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- Mort de Cheick Tioté
C’était le Cheick
Putain de destin. En plein lundi de Pentecôte, la nouvelle est tombée sans prévenir : Cheick Tioté, trente ans, est décédé à la suite d'un malaise cardiaque à l'entraînement à Pékin où il évoluait depuis quatre mois. S'il est difficile d'expliquer l'inexplicable, il convient de ne pas oublier Cheicky.
Il y a des moments où l’on se sent tous aussi impuissants que ce pantin de Travis Clark, où l’on encaisse les coups de la vie sans vraiment pouvoir dire grand-chose, ni comprendre grand-chose. Rien ne devait se passer comme ça. Le mot « crise cardiaque » ne doit, rationnellement, pas se scotcher au destin d’un homme de trente ans, d’autant plus lorsque celui-ci s’apprête à être père quelques jours plus tard. Bref, définitivement, on sait que la vie n’a pas de règle et c’est finalement sans aucun doute le jeune défenseur de Newcastle Chancel Mbemba qui a le mieux résumé le sentiment général : « Je suis K.O. J’ai envie de me réveiller et d’apprendre que c’est un cauchemar. » Voilà, l’uppercut a été reçu en plein lundi de Pentecôte, comme ça, alors que le soleil nous frappait la gueule. Cheick Tioté s’en est donc allé, brutalement, une heure après s’être effondré lors d’une séance d’entraînement à Pékin à la suite d’un malaise cardiaque. Comme Marc-Vivien Foé, comme Antonio Puerta, comme Patrick Ekeng, comme Goran Gojić, comme entre 1000 et 1500 sportifs – amateurs ou professionnels – chaque année en France. Il est difficile d’expliquer l’inexplicable et, parfois, il n’y a pas assez de mots. Tioté s’est donc éteint là où il aurait presque voulu le faire : sur un terrain de foot.
Le drame dans le drame
Comme s’il cela ne suffisait pas, Siaka Tiéné, son ancien partenaire en sélection, a débarqué au micro de SFR Sport dans la soirée de lundi. Pour rendre hommage, raconter la tristesse ressentie au moment de l’annonce à Abidjan, parler du « battant, guerrier » qu’était Cheick Tioté sur un terrain, mais aussi pour livrer une précision dramatique : « Sa femme est enceinte, elle devait accoucher aujourd’hui ou demain, elle n’est pas encore au courant. Sa famille lui a enlevé son téléphone, il faut qu’elle se repose. » Un drame dans le drame. Alors, c’est aussi le moment de se rappeler qui était Tioté sur un terrain. Soit, un patron, une gueule indissociable du Newcastle des années 2000 où il avait débarqué en 2010 après avoir remporté le championnat des Pays-Bas avec le FC Twente de Steve McClaren. L’international ivoirien (55 sélections) sera resté un peu moins de sept piges chez les Magpies, aura connu l’ère Pardew et la descente aux enfers du mythe Newcastle. Peu importe, il était Newcastle, dans tout ce que cela peut représenter. Tioté, c’est aussi l’histoire d’une quête, de la traque d’un prodige repéré dès 2008 par l’ensemble des scouts de Premier League lors d’un prêt à Roda JC, alors qu’il appartenait encore à Anderlecht. Pour s’en convaincre, certains fileront même observer le milieu de poche lors d’un match de tour préliminaire de C1 où l’Ivoirien avait éteint le Robin van Persie d’Arsenal sur deux manches malgré l’élimination finale du FC Twente.
« Il a marqué CE but ! »
Alors, pourquoi Newcastle ? Parce que Cheick Tioté collait à une mentalité difficilement descriptible et assez unique. Il répétait souvent « ne pas vouloir faire trop de bruit » , était décrit par tous comme « un monstre de travail » et comme un mec qui balançait sa joie de vivre en dehors. Souvent, Tioté était aussi un repère pour les nouveaux joueurs, les gars comme Yanga-Mbiwa, Papiss Cissé ou Demba Ba. Comme pic collectif, il y aura forcément cette saison 2011-2012 où les Magpies termineront cinquièmes de Premier League et au bout de laquelle Tioté s’imposera sans trembler comme l’un des meilleurs milieux du championnat d’Angleterre. Tout simplement car le bonhomme faisait partie de ces joueurs de l’ombre, des travailleurs discrets et des boulons indispensables à un équilibre global. La lumière, il n’aimait pas ça, mais il la prendra pour lui un soir d’histoire : le 5 février 2011, lors d’un Newcastle-Arsenal (4-4) incroyable alors que les Gunners menaient 4-0 après vingt-six minutes de jeu. Cheick Tioté avait alors bouclé le come-backd’une patate monstrueuse du gauche à trois minutes de la fin. Ce jour-là, Papiss Cissé avait balancé ceci : « Même s’il ne marque plus jamais pour Newcastle, il a marqué CE but ! » En effet, Cheicky ne marquera plus pour les Magpies – malgré un but magnifique refusé contre Manchester City –, réenfilant dans la foulée son costume de milieu agressif, viril et pas toujours correct, en club comme en sélection.
« Si on doit mourir sur un terrain… »
Au cœur de cette histoire avec Newcastle, Cheick Tioté avait surtout pris la dimension de ce que représentait jouer pour un tel club. Il aura notamment ces mots en 2012 : « On doit remporter chacun de nos duels. Si l’on doit mourir sur un terrain pour gagner, on doit le faire, c’est une obligation. » Puis, chez les Magpies, Tioté, c’était aussi Cabaye et une doublette parfaite qui poussera même Sir Alex Ferguson à envoyer à plusieurs reprises son frère, Martin, pour observer l’international ivoirien et tâter une éventuelle possibilité de le rapatrier à Manchester United. Il restera finalement à Newcastle jusqu’à s’offrir une pige en Chine, en deuxième division, avec le Beijing Enterprises Group FC, qu’il avait rejoint en février 2017. Pas pour « le projet sportif » , c’est certain, mais peut-être parce que pendant plusieurs années il n’avait pas été reconnu à sa juste valeur là où certains le comparaient à ses débuts à son idole, Michael Essien. Reste aujourd’hui les questions sur le pourquoi du comment auxquelles où ne pourra pas forcément répondre et auxquelles on n’aura probablement jamais de réponses. Il restera donc un chant de St. James’ Park pour ne pas oublier : « When you’re facing a rout, and you’re 30 yards out, Cheick Tioté ! From the Ivory Coast, squeezed inside of the post, Cheick Tioté ! He left Fàbregas, lying flat on his ass, Cheick Tioté ! When we made it 4-3, he said leave it to me, Cheick Tioté ! »
Par Maxime Brigand