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Grace Ly : « On a toujours l’impression qu’on peut rire impunément des Asiatiques »

Propos recueillis par Raphaël Brosse
6 minutes
Grace Ly : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>On a toujours l’impression qu’on peut rire impunément des Asiatiques<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Les propos plus que douteux proférés à l’encontre de Suk Hyun-jun, dimanche dernier lors de Marseille-Troyes (1-0), ont rappelé à tout le monde que le racisme anti-asiatique était encore bien présent dans les stades de l’Hexagone. Grace Ly, écrivaine, podcasteuse, militante antiraciste et accessoirement grande fan de foot, y voit le triste reflet d’une réalité qui concerne la société française dans son ensemble.

Quelle a été ta première réaction en prenant connaissance des propos à caractère raciste dont Suk Hyun-jun a été la cible, dimanche dernier ? J’ai évidemment trouvé ça scandaleux, mais je me suis surtout dit : encore ! Ce n’est pas la première fois que l’on parle de racisme sur des terrains de foot, et en l’occurrence de racisme anti-asiatique. Là, pour le moment, on est dans l’indignation. Troyes a condamné ces propos, l’OM s’est associé à cette prise de position… C’est important tout ça, c’est indispensable de soutenir le joueur concerné. Mais maintenant, on attend des actes. Que vont faire les professionnels du foot, les clubs, les fédérations, pour réparer, éduquer et prévenir ? Parce que là, ce qu’il s’est passé, c’est très grave.

Ces propos ont a priori été prononcés par des individus qui se trouvaient sur le banc de l’OM, et qui se sont exprimés ainsi malgré la présence de caméras et de micros partout autour d’eux. Qu’est-ce que cela traduit, selon toi ?Cela signifie simplement que pour eux, dire cela, c’est banal. Or, l’un des grands obstacles à l’éradication du racisme sous toutes ses formes, c’est justement la banalisation. Là, on a entendu parler de « samouraï », de « sushis ». En général, la première réaction des gens est de dire : « Non, mais ça va, c’est pour rire. » J’ai 42 ans, et ça fait 42 ans que j’entends ça. On confond souvent humour et racisme. Sauf que le racisme, ça n’est pas drôle. On doit se questionner, pour comprendre pourquoi on en est encore là, en 2021. Mais où est-ce qu’on a merdé ?

Ce qui contribue à la banalisation, c’est le déni. Donc quand Noël Le Graët assure qu’il n’y a pas de racisme dans le football, ça alimente encore plus ce phénomène.

Tu as une idée de la réponse à cette question ?Ce qui contribue à la banalisation, c’est le déni. Donc quand Noël Le Graët assure qu’il n’y a pas de racisme dans le football, ça alimente encore plus ce phénomène. Lui, le racisme, il ne l’a sans doute jamais vécu, et au lieu de poser la question aux joueurs, aux salariés de la Fédé qui auraient pu y être confrontés, il assure que tout ça n’existe pas. C’est quand même incroyable.

Pour en revenir au cas précis du racisme anti-asiatique, les précédents dans le foot ne manquent pas. On pense aux accusations qui ont visé Antoine Griezmann et Ousmane Dembélé, par exemple… Les propos étaient extrêmement violents, très arrogants. Moi, j’avais été sciée par la réponse de Griezmann sur les réseaux sociaux : « Je suis désolé si j’ai pu offenser mes amis japonais. » Le « si » était de trop, bien sûr qu’il a offensé des gens. Même dans cet exercice-là, de l’excuse, il n’est pas bon. On pourrait aussi parler de Neymar, un grand joueur, qui aurait traité Hiroki Sakai de « Chinois de merde » , ou d’Adil Rami qui, durant une émission de cuisine, avait pris un accent insultant pour mimer les Asiatiques. Et encore, là, c’est seulement la partie émergée de l’iceberg. On ne sait pas ce qu’il se dit sur les terrains quand les micros sont éloignés, comment ça se passe dans les vestiaires… Je déplore que rien ne soit mis en place pour y remédier, et ça ne change jamais.

Pourtant, les instances multiplient les campagnes contre le racisme, à grands coups de spots publicitaires et de slogans affichés dans les stades… C’est bien d’afficher de bonnes intentions, mais quand on a un cas avéré de racisme, il faut aussi prendre les bonnes décisions. C’est-à-dire soutenir le joueur visé et, en parallèle, passer à l’action pour que cela ne se reproduise plus. Les campagnes de pub qui servent à redorer son image, ça ne suffit pas. Dans les fédérations, on a surtout besoin de personnes qui travaillent sur le fond, et pas que sur la forme.

L’expression selon laquelle le football n’est que le reflet de la société est-elle pertinente en ce qui concerne le racisme anti-asiatique ?Absolument. Notre société porte également en elle une histoire qui a fait une place au racisme. Avant, la France était un empire, qui a soumis des peuples entiers. Mes parents étaient cambodgiens. À leur naissance, ils étaient des sujets de l’empire français, et non pas des citoyens comme vous et moi aujourd’hui. Notre job, en tant que membres de cette société, c’est de faire en sorte que la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ne soit pas creuse. Mais la bataille est rude, parce qu’une élection présidentielle se prépare et que certains candidats présentent des thèses bien différents…

Il y a cette idée, erronée, selon laquelle le racisme anti-asiatique serait « moins grave » que les autres.

Comment expliquer que l’on entende aussi peu parler de cette forme de racisme dans les médias ?C’est vrai qu’il y a cette idée, erronée, selon laquelle le racisme anti-asiatique serait « moins grave » que les autres. On a toujours l’impression qu’on peut rire impunément des Asiatiques, que ce n’est pas très grave. D’autres en souffrent aussi, comme les populations roms. C’est ça, finalement, que l’on retrouve sur les terrains de foot.

Comment la situation a-t-elle évolué ces dernières années ?Il y a une évolution assez positive. Hélas, il a fallu la mort d’un homme, Zhang Chaolin, qui était couturier à Aubervilliers et est décédé des suites d’une agression en 2016, pour que les choses bougent enfin. Le procès qui a suivi était historique, parce que la justice a reconnu le caractère raciste de l’agression. Une vraie mobilisation s’est créée après ce drame, le grand public a pu être sensibilisé. Mais la pandémie et ce virus originaire de Wuhan ont entraîné une résurgence des actes anti-asiatiques. Des personnes ont été victimes d’agressions physiques et verbales, de rejet en raison de leur faciès. Certaines en sont même venues à tweeter avec #JeNeSuisPasUnVirus. Tout ça, c’est réel. Néanmoins, je suis plutôt optimiste, parce qu’il y a enfin eu une prise de conscience de l’existence de ce fléau.

Propos recueillis par Raphaël Brosse

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