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Certains l’aiment Shaw

Par Romain Duchâteau
8 minutes
Certains l’aiment Shaw

La gueule du gendre idéal, la coiffure toujours soignée, des courses incessantes et un potentiel qui prête aux plus grands fantasmes. Sur le papier, Luke Shaw possède tout ce qu’il faut pour devenir le meilleur latéral gauche du Royaume, voire une référence mondiale à l’avenir. À vingt et un ans, le temps ne presse pas encore. Mais le jeune Anglais doit commencer à assimiler certaines exigences pour chasser quelques doutes.

La tempête n’avait pas encore soufflé sur Manchester. Elle couvait encore simplement au loin, mais les prémices apparaissaient déjà. Lui, pourtant, a le regard noir. Celui des mauvais jours. José Mourinho n’apprécie guère le spectacle qui se déroule sous ses yeux en cet après-midi de septembre. Emprunté, dénué de toute inspiration, Manchester United vacille à Watford. Alors, à cinq minutes du terme, le manager portugais décide de sortir l’un des principaux fautifs de cette première déconvenue mancunienne dans le Hertfordshire depuis 1986 (3-1). Luke Shaw s’exécute avant de recevoir sur le banc une soufflante devant le reste de ses partenaires. Quelques minutes plus tard, c’est en conférence de presse que le latéral gauche se voit une nouvelle fois accabler par son boss. Sans détour et en prenant bien le soin de ne jamais mentionner son nom. « Aujourd’hui, sur le premier but, Amrabat est sur le côté droit, et notre arrière gauche est à vingt-cinq mètres de lui au lieu de cinq, a-t-il regretté, sans dissimuler une profonde irritation. Mais même si vous êtes à vingt-cinq mètres, vous devez jaillir et aller le presser. Mais non, nous attendons. C’est une question de tactique, mais aussi de mental. »

Une sortie isolée, pouvait-on supposer. Sauf que non. « The Special One » qui avait l’habitude de jouer les paratonnerres pour préserver ses joueurs, c’est fini. Récemment, Mourinho en a remis une couche, dénonçant cette fois la mentalité de Shaw et de Chris Smalling qui ont déclaré forfait à la dernière minute lors du déplacement à Swansea (1-3). Toujours sans citer directement de noms. « Si on posait la question aux grands joueurs de ce club, ils diraient qu’ils ont joué bien souvent sans être à 100 %. Il faut le faire pour l’équipe. C’est ma manière de voir les choses » , a-t-il martelé, l’agacement encore palpable. La victoire des Red Devils en terres galloises, après une série morose de quatre matchs sans succès en championnat, permet de repousser un temps une crise imminente. Mais la situation personnelle de Luke Shaw, elle, continue en revanche d’interpeller, tant le gamin suscite de folles attentes.

L’éducation de Pochettino et le coup d’arrêt

Comprendre pourquoi l’Angleterre scrute le jeune Britannique avec une attention singulière, c’est revenir à ses premières foulées. Aussi fulgurantes que remarquées. Façonné dans le giron de Southampton, Luke Shaw frappe très rapidement à la porte des professionnels. À seize piges, son coach Nigel Adkins le lance dans le grand bain à l’occasion d’un match de FA Cup en janvier 2012 et parle de lui comme d’une « pièce essentielle dans nos futurs plans » .

Dès qu’il est allé en équipe première, il a fait bonne impression. Il était si rapide et si puissant. Il y avait des joueurs rapides dans l’équipe, mais il était au-dessus. Et ce qui est drôle, c’est qu’il ne donnait pas l’impression de se donner à fond.

Alors que beaucoup de jeunes effectuent leur apprentissage étape par étape outre-Manche, la trajectoire épousée par l’Anglais diffère. Au début de l’exercice 2012-2013, il s’installe comme titulaire en Premier League aux côtés de Schneiderlin, Lallana et Clyne. Comme une évidence malgré son très jeune âge. « Luke était déjà très mature en dépit de son jeune âge, se remémore l’attaquant Steve De Ridder, son coéquipier et voisin de casier à S’ton durant deux ans (2011-2013). Dès qu’il est allé en équipe première, il a fait bonne impression. Il était si rapide et si puissant. Il y avait des joueurs rapides dans l’équipe, mais il était au-dessus. Et ce qui est drôle, c’est qu’il ne donnait pas l’impression de se donner à fond. » La venue de Mauricio Pochettino, qui met toujours en valeur les latéraux dans ses équipes, donne plus d’épaisseur à son jeu. L’Argentin l’éduque, affine son style et lui donne encore davantage de confiance. « Je pense qu’il a un grand avenir devant lui et, à dix-sept ans, je dois dire qu’il est très mature  » , lâche-t-il d’ailleurs à l’époque. À l’instar de ses jeunes coéquipiers, le talent de celui qui figure dans l’équipe type de Premier League en 2013-2014 devient vite trop grand pour continuer à s’exprimer chez les Saints.

Manchester United le sait et n’hésite pas à claquer plus de 35 millions pour l’arracher. Le prix à payer pour la jeunesse et un potentiel jugé prometteur. « Je veux continuer à progresser dans ma carrière et United est l’endroit idéal pour réaliser cela » , lance-t-il lors de son arrivée.

