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Melissa Plaza : « On n’a pas besoin de hurler pour motiver  »

Propos recueillis par Anna Carreau

Ancienne joueuse internationale notamment passée par l'OL et Montpellier, Melissa Plaza n'a pas trop aimé la causerie de Hervé Renard devenue virale après la victoire de la France face au Brésil (2-1). Aujourd'hui doctorante en psychosociale, elle s'interroge sur le côté viriliste encore trop souvent présent dans le football.

Melissa Plaza : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>On n&rsquo;a pas besoin de hurler pour motiver  »

Pourquoi la vidéo de la causerie de Hervé Renard vous pose problème ?

C’est un discours dans lequel le gars passe son temps à hurler, le ton est tellement fort que l’oreille sature et ça rend le discours plus creux qu’il ne l’est déjà. Donc ça n’a plus aucun effet. On voit ça beaucoup dans le football, malheureusement. C’est ce que je déplore un peu. Quand on regarde les commentaires sur Twitter, tout le monde trouve ça cool de se faire hurler dessus pendant, une demi-heure, 45 minutes… Mais s’il est en capacité de faire ça devant les caméras, il faut imaginer ce qu’il est capable de faire quand la caméra n’est pas là. Il faut imaginer aussi qu’on retrouve ce discours-là pendant la causerie, les entraînements, les matchs… Les gens ne se rendent pas compte que ces attitudes virilistes, cette gestuelle… Parce qu’il y a le ton, mais il y a aussi la gestuelle. Il passe son temps à taper du poing dans sa main, à avoir des gestes extrêmement brusques, etc. Ces gestes-là et ces attitudes virilistes, c’est quelque chose qu’on retrouve quand on le voit à la fin du match s’adresser aux arbitres de manière extrêmement choquante, presque à les menacer, il faut voir que tout ça est un spectre. Il y a un lien entre ces attitudes virilistes qu’il a pendant la causerie et ces attitudes complètement répréhensibles qu’il a à la fin du match avec les arbitres. Et les gens ne semblent pas faire le lien.

On retrouve souvent ces attitudes dans le football…

J’ai l’impression que c’est propre au haut niveau et que les gens imaginent que parce qu’on est athlètes de haut niveau, c’est un peu notre lot. Ça fait partie de la culture du dolorisme qui est constamment prônée, c’est-à-dire que performance veut forcément dire douleur. En plus, cette culture du dolorisme dans le haut niveau, elle se double souvent chez les femmes de misogynie. Même si ce n’est pas forcément le cas dans le discours d’Hervé Renard.

Les mecs que j’ai eus et qui nous traitaient comme de la merde, quand ils faisaient ça avec les garçons, ils se faisaient accrocher au portemanteau, et au bout de trois mois, ils étaient dehors.

Vous qui avez 14 ans de carrière professionnelle derrière vous, quels effets ont ce genre de discours ?

Je faisais partie de ces joueuses, et je sais que je n’étais pas la seule, qui étaient totalement inhibées par ce genre de comportement. Celles dont la performance a pu être altérée à de maintes reprises par des hommes qui, sur le banc de touche ou dans les vestiaires, hurlaient. Je me souviens que quand on a été championnes olympiques universitaires à Gwangju, en Corée du Sud (2015), là, on avait quelqu’un qui avait tout misé sur l’humain (Jean-François Niemezcki, NDLR), et qui avait compris qu’on pouvait dire les choses de manière bienveillante. Et ce sont les fois où j’ai été la meilleure et où on a ramené des médailles.

Donc ce sont aussi des causeries qu’on retrouve dans le football féminin ?

Les femmes dans le football, bien souvent, récupèrent les ratés de chez les garçons. Tout le monde se dit que chez les filles, ça fera l’affaire. Je ne parle pas d’Hervé Renard. Il se trouve que ce sont des mecs qui ont l’égo boursouflé et qui viennent chez nous pour assouvir une autorité qu’ils n’ont pas eue ailleurs. C’est ça qu’il faut comprendre. Les mecs que j’ai eus et qui nous traitaient comme de la merde, quand ils faisaient ça avec les garçons, ils se faisaient accrocher au porte-manteau, et au bout de trois mois, ils étaient dehors. On vit dans une société patriarcale, donc qu’est-ce qu’on fait nous les femmes ? On ferme notre gueule, et puis on acquiesce. On va au charbon, comme il nous est demandé de faire.

Je n’ai jamais entendu une causerie comme ça de la part de Corinne Diacre. Pourtant on lui a fait je ne sais pas combien de procès d’autorité, de virilité… C’est un peu deux poids, deux mesures.

