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Champs-Élysées : célébrations sous haute tension

Par Nesrine Bourekba et Ulysse Llamas, à Paris
7 minutes

1998, 2018, 2025... Après une grosse victoire, tout le peuple de Paris et de sa couronne déboule sur les Champs-Élysées. Les scènes de liesse, mais aussi des débordements font alors le tour des télés et soulèvent une question : faire la fête à Paris sans casser, est-ce possible ?

Champs-Élysées : célébrations sous haute tension

Côté ciel, le soleil tabasse les fast-foods américains et les boutiques de luxe. En face, le trottoir ombragé est moins garni, mais quelques perches à selfie immortalisent le Fouquet’s et l’Arc de Triomphe, vite, en traversant : on est quand même, selon certains critères, sur « la plus belle avenue du monde ». Sur moins de deux kilomètres, les Champs-Élysées offrent un condensé de boutiques de luxe, de banques et de marques de centres commerciaux. Certaines boutiques accueillent autant de visiteurs que la tour Eiffel. Pour aller d’un bout à l’autre, de l’Arc de Triomphe à la place de la Concorde, les plus pressés comptent une demi-heure, les flâneurs ou dépensiers bien plus longtemps. Les travailleurs, eux, nettoient ou servent les touristes. Sinon, une personne sur vingt passant sur les Champs-Élysées est parisienne.

Tout ce beau monde, du cadre tellement pressé qu’il ne recycle pas sa bouteille de soda à cette famille devant la boutique du PSG, pourra s’y retrouver samedi soir en cas de victoire du PSG, avant de parader ce dimanche en cas de victoire. Petit hic : tous s’accordent à dire que l’immeuble recouvert d’une énorme valise Louis Vuitton portera les stigmates d’une soirée arrosée. Les forces de l’ordre craignent plus un déferlement de supporters sur les Champs qu’un essaim de frelons asiatiques. François Bayrou, au micro de BFM TV, prophétise un « insupportable désordre ». Maxime Sauvage, monsieur sport du Parti socialiste, le « craint ». Jacques Vendroux, monsieur football d’Europe 1, de CNews et du JDD, parle d’une « fausse bonne idée. C’est certain que ça va dégénérer, malheureusement ». Alors pourquoi tant de crispation ?

Renault R5, Jacques Vendroux et débordements

« C’est une avenue à la fois royale et populaire. C’est par là que les Parisiens et Parisiennes sont allés chercher la famille royale pour la ramener de Versailles à Paris en 1789, pose Fabien Jobard, docteur en sciences politiques. Le tout à l’ombre d’un monument romain célébrant les campagnes militaires napoléoniennes, l’Arc de Triomphe. » Au départ de cette grande porte, la première descente sportive des Champs-Élysées remonte à 1975. Bien avant les Vélib’ électriques et les vélos cargo, les cyclistes les empruntent pour la première fois pour la dernière étape du Tour de France. L’année suivante, les Verts du foot descendent l’avenue en Renault R5. L’initiative est venue des cheveux pas encore blancs de Jacques Vendroux. « C’est un fantasme de Jacques Vendroux, raconte-t-il, lui qui avait annoncé la nouvelle sur France Inter. Je suivais Saint-Étienne, et l’idée germe pendant la demi-finale de 1976. C’était un secret partagé avec les joueurs et la direction, il ne fallait surtout pas prévenir les autorités. De toute façon, elles n’auraient pas donné les autorisations ! » 150 000 personnes sont ensuite venues admirer les cheveux de Robert Herbin, de retour de Glasgow. « C’était une pagaille, et un triomphe, fait avec beaucoup de simplicité, beaucoup d’humanité, et des copinages ! » remet Vendroux.

C’est un lieu plus central, il y a le métro, le RER. On va où ou on sait qu’il y aura de l’ambiance et du monde.

Eldie, supportrice

Alain Prost, Eric Tabarly avaient aussi connu leur heure de gloire, avant l’équipe de France, en 1998 et 2018. Les klaxons et fumigènes ont aussi défilé pour fêter les victoires du Maroc, de la Côte d’Ivoire ou de l’Algérie, CAN ou Coupe du monde comprises. Maxime Sauvage commente : « Les parades actuelles s’inscrivent dans cette filiation. L’explosion, c’est surtout 1998. Il y a entre 500 000 et un million de personnes, c’est à la maison, le visage de Zinédine Zidane sur l’Arc de Triomphe. » L’élu du 20e arrondissement y a lui-même passé son 12 juillet 1998.

