- France – Ligue 1 – Le joueur de la 31e journée
Trémoulinas, designer d’espaces
Des caresses du gauche, un moteur de scooter 125, un calme olympien affiché lors du derby et des envies d'équipe de France. Auteur d'une prestation remarquée ce dimanche face à l'OL, Benoît Trémoulinas effectue un retour « grande pompe » en Ligue 1. En voilà un qui irait bien au Brésil cet été.
La route qui mène du centre-ville de Saint-Étienne à l’Étrat, domaine verdoyant où s’entraîne l’ASSE, est un véritable livre ouvert sur la ville et son histoire. En délaissant la place de l’Hôtel de ville, la place Jean Jaurès puis le boulevard Jules Janin pour mettre le cap vers le Nord, on aperçoit le stade Geoffroy-Guichard, mais pas seulement. Bâtie en 1864, la manufacture d’armes de Saint-Étienne ne fabrique plus de Chassepot ou de revolvers, mais de petits cerveaux. Là, dans le célèbre bâtiment de l’Horloge et dans ceux qui l’entoure, des étudiants en art et en design profitent du vent de modernisme amené par la Cité du Design pour fuir les images jaunissantes du Saint-Étienne bassin minier, bastion de Manufrance et de ses hirondelles. De retour d’un Erasmus raté en Ukraine, Benoît Trémoulinas est un élève assidu. Auteur d’une prestation remarquée hier lors du derby face à Lyon, le latéral gauche stéphanois a montré que son coup de crayon était toujours aussi précis. Designer de génie, du genre à mettre la beauté au service de l’efficacité et pas le contraire, l’ancien Bordelais est comme un poisson dans l’eau dans le Forez.
L’efficacité puis la beauté
Le culte de l’efficacité. Du « savoir pourquoi » . On pourrait volontiers se laisser bercer par les trajectoires langoureuses qu’épousent les centres et ballons longs de Benoît Trémoulinas. Bloquer devant le ralenti de son centre décisif pour Brandão comme on bloquerait devant une belle peinture. Mais ce serait mal interpréter la vraie profession d’un enfant issu de la besogne et pas du talent. Si aujourd’hui, ses centres du pied gauche sont des merveilles, ce n’est pas une affaire de fulgurance ou d’inné mais de travail. « Il n’a pas un pied gauche, il a une main. Mais son geste qui ressemble à celui d’un golfeur existe car « Trech » avait envie de travailler. Pour certains, ce travail répétitif des gestes peut paraître rébarbatif. Pas pour lui » se rappelle notamment Jean-Louis Gasset, son ancien coach adjoint, dans les colonnes de L’Équipe. Des dessins, des maquettes à différentes échelles, des échecs, le tout pour arriver à quelque chose d’utile. Designer dans l’âme, Trémoulinas est un observateur qui vit dans la haine de la beauté du geste et dans l’amour du progrès collectif. Comme beaucoup dans la profession, le natif de Lormont a un grain et une patte qui lui permettent d’exister. « Je suis un joueur atypique, j’attaque énormément » , admet-il aisément. Au vrai, dans un 5-3-2 comme ce dimanche face à Lyon ou une défense à quatre comme à Bordeaux, Benoît est un amateur d’espaces. Il aime les apprivoiser, les organiser, les quadriller. La vie pour le gaucher, c’est du « vivons heureux, vivons dans le dos » . Amoureux de la profondeur, il permet aux Verts de bien jouer. Appelez-le le facilitateur. Avoir Trémoulinas sur son couloir gauche, c’est avoir envie de lui donner de bons ballons pour voir ce qu’il va se passer par la suite. Pour designer ainsi les offensives des équipes dans lesquelles il passe, Trémoulinas peut compter sur des qualités physiques importantes, louées par Jean-Louis Gasset : « Plus il répète les efforts, plus il est à l’aise et lucide. Il a une grosse caisse. »
Bouteille ouverte, filière bouchée
Ça, c’est quand il ne la plante pas. Car comme tout étudiant qui se respecte, Benoît Trémoulinas cède parfois aux sirènes de cette particule maudite qu’est l’éthanol. En mars 2012, le latéral prend son couloir un peu trop vite et est arrêté par les forces de l’ordre pour conduite en état d’ivresse et refus d’obtempérer. Plutôt du genre calme – on a pu le voir lors du derby hier – Trémoulinas se confond en excuses du côté de Bordeaux où il est un enfant de la maison. Né dans la région, « Trech » a fait ses gammes au Haillan. Mais pour lui, l’âge ingrat est celui de la majorité. À 18 berges, il est victime d’un arrachement du ligament de la cheville droite et surtout, il se fait chiper sa place en CFA par Florian Marange. Rupture de l’égo croisée. Il faut dire qu’à cette époque, son petit gabarit, qu’il n’a pas encore apprivoisé, lui coûte cher. Benoît joue un peu partout, notamment au milieu de terrain et même sur le couloir droit. Un passé offensif qui lui sert aujourd’hui. Lorsqu’il a le vent en poupe, le Stéphanois est un habitué du classement des meilleurs passeurs mais il est également le défenseur qui réalise le plus de centres et le plus de passes dans les trente derniers mètres. Une passion pour l’assaut de la défense adverse qu’il paye de temps en temps. Souvent pointé du doigt pour ses errements défensifs occasionnels, Trémoulinas tend à les effacer avec le temps. Sélectionné à deux reprises avec les Bleus, il admettait récemment, au micro de Canal+ « ne pas avoir fait une croix sur la Coupe du monde » . Au cas où, il a ouvert avec sa femme, une pâtisserie chic à l’américaine, du côté de Bordeaux. Malheureusement, de réputation, le design est comme son poste en équipe de France: une filière bouchée.
Par Swann Borsellino