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Stéphanie Lam, la femme de la situation
Stéphanie Lam entraîne l’équipe première senior du COM Bagneux. Mieux, elle a marqué l’histoire du club en l’amenant pour la première fois de son histoire en Régional 2. Rencontre avec une des rares femmes installées sur le banc d’une équipe masculine en Île-de-France.

Le dimanche 30 mars 2025 était un jour de fête. Parce que c’était l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du ramadan, mais pas seulement. Pour les joueurs de l’équipe senior du COM Bagneux, chaque dimanche est une formidable raison de se réjouir. Celui-ci ne fait pas exception, même s’il faut se farcir une heure de route pour atteindre Neauphle-le-Château. Là-bas, dans les Yvelines, un match décisif pour le maintien en Régional 2 les attend. Un niveau que le club fréquente pour la première fois de son histoire. Cet exploit, ils le doivent au travail de Stéphanie Lam, 35 ans et l’une des deux seules femmes à entraîner d’une équipe de seniors masculins au niveau régional en Île-de-France. Et jusqu’à l’an dernier, elle fut la seule.
Une élève modèle
Stéphanie a toujours baigné dans le football. Si bien que le club de sa ville, Bagneux, a toujours été un refuge pour elle. Malheureusement, sa carrière de joueuse est coupée net à cause de blessures. À 23 ans, elle tente de jouer à nouveau. C’est un échec. C’est alors qu’un de ses amis, éducateur au sein du club, lui propose d’encadrer l’école de football féminine. Pourtant, c’est vers le collectif masculin qu’elle va rapidement bifurquer. « Ce n’est pas la même façon d’appréhender le sport. Je suis quelqu’un d’assez autoritaire, j’ai un ton sec, c’est ma personnalité, et c’est vrai qu’avec des filles, il faut être un peu plus souple, plus dans la bienveillance », explique-t-elle. Progressivement, elle gravit les échelons et les catégories d’âge jusqu’en 2019, où elle atteint son graal : l’équipe première senior. Elle a conscience de l’opportunité que cela représente : « Je serai toujours reconnaissante envers le club de Bagneux pour m’avoir laissé ma chance. Dans n’importe quel autre club, est-ce que le président aurait pris le risque de mettre une femme sur le banc de son équipe première ? » Mais au sein du club de Bagneux, la différence de genre n’existe pas. Ses compétences ne sont plus à prouver, on la place là où elle doit être.
Les joueurs ont cru que c’était une blague ce jour-là.
Pourtant, tout n’a pas été facile d’entrée. Avant de reprendre l’équipe, elle assiste au dernier match de la saison. L’équipe doit gagner pour se maintenir. Dans le vestiaire avant le match, on présente Stéphanie comme la prochaine coach. « Ils ont cru que c’était une blague ce jour-là », raconte-t-elle. « Je les connaissais tous, mais il y en a qui m’ont un peu regardée du coin de l’œil. » Quant à son statut acquis de première entraîneuse d’une senior régionale en Île-de-France, elle n’y a même pas pensé : « Je me disais, pourquoi c’est aussi choquant ? Pour moi, c’était normal. »
La méthode Stéphanie Lam
Il y a deux Stéphanie. Celle sur son banc de touche pendant un match et celle en dehors. La première est une pile électrique. Au cours de la rencontre, elle ne peut pas s’empêcher de gesticuler. Et si vous avez le malheur d’être à ses côtés, comme Jules et Saïd lors de la première mi-temps face à Neauphle, vous risquez d’avoir mal aux oreilles à la mi-temps. Mouss, son ancien capitaine devenu son adjoint, essaye parfois de la calmer : « C’était ma coach, et tu sens que parfois, elle est zinzin. En tant qu’adjoint maintenant, c’est parfois moi qui dois la canaliser, “doucement Steph, tranquille…” » Mais quand l’arbitre siffle le coup de sifflet final, Stéphanie retrouve son calme, rigolant facilement avec ses joueurs.
