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Ousmane Ly : « Avant, personne ne venait à Montfermeil »

Propos recueillis par Thomas Morlec
12 minutes

Suivis pendant une saison complète, les U17 nationaux du FC Montfermeil sont à l’honneur dans la série documentaire Maintenant ou jamais : FC Montfermeil, disponible sur la plateforme MAX. Son réalisateur, Ousmane Ly, nous raconte l’essence du projet, son envie de montrer une autre image de la banlieue, tout en avertissant les jeunes sur le monde impitoyable du football.

Crédit : Nine Halimi
Crédit : Nine Halimi

Comment est venue l’idée de cette série documentaire ?

À l’origine, je fais surtout des clips, j’ai aussi énormément travaillé pour des marques, mais j’ai toujours voulu faire de la fiction, du long métrage ou du documentaire. Le producteur Guillaume Thevenin, avec qui je travaille et qui est un mordu de foot, avait pensé à un docu sur un club de foot amateur où l’on parle de l’émergence des jeunes, comment ils font pour devenir pro. Venant de Montfermeil, qui est l’un des meilleurs clubs amateurs en France, puisqu’il est le seul du pays à avoir les U17 et les U19 Nationaux, et connaissant très bien la ville et le club, où j’ai même joué jusqu’à mes 15 ans, je savais que je serais vraiment à l’aise pour faire un tel projet. Tout s’est rapidement enchaîné, puisque HBO a été directement emballé. Pour moi, c’était un choix instinctif, je n’aurais pas été légitime de le faire dans une autre équipe, parce que comme pour les villes, chacun a son histoire.

Tu as quel rapport avec le foot ? J’allais au stade tous les dimanches pour regarder les seniors, même si je savais que je n’allais pas faire carrière dans ce sport. Perso, je suis un grand fan du PSG, pour qui je fais de la photo et de la vidéo. En ce moment, tout tombe à pic pour moi entre la victoire de la Ligue des champions et la sortie du docu. (Rires.) Ça met une belle image sur Paris, c’est incroyable.

On ne romance rien, ce n’est pas un clip kaïra/ghetto où tu vas faire un tableau. Là, c’est brut. En banlieue, il y a l’entraide, l’envie de voir les nôtres réussir, ou encore le retour dans le quartier après un échec…

Ousmane Ly

Il y a aussi l’envie de mettre la lumière sur le 93 ?

On m’a toujours appelé parce que j’étais le réalisateur qui vient de banlieue, un peu pour le quota. On a voulu que je raconte une image de la banlieue qui ne reflète pas vraiment ce qu’on vit. Et là, un documentaire, c’est quelque chose de différent. On ne romance rien, ce n’est pas un clip kaïra/ghetto où tu vas faire un tableau. Là, c’est brut. En banlieue, il y a l’entraide, l’envie de voir les nôtres réussir, ou encore le retour dans le quartier après un échec… Il y a vraiment un truc qui était important à raconter et de montrer un message positif, ce qu’il y a un peu moins en ce moment, je trouve.

À quel point ton frère Ladj Ly, réalisateur des Misérables, a pu t’influencer dans ce projet ? Sur le processus de création du documentaire, on n’en a pas trop parlé, mais de manière générale, c’est lui qui m’a donné envie de faire ce métier avec Kourtrajmé. À l’époque, si tu voulais bien réussir en venant de Montfermeil, il fallait surtout jouer au foot. Il n’y avait pas trop de perspectives d’avenir. Le fait que mon frère ait réussi à monter son école de cinéma gratuite et qu’il ait ramené des gens comme JR, automatiquement, il y a eu un truc dans mon cerveau. Je me suis dit que j’avais envie de faire ce métier.

Ce documentaire, tu l’as fait pour qui ? Il est destiné à tous les anciens de Montfermeil, à tous ceux qui ont déménagé ces 30 dernières années à cause de la destruction d’une partie de la cité des Bosquets. On voulait aussi montrer à ceux qui sont partis que, s’il y a quelques années c’était la merde, aujourd’hui le FC Montfermeil brille. Ce que j’ai vraiment voulu mettre en avant, c’est que tu as des jeunes de toute l’Île-de-France, que ce soit du 78, du 91, du 77, qui viennent au club. Parfois, certains mettent une heure et demie ou deux heures quand c’est mal desservi pour s’entraîner sur les terrains de la ville, alors qu’avant, personne ne venait à Montfermeil. Parfois, certaines équipes adverses déclaraient même forfait pour ne pas avoir à venir.

Tu n’éclipses justement pas ce moment sombre de l’histoire du club… Ce qui est beau dans l’histoire, c’est que c’était le premier club de France à être radié, alors que désormais, c’est le club amateur qui envoie le plus de jeunes en centre de formation. Il y a un gouffre entre le monde amateur et les clubs pros, que ce soit dans l’hygiène de vie, le suivi, il n’y a pas photo. Pour tout cela, les clubs amateurs n’ont pas les moyens. Tous les soirs, les joueurs rentrent chez eux, donc l’entraîneur ne sait pas ce qu’ils mangent et à quelle heure ils dorment. Ils ne peuvent pas les fliquer, contrairement à des clubs pros. C’est important selon moi de montrer qu’ils sont dans les mêmes poules que les jeunes des centres de formation, mais qu’ils n’ont pas la même chance.

