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Franco Mastantuono, c’est de la balle
Courtisé par les plus grands, dont le PSG, l’élégant milieu argentin Franco Mastantuono (17 ans) incarne les ambitions de River Plate lors du Mondial des clubs. Portrait d’un gaucher à la « vision télescopique » et au « tempérament de leader » passé tout près d’une carrière de tennisman, qui a signé ce vendredi avec le Real Madrid.

La vie est une question de choix. C’est en tout cas ce que les gourous du développement personnel baratinent à longueur de conférences, de publications Instagram et de livres censés révéler le secret du bonheur. Oublier son ex ou se donner une seconde chance ? Accepter la mécanique du quotidien ou tout plaquer ? Poursuivre ses rêves ou renoncer ? À chacun son casse-tête. Celui de Franco Mastantuono s’est longtemps résumé ainsi : football ou tennis ? Et pendant des années, l’apprenti champion n’a en réalité rien décidé, indifférent à l’épuisante nécessité de prendre son destin en main. « Il n’avait aucune raison de le faire car il excellait et s’amusait dans les deux sports », sourit Ignacio Poblet, son premier prof sur les courts en terre battue du Club de Remo, à Azul, la ville de 75 000 habitants dans laquelle l’Argentin a grandi, à 285 kilomètres au sud de Buenos Aires.
En continuant de travailler avec cette mentalité, il aurait pu arriver à un haut niveau de tennis. Mais il a pris la décision avec son cœur et je crois qu’il ne s’est pas trompé.
Match nul entre les deux disciplines, donc. Jusqu’à la croisée des chemins, en 2019. Raquette en main, le blondinet, 12 ans, figure alors dans le top 10 national de sa catégorie d’âge. « Il a même atteint la sixième place mais, un jour, il nous a annoncé qu’il avait décroché un essai à River Plate », rembobine le coach, conquis par ce « gamin joyeux » au bagage « très complet », admirateur de Roger Federer. « Il était fort au service, en coup droit, en revers, savait utiliser le slice avec justesse, énumère-t-il. C’était un joueur agressif, droitier, qui travaillait dur et cherchait toujours à imposer son jeu à l’adversaire afin de le mettre sous pression. Il avait surtout un gros caractère qui lui permettait d’exprimer la meilleure version de lui-même dans les moments critiques. Il pouvait lâcher des coups sortis de nulle part alors qu’il était en larmes quelques instants plus tôt. Un truc de fou. C’était un vrai diamant, comme Federico Delbonis. »
Le marché en ébullition
Mais l’espoir de la balle jaune a finalement renoncé à suivre la trace de l’ancien 33e mondial, vainqueur de la Coupe Davis 2016 après avoir été façonné lui aussi à Azul. « Connaissant son talent et sa personnalité, j’ai su au fond de moi que Franco allait être conservé par River puis faire une croix sur le tennis, admet Ignacio Poblet, sonné mais compréhensif. Car en Argentine, tu rêves de devenir footballeur au moment même de ta naissance. » Une affaire de culture. « En continuant de travailler avec cette mentalité, il aurait pu arriver à un haut niveau, car c’était un vrai guerrier sur le court, souligne Luis Delgado, un autre de ses formateurs, par ailleurs ancien coach de l’Italienne Francesca Schiavone, victorieuse de Roland-Garros en 2010. Mais il a pris la décision avec son cœur et je crois qu’il ne s’est pas trompé. »
Wirtz who? We are getting this monster. Franco Mastantuono. pic.twitter.com/NdDTQ2Ew3z
— 𝓡🇦🇱 (@RmcfRon) June 3, 2025
Six piges après le test, Mastantuono (17 ans) ne s’apprête pas à disputer Wimbledon, mais la 21e édition de la Coupe du monde des clubs, aux États-Unis, dans le costume de leader technique des Millonarios (opposés dans le groupe E aux Urawa Red Diamonds, aux Rayados de Monterrey puis à l’Inter Milan). Une immense responsabilité pour cet ado que le pays sud-américain imagine déjà comme le futur chef d’orchestre de la sélection, alors que les plus grandes écuries européennes n’ont cessé de le draguer. « Il y a une vingtaine de clubs intéressés », glissait l’un de ses agents, volontairement énigmatique, alors que de nombreux médias ont annoncé son transfert à venir au Real Madrid. Les Merengues devront débourser 45 millions d’euros, le montant de sa clause de départ, pour attirer le meneur de jeu, majeur ce 14 août et sous contrat jusqu’en décembre 2026.
