Vive Mahamadou Diarra !
Mahamadou Diarra, le mur du Real Madrid et numéro 6 du Mali, éliminé au premier tour de la CAN, apporte sa réflexion sur les préjugés qui rabaissent les joueurs africains dans le magazine anglais World Soccer. L'ancien Lyonnais revient sur le rôle du milieu de terrain défensif moderne, assène un gros tacle à la FIFA et parle même...de son bracelet-éponge.
Eto’o, Drogba, Essien et vous : il est temps que l’Europe prenne la Coupe d’Afrique des Nations au sérieux non ? Oui, il y a des joueurs africains qui font de superbes choses dans quelques-uns des plus grands clubs d’Europe, et avec leur pays.
Qu’est-ce ça signifie pour le Mali de participer à cette compétition ? C’est énorme pour nous, notamment parce que nous avions échoué dans la course à la qualification il y a deux ans et que cette année c’était vraiment très dur également. Beaucoup d’entre nous connaissent le succès en Europe, et les Maliens s’intéressent de près à nos carrières. Comme nous réussissons si bien en clubs, les attentes autour de l’équipe nationale sont de plus en plus grandes.
Est-ce que vivre en Europe donne plus de signification au fait de jouer pour sa sélection ? Être loin augmente indéniablement le sentiment d’identification à son pays, surtout quand il faut rejoindre l’équipe nationale ; encore plus dans mon cas car j’ai quitté ma maison très jeune, à 17 ans et 4 mois. Je découvrais tout juste mon pays, je devenais adulte, et je commençais à comprendre ce qu’était le Mali, mais j’ai dû partir. Le patriotisme est très important pour moi. J’ai une fierté immense quand j’évoque mon pays, et je suis déterminé à disputer chaque match. Tout ce que je fais, je le fais pour le peuple malien, je sens que j’ai des responsabilités à son égard. Quand je jouais en Grèce, en Hollande, en France, les Maliens me suivaient et vous ne pouvez pas imaginer le nombre de compatriotes qui supportent désormais le Real Madrid. Ce soutien me porte. Quelque soit le club pour lequel je joue, je joue pour le Mali aussi. C’est pourquoi je porte toujours mon bracelet-éponge aux couleurs du pays quand je joue en club, et que je sors un drapeau du Mali quand je gagne un titre.
Donc jouer pour le Mali est non seulement un plaisir mais aussi une responsabilité ? J’ai toujours ressenti une responsabilité vis-à-vis du Mali, et ça peut peser sur quelqu’un, dans le bon sens du terme. Au plus profond de moi, j’aime cette pression, j’en ai besoin, c’est une source d’inspiration. En 2002, j’ai été désigné capitaine du Mali alors que je n’avais que 20 ans ! Porter le brassard du Mali, c’est comme porter le brassard pour tout un continent. Tu dois savoir comment gérer ça. Mais c’est ce que je voulais, et c’est un challenge bienvenu pour moi.
En Europe, deux Maliens sont au dessus des autres : vous et Kanouté. Mais au Mali, Kanouté ne jouit pas de la même considération que vous. Au Mali nous avons une mentalité différente de l’Europe. En Afrique, on aime les joueurs qui se battent et se détruisent pour la nation. Aussi, j’ai commencé à 17 ans, et je suis un vétéran aujourd’hui. Kanouté (qui est né et a grandi en France, ndlr) n’a disputé que quelques matchs et son style est plus européen. C’est peut-être le pourquoi…
Vous mentionnez l’importance du rôle physique, du fighting spirit africain. Cela fait écho à la tendance européenne d’avoir des milieux défensifs centraux africains puissants. Vous à Madrid, Essien à Chelsea, Liverpool avait Sissoko, Seydou Keita à Séville, Yaya Touré à Barcelone… Il est faux de suggérer que les clubs aiment les Africains juste parce qu’ils sont forts physiquement ; s’ils nous signent, c’est parce que nous savons jouer. Tu peux être un super athlète, mais un footballeur horrible. A mon poste, il faut être vraiment complet : tactiquement, physiquement, techniquement. Tu dois être un leader aussi. A côté de cela, n’oublions pas les formidables buteurs africains que sont Drogba, Eto’o ou Kanouté. Nous ne sommes pas là juste pour faire le sale boulot.
A la question « Pourquoi achetez-vous toujours des puissants et rugueux milieux défensifs ? » , Fabio Capello a un jour répondu « Rugueux non, intelligents » . C’est ce que vous voulez dire ? Une chose est totalement sûre : à un poste tel que celui-là, tu ne peux pas te contenter de ton physique. Mon rôle est 40% physique, 40% d’intelligence et 20 de sacrifice. Si tu n’es pas un bon footballeur, tu ne peux pas jouer au milieu. Il n’y a aucune cachette là.
