- Coupe d'Afrique des nations
La CAN tous les quatre ans, la dernière idée d’Infantino
Gianni Infantino, lors d’un séminaire organisé au Maroc, a conseillé à la Confédération africaine de football (CAF) de réfléchir à organiser la Coupe d’Afrique des nations tous les quatre ans, en avançant arguments économiques (beaucoup) et sportifs (un peu), afin de rendre la compétition plus attractive. Déjà, les premières oppositions se font entendre.
« On ne s’y attendait pas. Certes, ce séminaire devait être l’occasion d’aborder des thèmes comme les compétitions et les infrastructures en Afrique, mais quand on a entendu Infantino parler d’une CAN tous les quatre ans, ça a été une surprise. D’ailleurs, c’est tout ce qu’on a vraiment retenu, alors qu’il a évoqué d’autres dossiers. » Ce président d’une Fédération africaine, qui avait fait le déplacement le week-end dernier à Salé, pour assister à ce séminaire, n’a pas regretté son voyage. Depuis la prise de parole d’Infantino, le grand public n’a retenu que cette proposition de changer le calendrier de la principale compétition (et source de revenus) de la Confédération africaine de football. « Alors qu’il a parlé des stades ou de l’arbitrage » , souligne l’ancien buteur des Lions indomptables camerounais Patrick Mboma, présent au Maroc.
L’argument économique d’Infantino
La CAN est, avec la Gold Cup (CONCACAF), le dernier tournoi continental à se jouer tous les deux ans. Le président de la FIFA, qui sait de quoi il parle quand il s’agit d’oseille, a rappelé que la CAN générait vingt fois moins de revenus que l’Euro, et que la rareté – c’est-à-dire une phase finale disputée tous les quatre ans – la rendrait « plus attractive au niveau mondial » . La suggestion de l’Italo-Suisse n’a pourtant pas fait bondir de joie les acteurs du football africain. « En tant que joueur, cela m’aurait ennuyé d’apprendre que la CAN aurait lieu tous les quatre ans. Infantino a dit que la rareté entraînerait automatiquement une augmentation des recettes. Il a sans doute des éléments, mais je pense que le problème est ailleurs, poursuit Mboma. C’est à la CAF de mieux vendre ses produits, la CAN et la Ligue des champions notamment. À partir du moment où, au niveau marketing, les principales compétitions sont mieux vendues à l’international, je ne vois pas pourquoi il faudrait organiser la CAN tous les quatre ans. La périodicité actuelle a plutôt tendance à me convenir. »
Dussuyer : « Ça risque de passer en force »
L’avis du double champion d’Afrique (2000 et 2002) est assez largement partagé par Michel Dussuyer, le sélectionneur du Bénin. Avec les Écureuils, comme avec la Guinée et la Côte d’Ivoire précédemment, le Français a participé à plusieurs phases finales. « En tant que technicien, je ne suis pas vraiment emballé par cette hypothèse. Depuis que je travaille en Afrique, j’ai pu aussi me rendre compte que les Africains sont très attachés à cette compétition et à sa périodicité. La CAN passionne l’Afrique. Infantino, qui parle beaucoup, beaucoup d’argent, s’intéresse énormément à l’Afrique ces derniers temps. C’est bien, mais je me demande ce que cela cache. Est-ce qu’il envisage une CAN tous les quatre ans pour favoriser les clubs ? » s’interroge Dussuyer.
Le Cannois n’a pas vraiment tort de poser ouvertement la question. Le 15 janvier dernier, la CAF avait décidé de procéder à un glissement de calendrier de la CAN 2021 au Cameroun, en la reprogrammant du 9 janvier au 6 février. Officiellement pour des raisons climatiques. Mais il n’a échappé à personne que la CAN 2021, censée se disputer en juin-juillet, a été avancée de plusieurs mois sur la courtoise, mais ferme recommandation de la FIFA, laquelle inaugurera du 17 juin au 4 juillet sa nouvelle Coupe du monde des clubs à vingt-quatre. « Moi, j’ai l’impression que la FIFA ne veut plus que les seules confédérations aient la mainmise sur les compétitions. La dernière déclaration d’Infantino le prouve, et je ne serais pas surpris que ce projet passe en force, poursuit Dussuyer, favorable au maintien de la CAN tous les deux ans. Je suis assez surpris de voir la FIFA aussi impliquée dans les affaires du foot africain. Et je ne suis pas certain qu’Infantino se le permettrait avec l’UEFA… »
Chafik : « Les Africains attendent la CAN tous les deux ans »
La CAF a prévu de plancher sur le sujet dans les prochains mois, et d’étudier la suggestion d’Infantino. « Il ne faut pas voir dans les déclarations du président de la FIFA un commandement, comme j’ai pu le lire ou l’entendre. Sachant que les éditions 2021 (Cameroun), 2023 (Côte d’Ivoire) et 2025 (Guinée) sont déjà attribuées, rien ne serait possible avant 2027 » , rappelle Mboma. Depuis Dijon, le défenseur international marocain Fouad Chafik ne se fait guère d’illusions sur la suite des opérations : « Comme d’habitude, ni les joueurs, ni les sélectionneurs ne seront consultés. Ou alors on ne tiendra pas compte de leur avis. Ils(les décideurs, N.D.L.R.) feront leur truc de leur côté, comme toujours. Moi, en tant que joueur et international, et même si j’entends les arguments économiques, des éventuelles retombées pour le foot africain si la CAN devait rapporter plus d’argent, je réfléchis en tant que sportif. Déjà, la CAN est un évènement pour les Africains, qui attendent cette compétition avec impatience tous les deux ans. De plus, sachant qu’il est difficile de se qualifier pour une Coupe du monde(l’Afrique compte cinq représentants en phase finale, et neuf en 2026 avec l’extension à quarante-huit équipes, N.D.L.R.),la CAN est une possibilité pour certaines sélections de participer régulièrement à une phase finale et pour des joueurs de se faire remarquer. Et puis, l’organisation d’une CAN permet à des pays d’améliorer leurs infrastructures, comme la voirie ou l’hôtellerie. »
Infantino a lancé une véritable bombe, samedi. En sachant parfaitement ce qu’il faisait. Les premiers retours ne sont pas forcément positifs, même si certaines voix, dont celle de Didier Drogba, s’élèvent pour soutenir une CAN tous les quatre ans. Le président de la FIFA suivra de très près les débats que la CAF s’apprête à ouvrir. Et il ne se privera pas de délivrer certains messages au moment qu’il jugera opportun. Et ça, Infantino sait faire.
Par Alexis Billebault