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Vie et mort du Dinamo Bucarest

Par Alexandre Lazar
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Vie et mort du Dinamo Bucarest

Un râle d’agonie perdu à travers les couloirs du temps. Voilà à quoi s'est cantonnée la soirée de dimanche du Dinamo Bucarest, survivaliste relégué pour la première fois de son existence en deuxième division roumaine, à la suite d’un barrage de maintien mal négocié contre l’Universitatea Cluj. Un séisme absolu en Europe de l’Est, une chute vertigineuse et interminable après 74 ans d’histoire et 18 titres de champion de Roumanie, un dernier clou dans le cercueil de l’héritage noir de la période communiste. Une évidence au bout de la fatalité, enfin : dans la vie, tout se paie.

« Le bal ou l’hôpital », « Perdez, et on vous déshabille », « L’histoire vous y oblige », « Prêts à courir ? » Les banderoles et messages menaçants des ultras de la Peluza Cătălin Hîldan et de SUD, disséminés aux quatre coins du vétuste Stadion Ștefan cel Mare, avaient planté le décor chaotique d’une nuit noire : dos au mur après un revers gaguesque lors de la manche aller du barrage de maintien contre « U » Cluj (0-2), le Dinamo Bucarest avait 90 minutes pour tromper la mort comme il sait si bien le faire. Raté dans les grandes largeurs. Pour leur dernier match sur le champ de patates de « Groapa » ( « la fosse » , surnom du stade qui sera démoli dans les semaines à venir), les Chiens rouges ont surtout fait briller le portier adverse Andrei Gorcea, avant de slalomer entre les noms d’oiseaux et les lacrymos (1-1). Plus de records auxquels se raccrocher : direction le purgatoire, pour faire mumuse avec son ennemi du Steaua, et contenter les groundhoppers.

Un cadavre et des illusions

Zombie, momie, cadavre séché, tache sur un papier buvard. Toutes les exagérations d’outre-tombe sont bonnes pour personnifier la lente sortie de route du Dinamo qui, depuis trois ans déjà, ressemblait plus au David Copperfield roumain qu’à l’effrayante institution à la discipline militaire qui a construit sa renommée. Surendetté et plongé dans les dédales de la propriété privée, l’illusionniste rouge et blanc peut déjà s’estimer heureux d’avoir eu le droit de passer par un barrage, compte tenu de la banqueroute programmée du Gaz Metan Mediaș et de l’Academica Clinceni, criblés de points de pénalité (jusqu’à 60 pour le Gaz…), et de sa propre situation suspendue à la générosité des socios du Program DDB.

« On ne peut pas faire semblant ou se mentir à nous-mêmes : on s’y attendait. Déjà l’an dernier, sans Deian Sorescu (le meilleur joueur, parti au Raków Częstochowa cet hiver, NDLR) et sans le run final, on aurait eu les deux pieds dans le trou noir, livre Cătălin, leader de SUD Dinamo, le virage sud. L’esprit du Dinamo perdure grâce à nous, pas grâce aux mercenaires que tu vois sur le terrain, échoués là par hasard. On ne sait même pas si le club pourra repartir en Liga 2, et dans le même temps pas sûr qu’il puisse se relever d’une restructuration en D4. » Dans le contexte dinamovist empreint de fatalité, impossible de ne pas se remémorer le début de la fin. Quand les contours du Dinamo avaient encore une allure professionnelle. Le 28 août 2007 dans l’ancien Lia Manoliu, les « Câinii » bazardaient leur seconde mi-temps face à la Lazio (1-3, après un 1-1 à l’Olimpico) et échouaient aux portes de la Ligue des champions, nouvelle formule. Devant à la pause, le Dinamo a levé le pied pour une sombre histoire d’argent et de pots-de-vin, et envoyé – en coulisses – son étoile Ștefan Radu dans la Ville éternelle, contre 5,4 millions d’euros. Un objectif européen raté à dessein par les dirigeants et plusieurs titulaires, comme un tournant vers la médiocrité. En 2009, deuxième étape : le Dinamo perd le titre lors d’un déplacement à Urziceni, avant de s’effondrer, de terminer troisième et de passer à côté d’un petit pactole en C1 (20 millions d’euros minimum). Financièrement, le bât blesse, et l’avènement de Ionuț Negoiță à la tête du navire en 2013 envoie le club en insolvabilité.

This is the end…

Progressivement ancré en play-outs (les dix derniers sur seize), le Dinamo finit par se débattre dans le vide, sous perfusion. Jusqu’à se prendre des dérouillées comme un vulgaire sac de boxe (0-5 et 1-6 contre le CSU Craiova cette saison, 0-6 contre le FCSB). « En ce qui me concerne, je n’arrive même plus à éprouver de la haine. Je suis simplement déboussolé. J’ai toujours connu le Dinamo en galère, mais voir les joueurs quitter le stade en catimini, au bout de la honte et de la D2, c’est lunaire. Sur la fin, il régnait un silence de mort dans le stade. On a assisté à une marche funéraire, puis à une mise en bière », concède Aurélien, expatrié français et supporter du Dinamo depuis trop longtemps pour avoir encore la foi. La Une de la Gazeta Sporturilor, l’équivalent de L’Équipe, l’affirme : « Dinamo : the end (1948-2022) » .

Exemple vivant et parlant de la décadence ambiante, le capitaine Gabriel Torje (32 ans) n’est plus qu’un tout-droit traînant péniblement ses kilos en trop sur son aile. L’ancien « Messi roumain » , sur les tablettes du PSG en 2011, se fait désormais appeler « Burger » et n’a plus la santé pour incarner la rébellion. Il y a vingt ans, quand le football roumain comptait encore à l’échelle continentale, les ultras auraient probablement transformé l’arène du Dinamo en brasier. Mais il y a urgence, pour mener une révolution en interne, ne plus être étranglé par les investisseurs fantômes, se relever sportivement et engendrer 20 millions de recettes sur trois ans, au risque de glisser la clé sous la porte. Sans chercher loin, le Rapid Bucarest de Daniel Niculae a fait ce pari en 2018, peut compter à nouveau sur un réservoir de talents dès les U15, et lorgne sur un avenir radieux grâce à des actionnaires fiables. Ce n’est sans doute qu’un pansement sur une prothèse, mais le Dinamo respirera bientôt l’air d’un nouvel écrin, et le changement de logo – un retour au « D » historique – permet de calmer les eaux avec le sulfureux Nicolae Badea, boss d’Orange, de Pizza Hut et de KFC en Roumanie, et… détenteur du patrimoine des Chiens dans son intégralité (palmarès, emblème, couleurs). Sisyphe s’arrêtera-t-il pour autant en si bon chemin ?

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Par Alexandre Lazar

Tous propos recueillis par AL.

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