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« Le foot est devenu un grand sport en Micronésie »

Propos recueillis par Paul Piquard
7 minutes
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Après plusieurs années de recherches, Matthew Conrad et son ami Paul Watson deviennent en 2009, à 25 ans, les plus jeunes sélectionneurs nationaux de l'histoire. Où ? À Pohnpei, une île de Micronésie qui peut se targuer du titre de « pire équipe du monde », n'ayant jamais, avant leur arrivée, remporté la moindre victoire. Entretien avec un type qui a décidé de jouer à Football Manager en vrai.

Comment vous est venue cette idée folle ?

On avait 24 ans. On ne savait pas trop quoi faire de nos vies, alors on s’est mis à regarder de plus en plus de foot. Un jour, pendant les qualifications de l’Euro 2008, on regardait Andorre-Russie, parce que le match décidait du sort de l’Angleterre. Donc on se demandait qui faisait partie de l’équipe d’Andorre, puisqu’on les soutenait pour que l’Angleterre ait une chance de se qualifier. En se marrant, on se disait que ce serait de la folie de jouer pour Andorre, et d’affronter la Russie ou l’Angleterre en match officiel. Puis, on a commencé à être obsédés par l’idée de trouver la pire équipe nationale du monde, qui nous permettrait d’avoir nos premières sélections nationales. On jouait au foot le dimanche, sous la pluie. On perdait tout le temps, le terrain était super loin du quartier où on vivait. Donc on s’est dit, « quitte à perdre, autant se barrer » . Mais c’était trop compliqué de se faire naturaliser, donc on s’est rabattus sur l’idée de devenir sélectionneurs.

Donc, c’était une blague au départ, ou vous étiez vraiment sérieux ?

Une fois qu’on a découvert Pohnpei, on leur a envoyé un mail, un peu sur le ton de la blague au départ. La blague est devenue un projet sérieux après avoir mené le premier entraînement, là-bas.

Mais comment avez-vous eu le poste ? Parce qu’il y a une différence entre envoyer un mail avec un pote et vraiment devenir sélectionneur national. Vous n’aviez pas besoin de diplôme ou de document officiel ?

La réponse tient en trois mots : on s’est pointés. Personne n’avait songé à prendre ce poste. Il n’y avait pas vraiment d’équipe. Il y avait plein de mômes là-bas qui ne faisaient pas grand-chose, ou plutôt pas mal de conneries. Donc les gens nous ont fait plutôt confiance, ont vu qu’on était sérieux et motivés.

Que se passe-t-il une fois là-bas ? Vous aviez des infrastructures ? Des joueurs ?

Pour notre premier entraînement, après un vol de 36 heures, un stop aux Philippines, on arrive sur le terrain, et il y a un seul mec, mais il portait un maillot de Beckham, donc on s’est dit qu’on était bien partis !

Du coup, vous avez dû recruter des joueurs ? Comment cela s’est passé ?

Déjà, le terrain était plein de hautes herbes, les buts étaient en très mauvais état. Mais on a observé des joueurs, et on s’est dit que la meilleure option était de créer un championnat. Donc on a encouragé les gars sur place à créer des équipes, quatre ou cinq, et dans ce groupe de joueurs, on a pris les meilleurs.

Mais vous aviez au moins quelques joueurs qui avaient déjà joués à un niveau respectable ?

On a eu de la chance. Il y avait un type qui était né au Sri Lanka, mais dont les parents faisaient partie d’un mouvement de missionnaires, et qui s’étaient installés en Micronésie. C’était un athlète hyper talentueux. Il avait failli devenir joueur de cricket professionnel. Il avait passé du temps aux Philippines à jouer au foot en semi-pro, puis quelques saisons en pro. Il n’avait pas pu passer trop de temps avec sa famille. Donc pour lui, voir deux mecs débarquer pour créer une vraie équipe de foot, c’était un rêve devenu réalité.

Comment se passait l’entraînement ? À quelle fréquence est-ce que vous vous réunissiez ?

Pendant le championnat, les joueurs s’entraînaient deux fois par semaine, mais tout le monde pouvait participer. C’est là où on travaillait pour monter l’équipe nationale. On voyait les joueurs qui étaient vraiment motivés par le projet. Et lorsque le championnat se terminait, on les rassemblait pour s’entraîner ensemble trois fois par semaine.

Avant votre arrivée, quel était le meilleur résultat de Pohnpei ?

