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Un président pour retrouver la gloire
Samedi, River Plate connaîtra son nouveau président, après huit ans de mandat de José Maria Aguilar qui ont conduit le géant du football argentin au bord du gouffre. La mise en scène évoque l'avant-première du dernier blockbuster. Les protagonistes fantasques de cette comédie dramatique s'affichent aux quatre coins de la ville. Beaucoup d'argent a été investi dans cette superproduction.
Il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, de la sortie du Parrain IV, mais bel et bien des élections présidentielles qui ont lieu ce samedi dans les entrailles du mythique club argentin de River Plate. A l’image du Real Madrid, à River ce sont les socios qui élisent leur président. Au cours de la campagne, il ne fut ni question de Cristiano Ronaldo ni de Kaka, mais d’une lutte féroce pour un poste considéré en Argentine comme le « plus important après celui de président, de député et de gouverneur » . L’ancienne gloire albiceleste Daniel Passarella encaisse depuis plusieurs mois les coups de ses principaux rivaux, incarnés d’un côté par l’intraitable homme d’affaire Rodolfo D’Onofrio, président de la toute puissante Caisse d’Epargne et d’Assurance argentine, et de l’autre par le jeune conservateur Antonio Caselli, ambassadeur de l’Ordre de Malte (une congrégation catholique née durant les Croisades…).
Les deux prédateurs ont fait leur possible pour écarter Passarella de la course, mais malgré une menace d’inéligibilité qui planait sur lui pour avoir été employé du club jusqu’à fin 2007 et des accusations de fraude fiscale sur l’importation d’un yacht, le Kaiser sera bien de la partie. D’Onofrio, sans aucun doute son adversaire le plus sérieux, peut compter sur le soutien de Hugo Santilli, « le président le plus titré de River » (Ndlr : de 1983 à 1989), et de l’ancien Marseillais Enzo Francescoli, pour mettre la main sur le club à la bande rouge. Ces deux atouts lui ont en tout cas permis de rééquilibrer des sondages qui annonçaient le champion du monde 86 en tête il y a quelques mois, lorsqu’il y avait encore une quinzaine de candidats. « Il vaut mieux être seul que mal accompagné me disait mon grand-père. Il y en a un paquet qui ont baissé leur pantalon parce qu’ils avaient peur de moi » , assure Passarella, dans une forme maradonienne.
« Il y en a un paquet qui ont baissé leur pantalon »
Pas totalement seul tout de même. Il a été chercher le soutien de Ramon Diaz, l’entraineur fétiche des Millionarios, vainqueur de la Copa Libertadores en 1996, alors que les deux hommes ne se parlaient plus depuis une quinzaine d’années… « Si ce type remporte les élections, ensuite, nous devrons le supporter en politique » , se désole le journaliste Rolando Graña, en référence à Mauricio Macri, l’ancien président de Boca Juniors aujourd’hui maire de Buenos Aires. Car en Argentine, football, argent et politique s’entremêlent allègrement sans que cela ne fasse de vague. Daniel Kiper et Mariano Mera Figueroa, les trouble-fêtes qui veulent la peau des trois têtes de gondoles, accusent ces derniers de servir leurs propres intérêts : D’Onofrio roulerait pour Telecom Argentina, Caselli utiliserait River pour lancer sa carrière politique (son père, Esteban, est un proche de Silvio Berlusconi et de l’ancien président ultralibéral Carlos Menem), tandis qu’on accorde à Passarella l’intention de faire de River une plaque tournante pour exporter les joueurs de son « catalogue » vers l’Europe, comme à l’époque où il était l’entraineur du club.
Et pour ratisser large, le trio s’est donné les moyens de ses ambitions. Kiper parle d’un « investissement publicitaire obscène » , annonce des « budgets supérieurs à ceux des candidats de la dernière campagne législative » . Il soupçonne Caselli d’avoir dépensé quatre millions de dollars, D’Onofrio trois (sans compter le million et demi investi par son nouvel allié Hugo Santilli) et Passarella un. « L’amour et la passion pour River génèrent beaucoup d’argent » , certifie l’avocat, persuadé que « ces élections vont marquer un avant et un après » dans le football argentin.
