aussi séduit le PSG, qui est actuellement en discussions avec le club portugais du Vitória Guimarães pour finaliser un partenariat.

Un ami belge

Cette réalité fait dire à Philippe Piat qu’il est maintenant urgent d’agir et de légiférer au niveau européen : « Pour l’instant, cette réglementation a donné satisfaction en France, mais le simple fait de voir des clubs anglais ou italiens faire autrement, cela peut créer des émules. » Surtout que les clubs rivalisent d’ « idées merveilleuses lorsqu’il s’agit de contourner la réglementation et asseoir leur position dominante » . Preuve en est avec le fair-play financier imposé par l’UEFA, le PSG évitant les sanctions sur le dossier Mbappé en recourant à… un prêt. Et si la limitation semble s’imposer comme nécessaire pour calmer la folie des grandeurs, l’interdiction pure et simple semblerait aussi sévère qu’inefficace. Surtout qu’empêcher Cheikh Diabaté de venir à la rescousse d’un club relégable ne serait qu’un immense gâchis.

Dans cet article :
Monaco repart de l’avant contre le Téfécé
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Par Andrea Chazy et Mathieu Rollinger

Tous propos recueillis par AC et MR

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