 

Tu es connu pour ton talent dans la réalisation de clips (Orelsan, Niska). Ce projet, c’était aussi un défi pour toi du point de vue du format ? C’était surtout un gros défi en matière de temps. Généralement, mes projets sont bouclés en un mois. On vient me voir, on écrit un pitch, on tourne pendant deux semaines et on part en montage. Là, on a fait un pilote avec une sélection de joueurs pendant une semaine, on a envoyé cela aux plateformes, ils ont validé, puis il y a eu le vrai processus de travail, avec l’histoire que l’on voulait raconter, comment on voulait évoquer Montfermeil, qui est finalement l’un des personnages principaux de l’histoire sans rentrer dans tous les clichés. Il ne faut pas que ça soit trop long. J’ai eu la chance d’être bien accompagné par un show-runner qui s’appelle Mitchell (Rosenbaum), qui a l’habitude de travailler sur les séries avec ce regard permettant d’analyser et de comprendre par quoi on allait commencer, quelle chute, pour qu’à la fin la personne ait envie de regarder le prochain épisode… Des composantes que je maîtrise moins, parce que je n’ai pas l’habitude. Il n’y a pas de stress parce que le docu s’est fait naturellement, tu n’as pas un jour de tournage, mais 92. C’est énorme. La chance que j’ai eue, c’est que HBO m’a laissé des libertés alors que d’autres plateformes ne m’auraient jamais laissé autant de temps.

Pour les joueurs, c’est un peu comme la Star Academy. Ils pensent qu’ils vont percer avec ce projet.

Ousmane Ly

Parmi les histoires des jeunes footballeurs, l’une se démarque particulièrement, celle de Kéba. Comment l’avez-vous repéré ? En présaison, quand on a commencé à repérer les personnages, on s’était surtout attardé sur les U19, parce qu’ils sont souvent mieux placés au classement. Mais on nous a conseillé de se focaliser sur la catégorie d’en dessous, car ils sont plus touchants. Hamed, le président du club, nous a présenté plusieurs profils dont Kéba, qui à l’époque n’avait pas encore ses papiers, arrivé seul en France à 12 ans. En U16 Régional, il avait mis 18 buts, il y avait énormément d’espoirs autour de lui. J’ai même été au Sénégal voir sa famille, avec qui je suis encore en contact. Je suis convaincu que, même s’il ne réussit pas dans le foot, il va réussir dans la vie. Ensuite, on a eu des flashs sur Anis et Ibé, mais aussi Isaac parce qu’on nous l’a présenté comme un phénomène, le Rafael Leão du club. Enfin Marwann, l’enfant de la ville, son père était mon animateur quand j’étais gamin, il y avait un lien, j’étais obligé de raconter son histoire.

Avec tes équipes, tu as suivi l’équipe durant toute une saison. Est-ce que tu as été étonné par certaines choses, des événements que tu n’attendais pas ? Des difficultés ? Pas vraiment parce que je n’ai pas de mal socialement à aller vers les gens, et les joueurs, c’était un peu comme mes petits frères. Le fait d’avoir fait beaucoup de clips de rap, un style qu’ils écoutent, et qu’ils voient sur mes réseaux que je suis souvent avec des artistes, ils étaient assez admiratifs et respectueux. Ça n’avait pas de prix, parce que grâce à leur confiance, ils me laissent faire un peu tout ce que je voulais. Après, quand la caméra tournait, je ne parlais pas avec les jeunes. L’idée, c’était de ne pas prendre de place dans leur saison ou dans les vestiaires. J’essayais d’être invisible.

Certains n’étaient pas trop timides devant la caméra, justement ? Le rapport à l’image a changé dans les nouvelles générations. Maintenant, c’est plus : « OK, il y a un docu’, il y a une plateforme qui va le diffuser, donc c’est un peu comme la Star Academy. » Ils pensent qu’ils vont percer avec ce projet. Dans les générations précédentes, on n’était pas dans ce monde-là parce qu’on était gênés devant les objectifs, on ne voulait pas se mettre en avant. Eux, c’est tout le contraire. Ils venaient toujours avec de nouvelles coupes, ils faisaient plus d’efforts.

Et à la fois, il ne fallait pas leur vendre trop de rêves… Totalement, c’est pour cela que j’en parlais à chaque fois avec les jeunes et que l’on a fait un épisode « plan B », avec Kéba. Certains n’ont pas d’autres perspectives d’avenir que le football. Ils ne se rendent pas compte à quel point c’est compliqué de faire son trou dans ce milieu. Après Montfermeil, ils vont dans un club pro, sont en centre de formation, mais il faut ensuite signer pro, et c’est un long chemin.

