- Commémoration 13 novembre
Matthias Ginter : « La peur n'est plus là quotidiennement »
Confronté à deux attentats en moins de deux ans, lors du 13 novembre au stade de France avec la Mannschaft puis lors des explosions près du car de Dortmund en 2017, Matthias Ginter a été profondément marqué par ces évènements. Ses souvenirs du France-Allemagne, son travail mental et sa vie d'après... Il raconte comment ça l'a changé.
Tu te souviens de quoi de cette soirée du 13 novembre ?
Ça a commencé le matin de la rencontre, on était en train de préparer notre match contre la France, puis il y a eu une alerte à la bombe dans notre hôtel (dans l’établissement Molitor, dans le 16e arrondissement de Paris, NDLR). Donc la journée que nous avions vécue était déjà différente avant même de jouer ce match. Arrive le soir, tout le monde était focus sur le match qu’on devait jouer contre la France. C’était une grosse affiche, avec 80 000 spectateurs dans le stade… on était motivés. Le match commence, j’entends une première détonation, puis une seconde… Je ne sais plus laquelle c’était, mais l’une des deux venait depuis la droite, le côté où je jouais. Ça a résonné vraiment, vraiment fort, et là je me suis rendu compte que c’était une explosion. Sur le terrain, il y a eu un moment de flottement. Je me souviens avoir regardé partout autour de moi, il n’y avait rien donc je me suis directement re-concentré sur le match.
Comment as-tu réagi quand on vous a annoncé qu’une attaque terroriste était en cours ?
Déjà, à la fin du match, j’étais étonné de voir que les supporters français ne célébraient même pas alors que leur équipe avait gagné. C’est seulement en rentrant aux vestiaires que nous avons été informés qu’il y avait eu des attaques autour du stade et en ville. Quand on est rentrés aux vestiaires, c’est là que notre sélectionneur et le manager de la sélection nous dit que… (Il marque un temps d’arrêt) Je ne dirais pas qu’on était tous choqués, mais on se posait beaucoup de questions. Certains de mes coéquipiers avaient leur famille qui étaient dans le stade. D’autres étaient attendus dans leurs maisons avec leur famille dans la nuit, qui avaient forcément plus d’informations que nous à ce moment-là. C’était un moment… je ne dirais pas silencieux, mais on se regardait entre nous et on ne comprenait juste pas ce qui se passait.
Le trajet jusqu’à l’aéroport… c’était comme dans un jeu vidéo. Il n’y avait personne dans les rues, aucune lumière n’était allumée, pour une grande ville comme Paris, c’était vraiment très étrange.
Vous avez ensuite passé la nuit au Stade de France…
Oui, dans les vestiaires. Dans la salle de massage on s’allongeait comme on pouvait sur les bancs qu’il y avait. On était tous en train d’envoyer des messages à nos familles pour avoir des infos. Certains ont essayé de s’endormir, mais pas beaucoup y sont arrivés.
Et toi, t’as réussi à dormir ?
Non, impossible. Déjà que c’est difficile de dormir après un match à 21 heures, alors là… En plus, j’étais un jeune joueur à ce moment-là (21 ans). Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.
Certains joueurs de l’équipe de France sont restés avec vous ?
Je ne connaissais pas personnellement les joueurs de l’équipe de France. Mais les joueurs français et allemands qui se côtoyaient au Bayern Munich (et notamment Kingsley Coman, alors coéquipier de Manuel Neuer, Jérome Boateng et Thomas Müller, NDLR) se sont parlés et certains joueurs de l’équipe de France ont ensuite passé du temps avec nous dans les vestiaires. C’était vraiment sympa de leur part. Puis, je crois qu’on est partis du stade aux alentours de 6 heures du matin. Le trajet jusqu’à l’aéroport… c’était surréaliste, comme dans un jeu vidéo. Il n’y avait personne dans les rues, aucune lumière n’était allumée, pour une grande ville comme Paris, c’était vraiment très étrange. En fait, les seules personnes que l’on a vues sur le trajet, ce sont celles de la sécurité à l’aéroport.

Quelques jours plus tard, de retour en Allemagne, vous devez jouer les Pays-Bas à Hambourg, finalement annulé à cause d’une nouvelle menace terroriste…
C’est ça. De toute façon, dans notre équipe, personne ne voulait jouer ce match, parce que nous n’étions pas prêts à jouer seulement quelques jours après ce qui s’est passé, mais nous devions le faire. Puis juste avant de partir en direction du stade, l’information tombe : il y aurait probablement une bombe dans le stade. Voilà… (Il soupire.)
Comment on se remet d’un rassemblement international aussi éprouvant ?
J’ai retrouvé ma famille, ma femme, mes amis… J’ai aussi pris du temps pour savoir ce qui s’était vraiment passé au stade de France et à Paris. Sur le moment, je n’ai pas mesuré l’ampleur de tout ça, mais quand je suis revenu à la maison et que j’ai réellement vu ce qui s’était passé, j’ai réalisé qu’on avait couru un vrai danger.
