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OGCN/ASM : Violences et jeux du cirque

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OGCN/ASM : Violences et jeux du cirque

Renaud, membre actif de la Brigade Sud de Nice, livre son analyse des phénomènes de violence des supporters.

Dans la longue interview qu’il nous a accordée, et dont nous publions aujourd’hui le troisième volet, Renaud mobilise de nombreux arguments récurrents chez les ultras : le sentiment d’être victimes d’une répression abusive, de ne pas être traités comme des citoyens normaux, de ne pas être écoutés par les dirigeants, d’être considérés comme des idiots, etc. Il a également recours à un mode de justification de la violence courant parmi les ultras : s’il y a de la violence dans les stades et à leurs alentours, c’est parce qu’il y en a dans la société et qu’il y en a toujours eu dans le football. Mais, dans cette partie, il développe des analyses particulières, propres à son groupe ou à lui-même, en ce qui concerne la conception de la société française ou le rapport des supporters à la violence. Par les questions qu’il pose ou les réponses qu’il apporte, il oblige à s’interroger sur l’état du football et au-delà de la société, tant son témoignage pointe ou laisse apparaître de nombreuses tensions contemporaines.

Au-delà du cas niçois, le mouvement ultra n’est-il pas largement discrédité suite aux incidents depuis le début de la saison ?

A titre personnel, je suis très pessimiste. L’amalgame est systématiquement fait entre ultra et hooligan, entre fumigène et hooliganisme, entre fights ces bagarres organisées entre supporters violents –NDLR] et football, alors que les incidents se passent loin des stades. Les gens mélangent tout.

Surtout, ils oublient un élément essentiel. C’est que le stade est le reflet de notre société. Dans notre société, il y a du racisme, il y a des petits Blancs –je ne dis pas ça de manière péjorative– qui souffrent, il y a de la pauvreté aussi chez les Blancs, mais on ne parle pas d’eux, on ne parle que de ceux des banlieues. Parallèlement, pour beaucoup de gens politisés, le stade est un moyen d’expression, ils y vont pour faire passer des messages qui n’ont rien à voir avec le football. Et la violence est beaucoup plus forte dans notre société aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans, les jeunes sont plus irresponsables et plus jusqu’au-boutistes. Il y a aussi les problèmes de drogue… Ce que je veux dire, c’est que le mouvement ultra fascine pas mal de jeunes, les attire et donc que les problèmes de la société, on les retrouve au stade. Pourtant, personne ne parle de ce contexte social.

Et puis le football, ça a toujours été les jeux du cirque. Dans les années 1970, lors des Nice-Bastia, il y avait des incidents bien plus graves que ceux de Grenoble, les anciens m’ont raconté comment ça se passait, les incidents auraient pu avoir des conséquences très graves à l’époque. On dirait qu’on découvre ça. Il y a toujours eu de la violence autour du football. Après, c’est vrai que ça a pris d’autres formes ces dernières années, qu’il y a eu l’essor du hooliganisme à l’anglaise… Ce n’était peut-être pas le même esprit avant, mais au niveau violence, c’était pareil. Cette violence, ils ne la canaliseront jamais : elle n’est que le reflet de la dureté de la société d’un temps donné. Le discours récurrent sur la fin du hooliganisme en Angleterre, c’est du pipeau. Le phénomène du hooliganisme anglais, il n’est pas éradiqué du tout.

En plus, la Coupe du Monde 1998 a drainé vers les stades une frange de la population jusque là réfractaire à ce sport et qui a une culture footballistique et du supportérisme quasi-inexistante. Cette transformation s’est faite dans l’esprit “Black, Blanc, Beur”, la prétendue réussite de l’intégration à la française, le melting-pot social, la vie en rose, le monde est beau et gentil, la soi-disante fraternité [ton ironique]. La coupe du monde a renvoyé une image niaise et irréelle du football. Non seulement ce nouveau public est marqué par une ignorance confondante du caractère « jeux du cirque » des matchs et des stades de foot des années 70, 80 et 90, mais en plus il se veut porteur de messages bien inscrits dans le politiquement correct. Ce nouveau public et les dirigeants du football se sont considérés comme investis de la mission d’imposer de nouvelles valeurs soi-disant universalistes aux anciens supporters. Cela n’a pu qu’engendrer des tensions.

