S’abonner au mag
  • Commémoration 13 novembre

« Une folie de plus dans une journée déjà folle » : le 13 novembre 2015 raconté par les Escort Kids de France-Allemagne

Par François Goyet
8 minutes

Il y a dix ans jour pour jour, la France était frappée par la série d’attentats la plus meurtrière de son histoire récente, à Paris et à Saint-Denis. Invités au Stade de France ce soir-là en marge du match amical France-Allemagne (2-0), les « Escort Kids » du SC Le Rheu (Ille-et-Vilaine) se souviennent d’une soirée gravée dans leur mémoire à plus d’un titre.

« Une folie de plus dans une journée déjà folle » : le 13 novembre raconté par les Escort Kids

Ce devait être un soir de fête au Stade de France. Celle du football français, d’abord, avec la réception des champions du monde en titre allemands et l’envie pour les Bleus de prendre leur revanche, un peu plus d’un an après avoir été éjectés en quarts de finale du Mondial brésilien. La fête, aussi, pour tout le SC Le Rheu, dont une vingtaine d’enfants était conviée ce vendredi 13 novembre pour accompagner les joueurs lors de leur entrée sur la pelouse : une belle mise en lumière pour ce petit club d’Ille-et Vilaine, récompensé pour son organisation de la Journée nationale des débutants quelques mois plus tôt, et un incroyable cadeau de Noël avant l’heure pour les jeunes membres de son équipe U11. « Au début, je n’y croyais pas. Nous, un petit club du milieu de la Bretagne, on va aller au Stade de France ? J’étais choqué, ému, et vraiment fou de joie » se souvient Baptiste, âgé de 10 ans à l’époque.

Je suis tombé avec Matthias Ginter, de Dortmund : j’étais un peu déçu, car je ne le connaissais pas !

Samuel, 9 ans à l’époque

Pour tous ces jeunes qui rêvent de devenir footballeurs pros, c’est la grande première à l’extérieur. « J’avais déjà été Escort Kid une fois à Rennes en Coupe de France, aux côtés de Vincent Pajot. Mais bon, le stade n’était pas plein, et rien à voir avec l’équipe de France et 80 000 personnes dans le stade ! » sourit Costa, 20 ans aujourd’hui. À la suite d’un voyage en car de plusieurs heures, c’est en fin d’après-midi que les jeunes Bretons entament les dernières répétitions au cœur de l’enceinte dionysienne.

Samuel, 9 ans en 2015, se remémore le protocole du Stade de France : « Dans les vestiaires, on est rangés en deux lignes : on ne le savait pas encore, mais l’une tiendrait la main des Français, et l’autre celle des Allemands. […] Moi je suis tombé côté allemand, avec Matthias Ginter, de Dortmund… Un peu déçu, car je ne le connaissais pas (rires), mais bon, de toute façon, on voyait tout le monde de très près. » Pas davantage d’amertume pour Louis, accroché du haut de ses 10 ans à la paluche de Jérôme Boateng : « Au moins, côté visiteur, tu peux porter la tenue de l’équipe de France ! D’ailleurs, ils nous ont même offert le kit intégral à la fin ! »

Du rêve à la stupeur

C’est sur l’expérimenté Patrice Évra que Costa, lui, a le plaisir de tomber : « Il a commencé à me checker et à me demander comment j’allais. Il m’a rassuré et m’a dit que ça allait bien se passer, que l’ambiance serait exceptionnelle, il a été super cool. » Si l’entrée des artistes sur la pelouse de Saint-Denis suivie des hymnes restera bel et bien un souvenir impérissable pour l’ensemble des jeunes, le défenseur international français n’imaginait pas encore que l’une de ses prises de balle sur son flanc gauche, pourtant anodine, ferait une petite demi-heure plus tard le tour de toutes les chaînes d’infos. « La première détonation, tout le monde pense à un pétard, on n’y porte pas vraiment attention. La deuxième, c’est bizarre : les gens se regardent, on voit Évra se figer avec le ballon… On se pose des questions, mais on ne se doute pas du tout qu’il se passe quelque chose de grave », revoit Baptiste, remonté en tribunes pour assister au match comme l’ensemble de ses compères.