Je crois en lui, il doit le sentir et j’espère qu’il va le montrer. Mais il n’a que vingt ans. Combien de jeunes de son âge jouent en Premier League ?

Les desseins sont clamés, les qualités étalées beaucoup moins manifestes au cours de sa première saison à Old Trafford. Trop souvent blessé et trop discret quand il est titularisé, le latéral se fait désirer. Mais Louis van Gaal, toujours le plus prompt à défendre les jeunes joueurs, monte au créneau à l’aube de son deuxième exercice pour assurer combien il a foi en lui : « Luke Shaw est un énorme talent. Il est très jeune, donc ce n’est pas facile pour lui de venir de Southampton et de rejoindre un club comme United. Je pense que ça pourrait être sa saison, c’est ce que je crois. Je crois en lui, il doit le sentir et j’espère qu’il va le montrer. Mais il n’a que vingt ans. Combien de jeunes de son âge jouent en Premier League ? » Les mots doux du Pélican seront suivis d’actes. Shaw commence de manière pétaradante la cuvée 2015-2016 et se paye même le luxe de rendre bon Memphis Depay. Avant le violent coup d’arrêt survenu un soir de Ligue des champions, face au PSV (2-1), en septembre. Peu avant la demi-heure de jeu, Héctor Moreno le découpe. Derrière les larmes versées, le bilan clinique est sans appel : double fracture de la jambe droite. La saison s’ouvre à peine que le rideau s’abaisse déjà.

Le cap de l’exigence

Pour revoir le blondinet sur les pelouses du Royaume, il a fallu attendre cet été. Un retour éminemment attendu au sein d’un Manchester United au visage remodelé. Avec, en premier lieu, l’intronisation de José Mourinho à la place de Van Gaal. D’entrée, le Portugais l’a introduit comme titulaire dans son couloir gauche jusqu’à sa prestation insipide à Watford et jusqu’à ce que son corps ne vienne encore le contrarier. Les sorties remarquées de l’ex-coach du Real Madrid ne sont pas anodines. Trop laxiste sur son placement, pas assez consistant dans les duels et jamais véritablement serein, le Red Devil a confirmé toutes les difficultés qu’il éprouvait en phases défensives, lui qui se montre bien plus à l’aise quand il s’agit d’apporter offensivement. Aussi, c’est souvent sa condition physique qui laisse perplexe. Du temps de Southampton, le bougre avait été aperçu au Burger King après une victoire décrochée à Swansea, en mai 2014. Une sale habitude apparemment. Et il est rare de le voir pleinement affûté physiquement, une légère bedaine semblant parfois ostensible sous sa tunique rouge. Lors de la tournée estivale du club aux États-Unis, il y a deux ans, Van Gaal lui avait d’ailleurs enjoint de retrouver la forme. « Il a besoin d’être en forme et il ne l’est pas pour faire ce que je demande, lâchait la « Tulipe de Fer » . Il a besoin de travailler individuellement, nous avons établi un programme pour lui. » L’année suivante, Shaw ne commet pas la même erreur et s’adjoint personnellement les services d’un coach de fitness.

Cette exigence et ce professionnalisme requis dans tous les domaines, c’est sans doute ce qui lui manque actuellement.

Je pense que Luke est un caractère complexe à appréhender. Il est jeune, est parti loin de Southampton et a besoin de mûrir à la fois physiquement et mentalement.

Pour espérer réussir à Manchester United, il va pourtant falloir intégrer tout cela aussi vite que possible. « Je pense que Luke est un caractère complexe à appréhender. Il est jeune, est parti loin de Southampton et a besoin de mûrir à la fois physiquement et mentalement, affirmait récemment Gary Neville, ex-Mancunien et désormais consultant à Sky Sports. C’est un immense talent, mais il a eu des blessures et, de toute évidence, cela a eu un impact sur lui d’un point de vue mental. Il a besoin de travailler sur ça. Les attentes sont grandes, mais il est maintenant sous les projecteurs d’un grand club. »

Mais les rapports, qui apparaissent déjà distendus, peuvent-ils s’aplanir entre l’international des Three Lions (six sélections) et Mourinho ? À l’été 2014, lorsque ce dernier était encore en charge de Chelsea, le club londonien avait cherché à enrôler le bambin. Avant de se rétracter en raison des demandes salariales exorbitantes qui, d’après le Mou, auraient « détruit la cohésion dans le vestiaire » . Du temps est depuis passé. José Mourinho ne jouit plus d’un crédit aussi éclatant et entend à travers Manchester United renouer avec une splendeur perdue. Luke Shaw, lui, espère prochainement se hisser aux attentes escomptées dans un pays qui attend une relève crédible depuis Ashley Cole. « Il a définitivement toutes les qualités pour devenir l’un des meilleurs latéraux gauches, je n’en vois pas d’autres à son poste avec autant de qualités, assure De Ridder, désormais au KSC Lokeren. Sa blessure l’a juste freiné temporairement. Il a tout pour connaître un avenir brillant. » Pour y parvenir, le chemin sera long et peut-être tortueux. Mais certainement pas impossible.

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Par Romain Duchâteau

Propos de Steve De Ridder recueillis par RD

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