Les derniers Jeux olympiques en apportent une nouvelle preuve : pour fêter leurs sportifs, les Français vont sur l’avenue cossue, soit de manière spontanée, dès les coups de sifflet finaux, ou pour parader et voir leurs stars. Eldie, supportrice du PSG et étudiante à Paris, en a l’habitude : « C’est un lieu plus central, il y a le métro, le RER. On va où ou on sait qu’il y aura de l’ambiance et du monde. » Elle n’ira pas aux Champs ce samedi soir car elle a prévu des vacances, mais elle voit aussi Paris portée par un bon nombre de fumigènes et de pétards. « Si on me parle de fumigènes, de feux d’artifice, ça peut être dangereux certes, mais c’est une façon de célébrer. Après, en ce qui concerne la casse, je ne vais pas dire que je comprends, mais c’est dans des moments d’euphorie. » Qui peuvent vite dégénérer.

Certes, il y a des gens qui profitent de ces moments-là pour casser, brûler des voitures, mais c’est une minorité. Le problème, c’est qu’il y a une couverture médiatique qui essentialise les soirs de célébration après ces événements.

Selim, étudiant

Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder le nombre d’interpellations à chaque célébration : 47 après la demi-finale du PSG contre Arsenal – dont un chauffeur VTC ayant écrasé plusieurs piétons –, 100 après la double qualification de la France et du Maroc pour les quarts de finale du Mondial, et même 32 pour la finale de la Coupe arabe 2021 entre la Tunisie et l’Algérie. Maxime Sauvage, logiquement, n’espère pas de tensions : « Quand on regarde le lendemain, on retient que tous les reportages commencent par la fête et se terminent par les caillassages, les jets de canettes, éventuellement certains commerces ou abribus brûlés, les charges des forces de l’ordre. C’est vraiment dommage, estime l’élu. Après, quand la soirée avance, le climat se durcit. On peut voir une tension très forte avec certaines personnes qui ne sont pas là pour faire la fête, mais qui sont là pour en découdre avec les forces de l’ordre. En face, la doctrine du maintien de l’ordre public est parfois aussi contreproductive. »

Pour Jacques Vendroux, reproduire la parade de 1976 est impossible. « Perdre le côté populaire pour éviter les incidents, c’est pas une faute. » Quand on lui demande pourquoi, le bolloriste développe un avis aussi arrêté que son employeur, reprenant sans filtre les clichés les plus éculés de l’extrême droite. « C’est le prétexte pour mettre le bordel. La banlieue est incontrôlable ! » Les coupables sont qualifiés de « voyous », « hors la loi », « d’analphabètes » ou encore de personnes « sans éducation ». Pour beaucoup de supporters, les Champs-Élysées riment encore avec fête. Selim, étudiant à Bondy, a envie de parader. « Certes, il y a des gens qui profitent de ces moments-là pour casser, brûler des voitures, mais c’est une minorité, théorise-t-il. Le problème, c’est qu’il y a une couverture médiatique qui essentialise les soirs de célébration après ces événements. » D’ordinaire, il suit les matchs depuis Bondy ou au local de son asso à Saint-Denis. Mais cette fois, si Paris soulève la coupe, il pense sérieusement troquer la routine pour une virée en direction des Champs.

Reste à composer avec une ambiance de plus en plus sous contrôle. Barrières, fouilles, drones, escadrons de CRS. Le folklore du foot se vit désormais sous le regard pesant des autorités. « Quand on les voit aussi nombreux, armés, casque, bouclier à la main, on a l’impression qu’il y a un danger. Ce n’est pas normal qu’il y ait une mini-armée comme ça », lâche le Bondynois, comme si les Champs-Élysées étaient devenus eux-mêmes un espace politique. Des propos qui font écho à ce que Ludivine Bantigny écrit dans une Histoire sociale et politique des Champs-Élysées. « Qu’il s’agisse de la fête ou du deuil, les Champs-Élysées sont un concentré où accents patriotiques et “universels” se mêlent. […] Ils énoncent un certain état du monde, comme s’ils l’exprimaient, l’aimantaient et l’absorbaient. Ils disent ainsi sa violence, sa partie saillante de conflictualité. L’avenue paie aussi le prix de ce qu’elle entend être : le lieu de la consécration, le symbole de la nation et son triomphe, comme l’Arc qui porte son nom. » Et samedi, qui sait, avec le visage d’Ousmane Dembélé projeté.

Seulement 15 des 25 joueurs sélectionnés sont arrivés aujourd'hui à Clairefontaine

Par Nesrine Bourekba et Ulysse Llamas, à Paris

Propos recueillis par Nesrine Bourekba et Ulysse Llamas, sauf ceux de Ludivine Bantigny, tirés du livre « "La plus belle avenue du monde". Une histoire sociale et politique des Champs-Élysées », aux éditions La Découverte.

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