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  • Première guerre mondiale

La partie de foot de Noël 1914 au front

Par Régis Delanoë
6 minutes
La partie de foot de Noël 1914 au front

Le 25 décembre 1914, à la frontière franco-belge, soldats allemands et britanniques s'offraient une trêve de quelques heures en pleine ligne de front, histoire d'enterrer les morts et retrouver un peu d'humanité. Jusqu'à improviser une partie de football ? Encore aujourd'hui, les historiens sont partagés sur l'existence réelle de ce match, faute de preuves tangibles...

Les pronostiqueurs de l’époque s’étaient méchamment trompés. Le conflit contre les Allemands ? Bah, ça devrait être l’affaire d’une poignée de semaines, quelques mois grand max, avaient-ils quasi tous prédit lors de la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne aux « Boches » le 3 août 1914. Ceux-ci venaient de pénétrer en territoire belge et les Britanniques, garants de la neutralité du plat pays selon les accords internationaux, était contraints de traverser la Manche. Aveuglés par le patriotisme, ils pensaient tous en finir rapidement et s’imaginaient rentrer fêter Noël en famille. Mais cette guerre allait vite prendre un tournant plus barbare encore que toutes les précédentes dans l’histoire.

Dès la première Bataille des Flandres en octobre novembre, l’affaire vire à la boucherie. En l’espace d’à peine un mois, 260 000 soldats vont trouver la mort à la frontière franco-belge, aux environs de la commune d’Ypres. À peu près autant de victimes sont dénombrées de chaque côté. Chacun tient à garder sa position, la guerre s’installe pour de bon et les soldats s’enfoncent sous terre, creusant les premières tranchées du conflit. La violence des combats a choqué tout le monde. L’horreur de la guerre n’a pas encore été ancrée comme une habitude, la haine féroce de l’ennemi non plus. Il reste encore une parcelle d’humanité sur le champ de bataille. Bientôt elle disparaîtra. En attendant, les deux camps s’observent, se craignent, avec à peine 50 mètres de distance entre eux. La fin de l’année approche. Il faut se faire une raison : Noël ne se fêtera pas en famille au coin du feu comme c’était prévu, mais dans le froid et la boue.

Corned beef contre schnaps

Pour essayer de remonter le moral des troupes, le roi George V organise l’envoi de colis au front, avec pour chaque soldat un paquet cadeau contenant du courrier, du chocolat et des cigarettes. En face aussi, on essaie tant bien que mal de fêter Noël. Des sapins sont érigés en haut des tranchées, on chante le fameux « Stille Nacht, Heilige Nacht » . C’est à partir de ce moment que les historiens ne sont plus tous d’accord et hésitent à séparer les faits avérés du joli conte nourri et amplifié les années d’après-guerre par des témoignages pas toujours convaincants. Voici l’histoire de ce 25 décembre 1914 au front, telle qu’elle est encore largement racontée aujourd’hui.

Ce sont les soldats allemands qui, les premiers, auraient pris l’initiative de sortir des tranchées et de gagner le no man’s land entre les deux lignes de front. Les chants et les sapins de Noël auraient permis d’exprimer aux ennemis d’en face leur volonté de mettre en place une trêve de quelques heures. Les Britanniques acceptent le deal et sortent à leur tour des tranchées. La rencontre inédite entre les adversaires aurait eu lieu le 25 au matin, par un temps clair et froid, sur un sol gelé et recouvert de la neige tombée la nuit précédente. On essaie de communiquer tant bien que mal, on échange quelques cadeaux. Les cigarettes de George V contre les cigares du Kaiser, rhum et corned beef contre bière et schnaps. On se montre des photos, on enterre les morts qui croupissaient dans le no man’s land.

Une victoire allemande 3-2 ?

Puis, de fil en aiguille, un soldat britannique aurait sorti un ballon de football de son paquetage. Un match historique contre les Allemands s’en serait suivi. Il se raconte même que ce sont les Allemands qui auraient gagné sur le score de 3-2. Entre autres détails, on raconte que la partie se serait déroulée sur une route, près d’un champ de navets. Le problème, c’est qu’aucune photo n’a été prise de cette rencontre, au point qu’on en arrive aujourd’hui à se demander si elle a vraiment existé.

Plusieurs historiens se sont penchés sur la question, par exemple Iain Adam et Trevor Petney, qui sont sceptiques. Selon eux, non seulement il manque des preuves photos, mais surtout, ils ne sont parvenus à recueillir aucun témoignage direct de la scène. Étant donné la grande correspondance des soldats sur le front et le caractère inédit de l’événement, c’est étonnant… Pour Alan Reed et Andrew Hamilton aussi, il y a matière à douter. Dans leur ouvrage We good… We no shoot, ces historiens reconnaissent l’existence de la trêve de Noël (le grand-père d’Andrew Hamilton, un capitaine de l’armée britannique, en aurait été un des instigateurs) sans pouvoir clairement se prononcer concernant la partie de foot.

Un match ou seulement quelques passes ?

Le témoignage le plus intéressant est signé du lieutenant Bruce Bairnsfather, resté fameux pour avoir dépeint la guerre en tant que dessinateur-caricaturiste. Dans un article du Telegraph datant de l’an dernier, il est rapporté que Bairnsfather écrit dans son carnet en ce 25 décembre : « Vers midi, il fut suggéré d’organiser un match de football. À l’évidence, quelqu’un avait reçu un ballon dégonflé en cadeau. » Puis plus loin : « L’un des nôtres a pris le ballon et a tiré dedans. » De là à considérer qu’un match a eu lieu, qui plus est avec les Allemands dans l’équipe adverse… Toujours d’après le Telegraph, un soldat de l’armée allemande se montre un peu plus précis encore. Extrait du journal du lieutenant Kurt Zehmisch, du 134e régiment saxon : « Deux Anglais rapportèrent un ballon de leur tranchée et un match de football vigoureux débuta. C’était si merveilleux et étrange. Les officiers anglais le pensaient également. Plus tard dans la soirée des officiers soumirent l’idée d’organiser un grand match de football entre les deux positions le lendemain. »

Mais le lendemain, il semblerait que la rencontre prévue ait été finalement annulée, les deux camps ayant reçu l’ordre d’en haut d’arrêter ces fraternisations temporaires avec l’ennemi. On peut donc penser qu’il y a bien eu un ballon de football dans l’histoire (beaucoup d’historiens rapportent que les soldats anglais en avaient amenés lors de leur engagement, notamment Michel Merckel dans son ouvrage 14-18, le sport sort des tranchées). Certains soldats ont peut-être improvisé quelques passes, ce que Zehmisch considère comme « un match de football vigoureux » . De là à considérer qu’il y a eu un affrontement amical balle au pied entre soldats des deux camps, c’est une autre histoire… Mais elle est tellement belle et correspond si bien à « l’esprit de Noël » qu’elle a perduré jusqu’à aujourd’hui. En 2014, un match entre soldats allemands et britanniques a d’ailleurs eu lieu pour commémorer le centenaire de l’événement. Celui-ci au moins, on ne peut douter de son existence.

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Par Régis Delanoë

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