L’ordinateur sur pattes
Un potentiel transfert record en Primera División, devant celui d’Enzo Fernández, qui a rapporté à River un peu plus de 44 millions d’euros entre ses signatures à Benfica puis Chelsea, d’après les comptes du site spécialisé Transfermarkt. En attendant cet envol inéluctable, les dirigeants des Millonarios espèrent encore conserver leur joyau jusqu’à la fin de l’année. « Il y a énormément d’attentes autour de lui, constate Juan Patricio Balbi, journaliste chargé du suivi de River et de l’Albiceleste pour ESPN et La Nación. C’est le joueur le plus excitant à voir jouer actuellement dans le championnat. Et si vous faites un sondage dans les tribunes du Monumental, vous réaliserez qu’il est même déjà considéré comme le meilleur élément de l’équipe par la plupart des supporters. »
On cherchait des joueurs intelligents, habiles techniquement, rapides, équilibrés sur le plan émotionnel. Lui, c’était 10/10 à tous les niveaux.
Ce qui n’étonne pas Daniel Brizuela, l’un des hommes à l’origine de la venue du phénomène dans le club mythique du nord de la capitale. « Lorsqu’il a fait son premier contrôle orienté, j’ai tout de suite compris qu’on avait mis la main sur un prodige, romance l’ancien chef du scouting de River Plate. On cherchait des joueurs intelligents, habiles techniquement, rapides, équilibrés sur le plan émotionnel. Lui, c’était 10/10 à tous les niveaux. On n’a pas hésité. » Le recruteur, qui a également déniché Claudio Echeverri (19 ans), aujourd’hui à Manchester City, prédit « un grand avenir » à son poulain. « Il a une vision télescopique du jeu, admire-t-il. Il possède toujours un temps d’avance, car il pense plus vite que les autres. Il réfléchit tout le temps. C’est comme s’il avait un ordinateur dans la tête. En dehors du terrain, c’est aussi un super garçon, sain et bien entouré. Ses parents jouent un rôle très important dans son équilibre. »
Jeune homme pressé et sans pression
Un père éducateur dans un club de foot amateur, une mère sociologue à l’Institut national de technologie agricole (INTA) : l’histoire de Mastantuono, élève studieux au passé éphémère de YouTubeur, n’est pas celle d’une revanche sociale. Comme beaucoup de ses compatriotes, il aime le maté, les asados, le rock, idolâtre Messi, et ses bras sont couverts de tatouages… Mais, contrairement à de nombreux cracks, l’artiste au pied gauche soyeux n’a pas usé ses semelles sur les terrains vagues des bidonvilles de Buenos Aires ou Rosario. « Il vient d’une famille d’un excellent niveau culturel qui ne cherche pas à se sauver économiquement, confirme Gabriel Rodríguez, coordinateur général de la formation à River Plate. Il a les pieds bien ancrés sur terre. C’est un gars humble et très discipliné. Toujours à l’écoute. Il sait à qui il va donner le ballon avant de le recevoir. Au-delà de sa capacité à prendre la meilleure décision sur le terrain, le plus marquant, chez lui, est sa capacité unique à absorber la pression. Il est vraiment super solide mentalement et dégage une grande sérénité. »
Apparu pour la première fois en D1 à 16 ans et 167 jours, le milieu cumule déjà 61 matchs, 10 buts et 7 passes décisives chez les pros. Comme attendu, Lionel Scaloni vient d’ailleurs de le convoquer pour la première fois en sélection afin d’affronter le Chili puis la Colombie, début juin, dans le cadre des éliminatoires pour la prochaine Coupe du monde. « Il a une maturité naturelle qui fait oublier son jeune âge », observe Jonathan La Rosa, directeur de la méthodologie au sein de la fabrique à talents dont sont notamment sortis, ces dernières années, Julián Álvarez, Giuliano Simeone (Atlético de Madrid), Enzo Fernández (Chelsea) ou Exequiel Palacios (Bayer Leverkusen).
Le splendide coup franc en pleine lucarne inscrit par Mastantuono lors du dernier Superclásico face à Boca Juniors (2-1), le 27 avril, a même poussé Thierry Henry à comparer sa précocité à celle de Lamine Yamal. « C’est fou de penser que ces joueurs ont seulement 17 ans », a lâché l’ancien Gunner, subjugué, sur le plateau de CBS. Généralement positionné côté droit dans la ligne d’attaque du 4-3-3 de Marcelo Gallardo, le pibe au physique banal (1,77 mètre, 71 kilos) est en fait un pur « enganche » (meneur avancé) de formation, « un numéro 10 élégant et créatif qui correspond à l’ADN de River », résume le journaliste Juan Patricio Balbi. Bref, une bonne raison de suivre le Mondial des clubs nouvelle formule. « C’est un joueur très collectif, analyse Martín Pellegrino, coach du phénomène entre 14 et 15 ans. Le genre à faire briller toute l’équipe. Il a un vrai tempérament de leader. Avec moi, il était d’ailleurs capitaine. Il a toujours su entraîner les autres dans son sillage. C’est du haut niveau. Mais attention, il a encore beaucoup de choses à apprendre. » Il devrait trouver quelques modèles et des bons conseils, bientôt, au Real Madrid.
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Tous propos recueillis par Th.B., sauf ceux de Thierry Henry sur CBS.