Est-ce que la manière dont les commentateurs ont tendance à dire que les Africains sont justes puissants permet de dénigrer leur talent ? « Oh, les Africains sont forts » est un compliment disons indirect et un cliché n’est-ce pas ? Oui, je pense que c’est un cliché. Il y a beaucoup d’Européens qui sont puissants aussi, et nous autres Africains ne sommes pas que physiques : beaucoup sont intelligents, ouverts tactiquement, et doués techniquement.
Est-ce représentatif de la façon dont l’Europe regarde l’Afrique ? Pensez-vous qu’il y ait un manque de respect envers le foot africain ? Oui, il y a quelque chose que l’on peut sentir, quelque chose de palpable. Quand je vais en Afrique, c’est le même ballon, le même jeu, je joue de la même façon pour Madrid que pour le Mali. Il y a un manque de respect, mais je ne m’en fais pas, je ne joue pas pour que les Européens lancent des fleurs au football africain.
Ca se réfléchit sur la lutte entre les clubs et les nations. On attend des Africains qu’ils choisissent entre leur club et leur équipe nationale. Bien plus que pour un Anglais, un Espagnol ou un Français… C’est vrai et je ne peux pas comprendre cela. Mais ce n’est ni la faute du joueur, ni celle du club. C’est celle de la Fifa. La Fifa a souvent tort.
Que peut-elle faire pour changer la situation ? Appliquer ses propres règles. La Fifa doit appliquer la règle qu’elle a inventée. Cette règle dit simplement : le pays avant le club. Ce n’est pas ma règle, ou celle des clubs, c’est celle de la Fifa !
Vous en avez fait l’expérience l’an dernier. Madrid jouait pour le titre, et le Mali pour la qualification pour la CAN. Vous étiez bloqué entre les deux, entre vos compatriotes furieux et Madrid qui réclamait votre présence. Je ne veux plus jamais revivre cette situation de ma vie. Et j’espère que ça n’arrivera à plus personne d’autre également. Je me sentais comme enterré vivant. J’étais sûr que le Real gagnerait le championnat avec ou sans moi. Mais le Mali ? Le Mali pouvait perdre. Je me disais que j’allais devoir changer de nationalité ! J’ai pensé : si je ne joue pas et que le Mali échoue, je vais devoir prendre toute ma famille et quitter le pays. Les joueurs anglais se sont peut-être fait insulter par les fans quand ils se sont fait éliminer de l’Euro 2008 mais personne n’est venu les frapper alors que ça aurait pu m’arriver.
Le Ministre des Sports a dû intervenir pour expliquer que ce n’était pas de votre faute. Pas seulement lui, le Premier Ministre aussi ! Heureusement, quand j’ai quitté le Mali pour Madrid au milieu de la bataille, je ne savais pas encore que je ne reviendrais pas, que j’allais devoir rester en Espagne, sinon je n’aurais même pas pu sortir, les fans ne nous aurait pas laissés voyager.
Au final, vous avez joué pour Madrid et les deux rencontres se disputaient exactement au même moment. Psychologiquement, était-ce dur de jouer pour votre club quand votre esprit était ailleurs ? Non, car avant la deuxième mi-temps je savais que le Mali menait 2-0 ! J’ai pris mon portable à la mi-temps et j’ai vu le message « 1-0 Mali, 2-0 Mali » .
Une minute…Capello n’a pas interdit les mobiles dans les vestiaires ? Oui, mais je me suis enfui aux toilettes et j’ai sorti mon portable ! « 2-0 Mali » , je me suis senti libéré. Je me suis dit que je pouvais sortir et marquer pour Madrid (qui perdait 1-0 contre Majorque, et devait gagner, ndlr).
Et vous l’avez fait. Tout s’est parfaitement arrangé. Madrid a gagné le titre, vous avez marqué, et le Mali a gagné 6-0. J’ai fait la fête pendant deux jours. Je ne l’oublierai jamais.
Vous étiez pressenti pour devenir le joueur africain de l’année. Pour qui auriez-vous voté ? Mahamadou Diarra ! Pourquoi un milieu défensif ne gagnerait-il pas ce titre pour une fois ? Ca ne doit pas toujours être un buteur …
Interview par Sid Lowe pour WorldSoccer. Traduction : Pierre Maturana
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