Le naufrage d’un géant
« Dans la tempête, Aguilar s’est révélé un bien piètre capitaine » . A l’instar de Figueroa, les cinq candidats critiquent la gestion du président sortant, José Maria Aguilar, élu en 2001, réélu en 2005. Caselli, D’Onofrio et Passarella occupèrent, à un moment ou à un autre, des postes clés au sein de son équipe, avant de s’opposer à une politique désastreuse qui contraint River à vendre régulièrement ses meilleurs éléments, certains avant même qu’ils n’aient disputé le moindre match avec l’équipe première. « Il y a des complices d’Aguilar disséminés dans les trois listes de tête » , affirme ainsi l’outsider Mariano Mera Figueroa, qui promet de combler la dette du club grâce à l’apport d’une société italienne appartenant à l’ancien footballeur Giuseppe Dossena (condamné en 2008 à huit mois de prison avec sursis pour tentative de fraude lors d’une opération de rachat de la Sampdoria de Gênes). Car le club Millionario s’enfonce chaque jour un peu plus dans une spirale déficitaire (on parle de 40 millions d’euros de déficit), perdant de un à trois millions d’euros par mois, selon les sources. La faute à des dirigeants peu scrupuleux qui ont fait leur beurre sur le dos du club. « Davicce (Ndlr : président du club de 1989 à 1997, vice-président sur la liste de Caselli) s’est mis deux cent millions de dollars dans les poches durant son mandat, soutient Figueroa. Il est aussi responsable de la situation actuelle. Quand est il est parti, il a laissé un passif de trente millions de dollars… » .
Il y a à peine un mois, la commission du club a dû céder un pourcentage de la vente de quatre joueurs (Matias Abelairas, Diego Barrado, Gustavo Fernandez et Nicolas Domingo) pour financer une partie des 500.000 dollars nécessaires à la repeinte des tribunes. D’Onofrio, soutient que « River doit conserver ses joueurs de talents plus longtemps, pour que les supporters en profitent et qu’ils prennent de la valeur » , oubliant un peu vite que des membres de sa liste ont approuvé cette décision. Le magnat des compagnies d’assurance a fait de Francescoli son bras droit.
Francescoli et le parrain du foot uruguayen
« Le club a besoin d’un homme capable de gérer le football amateur et professionnel comme Enzo, qui, en tant que manager, sera essentiel dans l’organisation. Notre travail sera d’attirer des jeunes joueurs de tout le pays et de renforcer l’équipe première avec des joueurs de haut niveau grâce à ses contacts, tout en s’appuyant sur l’expérience de Hugo Santilli » indique Rodolfo D’Onofrio. « J’ai essayé de rester en dehors de la campagne, mais j’ai bien été obligé de m’y mettre » , confesse Enzo Francescoli, qui considère que « la politique a toujours été présente dans le football argentin » . Caselli avoue « craindre l’influence de Paco Casal » , un proche de Francescoli. Ce businessman mégalomane a converti le football uruguayen en Football Manager grandeur nature (agent de joueur, il représente la plupart des footballeurs uruguayens qu’il transfère d’un club à l’autre selon son bon vouloir, tandis que son groupe Tenfield possède les droits de retransmission de l’ensemble du football de son pays et gère le merchandising de la sélection Celeste. Il est aussi le président de la chaine de télévision américaine Gol TV, dont il a fait de Francescoli son directeur exécutif). « Francescoli n’a jamais été là quand le club a eu besoin de lui » poursuit Caselli, sous l’œil avisé de ses conseillers en communication. Selon lui, la fonction de manager n’est pas adaptée à la culture argentine. « On ne comprend pas quel est le rôle de Bilardo avec la sélection et à Boca Juniors, la figure charismatique de Bianchi est à l’origine d’une crise terrible. Il faut donc espérer que la même erreur ne soit pas commise ici, ce qui impliquerait de payer un salaire supplémentaire pour rien. Si c’est pour occuper un bureau, je préfère que Francescoli reste à Miami… » .
D’Onofrio attise les tensions et s’annonce comme l’homme à battre ce week-end, et de part et d’autres on craint des fraudes en sa faveur. Figueroa est persuadé qu’ « il y a eu des manipulations de faites sur les listes électorales pour que puissent voter des socios qui n’ont ni l’ancienneté, ni leur abonnement à jour, avec pour objectif de favoriser l’équipe sortante » , fondue dans la liste de D’Onofrio. Pour Kiper, « le seul moyen de contrecarrer ces fraudes, c’est le vote massif » . Passarella est convaincu que « les socios ne sont pas dupes de toutes ces manœuvres et sauront punir les tricheurs » . Réponse ce week-end…
Par Alejandro Carbone, à Buenos Aires
Sites des candidats :
Rodolfo D’Onofrio : www.conrivertodalavida.com
Daniel Passarella : www.dp09.com.ar
Antonio Caselli : www.primeroriver.com
Daniel Kiper : www.millonario.com.ar
Mariano Mera Figueroa : www.riverdeprimera.com
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