Trop jeunes pour avoir un téléphone portable, les Escort Kids du soir font certainement partie des rares spectateurs à profiter pleinement de la suite de la rencontre et de la cinquième victoire consécutive des Bleus qui se profile alors, grâce à des réalisations de Giroud et de Gignac. « Juste au-dessus de nous dans la tribune, il y avait les porteurs de drapeaux, des jeunes de Vannes plus âgés que nous, qui avaient un téléphone », se souviennent Samuel et Baptiste. « On les entend dire qu’il y a des fusillades dans Paris, mais nous à cet âge-là, on ne sait même pas ce que veut dire le mot attentat ! »

Tandis que le petit groupe de jeunes profite du match, et puisque décision est prise au sommet de l’État de ne pas l’interrompre afin d’éviter tout mouvement de foule, c’est depuis la tribune VIP qu’Hervé, président du club et père de Louis, sent bien que quelque chose ne tourne pas rond : « À la mi-temps, ça commence à jaser dans les loges, et d’ailleurs, on ne revoit pas François Hollande à la reprise, lui qui était assis non loin de moi. Petit à petit, on voit des gens quitter le stade, on entend des bruits de couloir, mais on ne sait pas vraiment ce qui se trame. »

À cet âge-là, on ne sait même pas ce que veut dire le mot attentat !

Baptiste, 10 ans à l’époque

Thierry, papa de Baptiste et accompagnateur du groupe d’enfants, se souvient lui aussi de ces instants de flottement en tribunes : « Je n’avais plus de batterie sur mon téléphone à cause de toutes les photos que j’avais envoyées aux parents pendant la journée, je n’étais donc au courant de rien. On entend dire qu’il y a des attentats dans Paris, mais on n’est absolument pas au courant que ça a aussi eu lieu ici, au Stade de France, d’autant que le speaker reste assez vague à la fin du match. » Au moment où la délégation bretonne tente de quitter les travées du stade à la suite du coup de sifflet final, rien ne leur indique encore que l’impensable a eu lieu à quelques mètres de là et emporté la vie de Manuel Dias, chauffeur de car marnais de 63 ans, attablé dans un bar jouxtant le stade.

La naïveté comme bouclier

Alors qu’une partie du public s’est retranchée sur la pelouse à la suite d’un mouvement de foule, c’est à l’extérieur de l’arène, sur le parvis du stade, que la vingtaine d’enfants et leurs deux accompagnateurs se retrouvent tout à coup plongés en plein chaos. « Ce qui m’a marqué, c’est la vision des adultes affolés qui couraient partout : on aurait dit des animaux paniqués qui courent sans savoir où aller, c’était la cohue. Nous, enfants, on ne se rendait pas vraiment compte, mais en voyant la peur dans les yeux des adultes, on se disait peut-être qu’il fallait avoir peur nous aussi », témoigne Louis. Costa, lui, se rappelle ces « centaines de policiers partout, des gens qui pleuraient, et certains qui hurlaient même qu’on allait tous mourir… C’était la panique, sans pour autant vraiment comprendre pourquoi. »

C’était la panique, sans pour autant vraiment comprendre pourquoi.