Pohnpei n’avait jamais gagné un seul match. Ils ont connu leur première victoire sous notre mandat. Nous sommes allés à Guam, pour affronter une de leurs équipes de première division. Et on les a battus 7-2. C’était un gros truc. Guam avait battu Pohnpei 16-1 dans le passé, donc les gens se moquaient pas mal. On nous appelait « la pire équipe du monde » .

Comment vous traitiez les blessures, et les petits problèmes de santé liés au foot ?

Il y avait deux hôpitaux à Pohnpei. L’hôpital général est réservé aux gens défavorisés, et il y a une sorte de clinique privée. Le second est super, très moderne, mais très cher. À l’hôpital général, peu importe ce que tu avais, ils te donnaient la même pilule. Que vous ayez un bleu ou une jambe cassée, c’était le même médicament ! Un de nos joueurs s’est fait renverser un jour et a failli mourir. Dans ces cas-là, les plus graves, les gens sont envoyés aux Philippines.

Comment et pourquoi l’aventure s’est-elle terminée ?

Elle s’est terminée parce que nous avions obtenu notre première victoire. On avait montés une équipe, permis de développer des infrastructures. Et pas seulement à Pohnpei, mais dans des îles autour. On avait lancé un programme lié au foot qui a bien fonctionné. On a essayé de transmettre aux locaux des méthodes, afin qu’ils répliquent les structures que nous avions mises en place. Si vous regardez les îles de Chuuk et Yap, ils ont des ligues très compétitives désormais. Le football est devenu un grand sport en Micronésie. Ils viennent de disputer les Jeux micronésiens, l’équivalent des Jeux olympiques, mais entre les îles de Micronésie, et Pohnpei est désormais le champion de Micronésie. On est partis parce qu’on avait fait notre temps, on n’était pas payés. Tout ce que l’on faisait était sur la base du volontariat. On avait rempli notre objectif, donc c’était le moment de laisser les locaux reprendre en main le projet. Par chance, ils ont pris le relai, et il y a des centaines d’enfants qui sont dingues de foot maintenant, à Pohnpei.

Vous êtes partis à l’âge de 25 ans. Ce n’est pas forcément facile de quitter son pays pour aller à l’autre bout du monde. Qu’est-ce qui vous a manqué le plus ?

Nos copines, bien sûr ! Enfin, moi, j’étais célibataire, donc ça allait ! Personnellement, j’ai adoré être là-bas, c’était unique ! Bien sûr, il y a quelques trucs qui rendent la vie un peu plus compliquée : il y a des jours où il fait tellement chaud qu’on ne peut pas sortir de chez soi, et puis, cela n’a rien à voir avec les grandes villes animées. Mais ce qui nous importait là-bas, c’était de retomber amoureux du football. On en avait marre du côté prétentieux et commercial du football professionnel anglais, donc on voulait retrouver la proximité qui va avec le fait de jouer pour ton équipe locale. L’argent a fait perdre le contrôle aux supporters. Donc lorsqu’on était là-bas, c’est exactement l’endroit où on voulait être. J’en ai profité chaque jour.

Paul et toi, cela s’est toujours bien passé ou vous avez eu des désaccords ?

On n’a jamais été en désaccord, jamais. Pour un projet comme celui-ci, il faut partir avec votre meilleur ami. Donc on rigolait vraiment tout le temps. Et on a peut-être pleuré par-ci par-là (rires) ! C’était une bénédiction. C’est aussi cela l’amitié, avoir des projets complètement dingues. On ne s’est pas manqués de respect une seule fois. On savait aussi à quel point l’autre avait fait des sacrifices pour être là. Ce genre de truc, ça vous apprend aussi à être patient.

Et maintenant ? J’ai cru comprendre que vous étiez partis en Mongolie…

On a commencé un projet en Mongolie. Paul y est allé pour repérer des joueurs, et il a monté une équipe en première division mongole. Ensuite, on a écrit un article pour Vice et un des dirigeants de la première division mongolienne l’a lu, et nous a contactés. On l’a rencontré à Londres, pour voir si on pouvait collaborer. Moi, je devais partir aux États-Unis. Donc Paul y est allé seul, pour voir si c’était viable. Finalement, ce projet n’a pas trop fonctionné. Mais Paul a fait du bon boulot. Sur ce seul voyage, il a fait passer des tests à des tonnes de joueurs. Les meilleurs ont intégrés une équipe et sont arrivés deuxièmes de première division.
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Propos recueillis par Paul Piquard

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