Ce que les gens refusent de voir aussi, c’est que l’avis du citoyen de base n’intéresse personne. Vous avez l’impression qu’on écoute ce que vous avez à dire, vous ? Je suis un sport qui me passionne, j’ai envie de donner mon avis. Et là, c’est pareil, la plupart des dirigeants, la LFP, ils vous répondent qu’ils n’en ont rien à faire de votre avis. On reproduit au stade le schéma de la société actuelle. Vous n’avez pas le droit à la parole, ce que vous dites n’intéresse personne. En plus, il y a le cliché que le supporter est un idiot. Je ne parle pas des ultras, là, je parle des supporters dans leur ensemble qui sont pris pour des imbéciles. Au stade, ils espèrent pouvoir vivre des choses, pouvoir dire des choses, comme ça devrait se faire normalement dans la société. Toute cette frustration, les dirigeants du football, les journalistes, ils ne la voient pas. Toute cette frustration, c’est une poudrière.

Est-ce que les groupes ultras ne peuvent pas essayer de réguler tout ça, de limiter les débordements ?

On n’est pas policiers, pourquoi ce serait à nous de gérer ? En plus, ce sentiment d’injustice, de mise à l’écart, cette frustration, l’impression de subir des sanctions disproportionnées, nous donnent encore moins envie de collaborer car cela signifierait hurler avec les loups, taper sur les nôtres. Même s’ils ont fait des conneries, on a plutôt envie de les défendre, de les aider, comme dans une famille.

Par contre, on a une vraie volonté de limiter les problèmes internes à la tribune, de responsabiliser les supporters, d’éviter les jets de projectiles. Mais ça, personne ne le relève. Quand on fait la police, personne n’en parle ou, pire, ça nous retombe dessus. L’an dernier, pendant un match, des jeunes ont provoqué une bousculade en haut de la tribune. Des responsables du groupe sont montés pour calmer les esprits. Sauf que les gamins, ils n’ont pas compris à qui ils avaient affaire et ont commencé à taper. Du coup, ils ont ramassé, les stadiers sont intervenus et les jeunes fauteurs de trouble ont été virés de la tribune. Quatre mois après les faits, ceux qui étaient montés ont eu des gardes à vue puis ils ont pris deux mois de prison avec sursis et six mois d’IDS. Tout ça pour une bagarre avec aucun blessé alors que ceux qui ont tout déclenché n’ont pas été arrêtés.

Vous avez quand même une réputation violente entretenue par des bagarres comme celle avec les Parisiens à Antibes.

Mais il y a une confusion de faite. Ça ne s’est pas passé au stade. Ça s’est passé à Antibes, la veille du match. Ça concerne 150 personnes qui ont pris RV pour se taper dessus. Ça n’a pas du tout perturbé le match. On peut penser que c’est con de faire ça, mais ça n’a pas du tout gêné le match. Alors pourquoi on fait la confusion entre les deux ? Il n’y a aucune recherche de la violence au stade, à Nice. Parce que ce n’est pas possible et que ça n’a pas d’intérêt.

Ces incidents, vous les dénoncez ?

Non. Le groupe ne dénonce pas ces incidents. On ne les nie pas. En revanche, on souligne qu’ils ne troublent pas le match. Et ce n’est pas plus ou moins condamnable que les phénomènes de bandes dans les années 1970 ou 1980, les punks, les rockeurs, les skins… C’est pareil. Ces incidents ont certes le foot comme prétexte. Mais ils ne touchent pas le foot, le déroulement de la rencontre, les joueurs, les arbitres…

Je préférerais que ceux qui luttent contre ces bagarres aient comme arguments « Il faut défendre ces jeunes d’eux-mêmes, ils ne se rendent pas compte des risques qu’ils prennent, donc il faut les protéger » . Là, ça tiendrait la route comme raisonnement. Mais dire que ça perturbe la rencontre sportive, c’est n’importe quoi. A Nice, il n’y a pas d’incident au stade, on est très attentifs à ça. Après, ce n’est pas forcément le cas partout en France.

La multiplication des incidents ces derniers temps ne sert pas la cause des ultras…

Il faut nuancer la gravité des incidents. Par exemple, pendant Nice-Montpellier, les Montpelliérains, ils n’ont pas lancé leurs bombes agricoles sur l’arbitre. On l’a bien vu. Franchement, le gars, il jette sa bombe à 10-15 mètres de l’arbitre, loin de tout joueur. Il n’y a absolument pas d’intention agressive. Et derrière les médias et la Ligue, ils en font des tonnes. Faut pas exagérer.

[Renaud évoque alors de manière détaillée les diverses violences des supporters mais il ne souhaite pas que cette partie de l’interview soit publiée par crainte que ses propos soient déformés ou mal interprétés. Pourtant, il décrivait plutôt objectivement la situation et, loin de faire l’apologie de la violence, il faisait preuve d’autocritique. –NDLR].

[Premier volet : Ultras : ennemis du football ?

Deuxième volet : Nice-Monaco : de la grève aux incidents

Quatrième volet, demain : Fumigènes, Moscato et politiquement correct

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