Elle est dans le respect, et on a envie de lui rendre. Quand on voit une femme face à nous, on est plus adouci et moins dans le conflit..
Il est impossible d’évoquer une méthode Stéphanie Lam sans utiliser le terme « familial ». Et cela, c’est en partie parce que Bagneux est le seul club de Régional 2 à ne pas donner de primes de match : « S’il n’y a pas l’aspect financier, tu es obligé d’activer un autre levier. On vient prendre du plaisir, c’est toujours bonne ambiance. » Néanmoins, c’est également le management humain de Stéphanie qui permet de créer de tels liens. Allan, un joueur arrivé cette saison, compare l’entraîneuse à ses anciens coachs : « Il y a plus de pédagogie, elle comprend plus certaines choses, elle est plus libre sur certains sujets. Même si elle gueule, on sait que c’est pour notre bien. Il y a un vrai esprit de famille. » Pour Mouss, cette façon de faire s’explique forcément quelque part par le fait que Stéphanie soit une femme face à des hommes : « Elle est dans le respect, et on a envie de lui rendre. Quand on voit une femme face à nous, on est plus adouci et moins dans le conflit. » Enfin, Stéphanie est avant tout une technicienne animée par la volonté de faire jouer son équipe, « parfois aux dépens du résultat », avoue son adjoint. « Il y a des principes très définis. Ça ressort court, elle veut que ses ailiers rentrent intérieur, que les latéraux se projettent et que l’identité soit vraiment marquée. » Famille ou pas famille, si ses joueurs ne respectent pas le plan de jeu, ils ne joueront pas.
Les risques du métier
Dans un environnement aussi masculin, les préjugés sexistes et misogynes sont trop courants. Pourtant, au sein même de son club et de son équipe, Stéphanie jure n’en avoir jamais été victime. C’est surtout lorsqu’elle est confrontée à d’autres clubs que sa condition est remise sur le tapis. « La première saison, à l’extérieur, quand je demandais la clé du vestiaire ou la tablette, on me demandait si j’étais la kiné, ou qui j’étais tout court, illustre-t-elle. Au début, je le prenais très mal. Maintenant, je m’en fous. » Néanmoins, il y a une anecdote qui l’a vraiment marquée. Lors d’un match à l’extérieur, son équipe arrache le nul après avoir été menée 2-1 à 10 contre 11. Il reste dix minutes, et pendant que Stéphanie galvanise ses troupes, « un vieux d’au moins 70 ans a commencé à crier “T’as rien à faire là ! Retourne à la cuisine !” » Elle confie ensuite : « Ça m’a tellement choquée que je ne me suis même pas énervée. » Ce que ce monsieur ne savait pas, c’est que les supporters de Bagneux avaient fait le déplacement, et ils lui ont fait comprendre qu’il n’avait pas intérêt à redire des choses comme celles-ci. À la fin du match, le président du club adverse est venu s’excuser.
On me demandait si j’étais la kiné, ou qui j’étais tout court. Au début, je le prenais très mal. Maintenant, je m’en fous. »
Parce que Stéphanie, elle, n’a pas à s’excuser d’être là. Elle ne fait que vivre son rêve, celui de dédier sa vie au football grâce à son talent, sa persévérance et son caractère. Elle a conscience de la chance qu’elle a – « Aujourd’hui, je suis en CDI à temps plein dans un club. Je sais que ce n’est pas donné à tout le monde » –, mais aussi de mener le projet à bon port. Cette saison en Régional 2 sera cependant sa dernière avec cette équipe, souhaitant que sa vie privée prenne enfin le dessus sur sa vie professionnelle. Et ranger les tableaux Velleda et les sifflets au placard ? Que le monsieur qui la voyait retourner en cuisine se rassure : on la retrouvera quand même sur un terrain, à Bagneux, pour accompagner les jeunes dans leur développement et leur transmettre cet amour du foot.
Ces ascenseurs émotionnels aussi vertigineux que Manchester United-LyonPar Rayane Amarsy, à Neauphle
Photos : COM Bagneux.