Crédit : Nine Halimi
Crédit : Nine Halimi

« Les gens de banlieue ont une détermination en plus que les autres », c’est une des phrases fortes du docu. Comment t’expliques cette dalle ?

Le fait de n’avoir rien et de regarder les autres qui ont tout. Durant son enfance, mais même toute sa vie. Après, je ne suis pas dans l’optique de dire que les portes ont été fermées parce que je viens de banlieue, mais depuis que j’habite à Paris, je sens que les Parisiens, vu qu’ils ont toujours eu accès à tout, s’en foutent un peu. Il y a un truc un peu plus chill. Et c’est de cette attitude dont veut parler Marwan, parce que notamment dans le 93, il n’y a pas le temps pour être tranquille.

Tu montres aussi énormément le rôle des familles. Ça n’a pas été compliqué de faire entrer ta caméra dans le cercle familial ? Ça s’est fait naturellement. Montfermeil, c’est une grande ville, mais les Bosquets, c’est une petite cité, tout le monde se connaît. Même les joueurs qui ont énormément de talent, ils sont un peu dissipés, donc le club va parler avec la famille. Quand les proches détectent un potentiel, il y a un suivi derrière parce qu’il y a l’espoir. Il y a aussi les parents, les agents… C’est une grosse pression sur les épaules des petits, alors que certains – je pense par exemple à Isaac – veulent juste taper dans la balle pour kiffer. Ceci dit, ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. Par exemple, il y avait Isam, fils d’Ikbal (I.K, frère de Rohff et ancien membre de TLF), qui veut devenir ingénieur. On pensait qu’il allait être le joueur qui allait signer, on l’a suivi au lycée où il excelle, dans le studio de son père en parlant de rap. Je trouvais que c’était grave intéressant de montrer les différents milieux sociaux des jeunes, mais on a dû couper certains profils au montage… À l’avant-première, j’étais un peu déçu pour certains jeunes qui s’attendaient sûrement à plus apparaître à l’écran.

Tu as senti qu’il y avait besoin d’alerter ou d’éduquer sur ces sujets ?

Quand j’en parle avec l’entraîneur, Bakary, il me dit qu’un jeune à cet âge-là n’a pas vraiment besoin d’agent, et il a raison. On a vu le nouveau phénomène des mecs qui se disent agents et qui sont dans tous les clubs amateurs pour parler aux familles habillés avec une chemise… C’est un monde de requins, ça peut aller très vite. Et c’est important de les mettre en garde dès maintenant, les jeunes. Mais ce n’est pas que sur ce thème-là. On a filmé pendant 92 jours, donc on a parlé de beaucoup de sujets comme l’éducation sexuelle. Quand tu vois le rapport que les joueurs de foot ont aux femmes, les histoires tordues, tu es obligé de les éduquer et de leur expliquer un peu la vie en vérité. Parce que les gens n’ont pas l’habitude de parler de ça, il y a un véritable tabou.

 

Contrairement à beaucoup de réalisations sur le sujet, tu as décidé de zoomer sur certaines failles des joueurs, que ce soit par rapport au niveau et au comportement. Pourquoi tu as fait ce choix ?

On ne peut pas enjoliver la réalité, ça ne marche jamais. Les nouvelles générations regardent comment les anciens ont fait pour réussir, mais aussi où étaient leurs failles. À mon sens, c’était trop important de les mettre en avant. Mon docu référence, c’est « À la Clairefontaine », quand tu vois Ben Arfa et ses erreurs, tu comprends mieux le personnage. C’est pareil pour Abou Diaby. Pour que les gens comprennent le profil, tu es obligé de montrer le bon et le mauvais. Après, j’ai compris que le docu marchait quand, lors d’une avant-première à Cannes avec des étudiants qui ne jouaient pas au foot, ils se sont pris d’affection pour des jeunes du 93.

Pourquoi il ne faut pas passer à côté de Maintenant ou jamais ?

Personnellement, il y avait une image qui m’avait marqué lors du Mondial 2022 : une photo des joueurs de l’équipe de France alignés lors de la séance de tirs au but où il n’y avait que des noirs. Sur les réseaux, il y a eu une vague de racisme à la suite de ce cliché. Je trouve qu’avec ce documentaire, on comprend mieux le football français. Les joueurs, leurs affaires, des profils comme N’Golo Kanté. Avec nos personnages, on se projette forcément sur des joueurs existants. Et surtout, il y a un message d’espoir. C’est le foot, la banlieue, mais ce n’est pas que des mecs remplis de testostérone. Ici, le club fait plus pour les jeunes que la mairie. Même si tu viens d’une autre ville, tu seras toujours bien accueilli au FC Montfermeil. Sans lui, la ville serait bien plus violente. Le fait d’avoir des clubs pros qui viennent jusque dans le 93 fait que les jeunes veulent montrer une belle image. Cela pousse les gens à s’améliorer, c’est vecteur d’espoir. C’est assurément le projet dont je suis le plus fier.

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Propos recueillis par Thomas Morlec

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