Costa, 10 ans à l’époque

Responsable d’un groupe d’enfants au beau milieu de ce décor de guerre, Thierry revient, non sans émotions, sur ces moments qui resteront gravés à jamais : « Les CRS nous indiquent des directions vagues, on ne sait pas comment regagner notre bus. On entend qu’il y a des morts dans Paris, et l’un des gamins me demande s’il s’agit d’un sniper, là-haut : effectivement, il y en avait sur tous les toits… Les enfants ne tiltent pas, mais on passe à proximité d’une tente blanche, avec des hommes habillés en blanc de la tête aux pieds. On marche robotiquement, et on se demande si tout cela est bien réel… »

Après plusieurs heures (!) d’errance et d’indications contradictoires, le groupe, sain et sauf, regagne finalement son bus aux alentours de 2h du matin, escorté par une délégation de la FFF et les forces de l’ordre. Le moment pour Thierry de répondre, enfin, aux centaines de messages de parents affolés et restés sans nouvelles des heures durant, mais aussi de prendre la pleine mesure des atrocités commises dans la capitale au cours des dernières heures. Les enfants, eux, ne se souviennent pas avoir eu le sentiment d’une soirée gâchée : « Pour moi, c’était une folie de plus dans une journée déjà folle », admet Louis, sur la même longueur d’onde que Baptiste : « Mes yeux d’enfant n’ont gardé que le positif, et je me souviens avoir passé une super soirée, car je n’ai pas compris tout ce qu’il s’était passé autour. »

Finalement, le traumatisme semble avoir davantage affecté les adultes que les enfants.

Hervé, ex-président du SC Le Rheu
 

« Finalement, le traumatisme semble avoir davantage touché les adultes que les enfants », constate Hervé, qui ajoute : « Depuis cette soirée, je me trouve beaucoup plus sensible qu’avant ; j’ai d’ailleurs les larmes aux yeux de repenser à tout ça. » Thierry ne peut qu’acquiescer, lui qui regrette aujourd’hui de ne pas avoir sollicité l’aide de la cellule psychologique mise en place au club dans les semaines suivantes : « J’ai eu beaucoup, beaucoup de mal à retourner dans un stade et rien que de me remémorer tout ça, c’est compliqué, c’est vrai. »

Dix ans après les évènements, si tous les membres de la délégation rheusoise présents à Saint-Denis ne gardent pas tout à fait le même souvenir de cette soirée si spéciale, tous ont aujourd’hui conscience d’avoir échappé au pire, si les assaillants étaient parvenus à accéder à l’intérieur du stade comme initialement planifié. Ce jeudi, une commémoration aura lieu au Parc des Princes en marge du match France-Ukraine, en mémoire des 130 victimes des attentats du 13 novembre 2015.

Les Bleus tiennent leur revanche sur l’Argentine... au classement FIFA

Par François Goyet

Tous propos recueillis par FG.

À lire aussi
02
Revivez la victoire de la France en Allemagne  (0-2)
  • Ligue des nations
  • Match pour la 3e place
  • Allemagne-France
Revivez la victoire de la France en Allemagne (0-2)

Revivez la victoire de la France en Allemagne (0-2)

Revivez la victoire de la France en Allemagne (0-2)
Les grands récits de Society: L'étrange cas du Docteur Péchier
  • Procès Péchier
Les grands récits de Society: L'étrange cas du Docteur Péchier

Les grands récits de Society: L'étrange cas du Docteur Péchier

L’anesthésiste-réanimateur Frédéric Péchier a-t-il empoisonné 30 personnes et tué 12 d’entre elles, en se faisant passer pour un héros lorsqu’il les sauvait ou tentait de le faire? C’est ce que son procès, ouvert ce lundi 8 septembre, devra permettre de juger. Retrouvez notre enquête fleuve sur cette affaire.

Les grands récits de Society: L'étrange cas du Docteur Péchier
Articles en tendances

Votre avis sur cet article

Les avis de nos lecteurs:

Nos partenaires

  • Vietnam: le label d'H-BURNS, Phararon de Winter, 51 Black Super, Kakkmaddafakka...
  • #Trashtalk: les vrais coulisses de la NBA.
  • Maillots, équipement, lifestyle - Degaine.
  • Magazine trimestriel de Mode, Culture et Société pour les vrais parents sur les vrais enfants.
  • La revue de presse foot des différents médias, radio et presse française/européenne, du lundi au vendredi en 3 à 4h!