Revivre normalement est un processus qui prend énormément de temps. Encore aujourd’hui d’ailleurs, quand je vais me promener avec ma femme et que je vois un camion à proximité de moi, ça m’arrive de lui dire : « Changeons de trottoir. »
Un an et demi après le 13 novembre, tu te retrouves confronté à ce danger d’encore plus près, avec l’attaque du car de Dortmund avant un match de Ligue des champions contre Monaco, dans lequel tu étais…
On était sur la route du stade. Le car n’a même pas fait 30 mètres que trois bombes ont explosé à côté. Les vitres des fenêtres se sont brisées à l’intérieur, c’était très bruyant. C’était beaucoup plus soudain qu’à Paris, même si les deux attaques ont été aussi difficiles à gérer pour moi.
Dans ces deux cas différents (Paris 2015 et Dortmund 2017), tu as joué après et pendant les attaques. Lorsque tu as vraiment dû chausser les crampons pour jouer Monaco, tu as ressenti quoi ?
Dans les deux cas, ce n’était pas notre décision. Mais le football professionnel dépasse largement nos sentiments personnels et dans ces cas là, il y a aussi énormément l’aspect politique qui entre en jeu. Alors si les instances estiment que le match doit se jouer, bah tu joues. Avant le match contre Monaco, avec Dortmund, personne ne voulait jouer, et tout le monde trouvait ça normal. Mais quand l’UEFA dit qu’il faut jouer, t’as pas le choix.

Comment fait-on pour vivre normalement après avoir connu deux attentats en si peu de temps ?
Ce n’est absolument pas normal de vivre ça. La première fois qu’on le vit, on se dit déjà que c’est surréaliste. Mais quand ça t’arrive une seconde fois, c’est vraiment très très dur à vivre. Quand tu prends le car ou que tu vas au stade pour du football, tu as envie de te sentir en sécurité. Revivre normalement est un processus qui prend énormément de temps. Dans les années qui ont suivi, j’ai vu certaines situations de la vie quotidienne d’un autre œil. S’il y avait un bagage sans personne autour dans un train, je faisais une fixette dessus. Dans les bus, je ne m’asseyais pas du côté fenêtre… Encore aujourd’hui d’ailleurs, quand je vais me promener avec ma femme et que je vois un camion à proximité de moi, ça m’arrive de lui dire : « Changeons de trottoir. » Après tout, je pense que je suis bien arrivé à gérer ces séquelles. Mais comme je me dis toujours, le risque zéro n’existe pas. Même chez soi, on n’est pas en sécurité à 100 %, alors il faut faire avec. Après l’attaque de Dortmund, on a eu un suivi psychologique au club. Le plus important pour moi a été de parler à mes proches. Le fait d’évacuer tout ce que je ressentais à ma famille et à mes amis est ce qui m’a le plus aidé.
Le foot, ça a été l’une de mes thérapies, après celle de mes proches.
Tu sembles revenir de loin, toi qui avais envisagé arrêter ta carrière après l’attaque de Dortmund, alors que tu n’avais que 23 ans…
À ce moment-là, je ne me sentais plus en sécurité et je ne savais plus si ça valait la peine de continuer à jouer au football si c’est pour encourir de tels risques. C’est ma vie qui était en jeu. Mais de toute façon, comme je l’ai déjà dit, le risque zéro n’existe pas pour tout le monde donc je suis finalement revenu sur cette décision pour continuer à jouer et espérons que cette deuxième fois soit la dernière.
Qu’est-ce qui t’a donné la force de continuer ?
Le plaisir que l’on trouve quand on joue au foot, justement. J’y joue depuis que j’ai quatre ans, donc… J’ai continué ce métier pour passer à autre chose. Ça a été l’une de mes thérapies, après celle de mes proches. La peur peut réapparaître avec les petites choses que j’ai évoquées, mais elle n’est plus là quotidiennement. Aujourd’hui, je n’ai plus peur de monter dans le bus. En 2018, trois ans après le 13 novembre, on a rejoué avec la sélection allemande contre l’équipe de France en Ligue des nations (2-1 pour les Bleus ce jour-là). Ça m’a permis aussi de connaître le véritable sentiment que ça procure de jouer au stade de France. C’était quand même un peu étrange de revenir ici, d’autant qu’on a résidé dans le même hôtel qu’en 2015. Mais je pense que ça a peut-être aidé ceux qui étaient déjà là trois ans en arrière à surmonter cette épreuve.
L’Allemagne s’impose grâce à Woltemade, l’Ukraine met la pression sur les BleusPropos recueillis par Théo Juvenet



