Pourquoi à votre avis, c’est si répandu ?

J’ai l’impression qu’en dehors du football, dans les entreprises, le management bienveillant, les soft skills sont de plus en plus prônés, qu’il y a des formations au management bienveillant, etc. Et c’est comme si le football était complètement imperméable à tout ce qui se passait dans la société. Ils se disent : « En tant que joueur, j’ai reçu ça comme management, donc je vais faire la même chose. » C’est un truc qui se transmet de génération d’entraîneurs en génération d’entraîneurs, sans jamais être remis en question, sans jamais se dire que peut-être, la solution réside ailleurs. Moi, je me souviens de certains sélectionneurs, celui qu’on avait en U20, je crois que c’était Stéphane Pillard, qui nous faisait des causeries géniales, où il nous prenait des citations d’alpinistes, il nous racontait des histoires, nous faisait rêver … Soyez inventifs, donnez envie aux joueuses de vous suivre !

Et si ça avait été Corinne Diacre qui prononçait cette causerie ?

Je n’ai jamais entendu une causerie comme ça de la part de Corinne Diacre. Pourtant, on lui a fait je ne sais combien de procès d’autorité, de virilité… C’est un peu deux poids, deux mesures. J’ai fait une vidéo pour me moquer de cette causerie et une femme m’a partagé sur Twitter le commentaire d’un de ses enfants qui avait regardé ma vidéo et qui a répondu : « Elle est folle celle-là ! » Quand c’est dans la bouche d’une femme, tout de suite, on crie à l’hystérie, alors que quand c’est dans la bouche d’un homme, on trouve ça fabuleux. Les hommes ont le droit d’être autoritaires, d’avoir des accès de colère, d’être virils, violents, virulents… On leur pardonne. La société leur permet. Ça s’appelle l’impunité.

Qu’est-ce qui doit changer ?

Il est grand temps qu’on arrête de valoriser la virilité comme ça. Se battre contre le patriarcat, c’est aussi se battre contre toutes les composantes du patriarcat. Et dans les composantes du patriarcat, vous trouvez ce virilisme, cette masculinité toxique, qui apparaît dans ce discours d’Hervé Renard.

La vidéo a eu énormément de succès sur les réseaux pourtant…

J’ai même vu des femmes qui ont retweeté cette causerie en disant à quel point c’était génial, à quel point elles aimeraient qu’on leur parle comme ça, mais ça ne va pas ou quoi ? Et d’ailleurs, il y en a même une qui m’a répondu que ça convient aux joueuses et que Selma Bacha avait même dit en conférence de presse que oui, elle était prête à se tuer pour ce coach-là. Ça veut bien dire que le climat n’est pas que celui de la causerie, que c’est un climat permanent. Mais à quel moment on trouve ça sain qu’une joueuse dise ça ? À quel moment on se dit, c’est une relation entraîneur-entraînée saine ? Ça pose la question du système qui fait qu’à un moment, les opprimées deviennent elles-mêmes complices du système.

Il y a un certain caractère guerrier dans le ton employé.

À quel moment on se dit que ce langage est approprié ? Les gens me disent : « Oui, mais on les prépare aux combats physiques, c’est normal ! » C’est oublier que le physique n’est qu’une composante parmi plein d’autres dans le foot. Réduire le foot à la composante physique, c’est ridicule, parce qu’il y a du physique, il y a de la tactique, il y a de la technique, il y a de l’intelligence émotionnelle aussi. Réduire le football à la composante physique, c’est passer à côté de l’essentiel, de la beauté du jeu. Et puis on appelle ça un discours motivationnel, mais montrez ça aux psychologues, aux chercheurs en sciences humaines qui sauront vous dire qu’on ne motive pas les gens comme ça. Vous imaginez votre manager se pointer comme ça le lundi matin en réunion et vous hurler dessus de cette manière-là ? Ben non.

J’ai honte quand je vois cette France s’extasier devant de pareils propos complètement perchés, qui n’ont pas de sens, qui sont creux, qui sont juste violents.

Certains font même le lien entre la victoire et cette causerie.

Je veux quand même rappeler que corrélation ne voulait pas dire causalité. Les gens semblent ne pas connaître la différence. Donnez-moi des chiffres, donnez-moi des données scientifiques qui attestent que ce genre d’attitude entraîne la performance. Peut-être qu’il a eu le même discours avant la Jamaïque, mais vu qu’il y a eu 0-0, ils n’ont pas montré la vidéo. Et c’est oublier que la victoire est forcément multifactorielle. Ce n’est pas cette causerie qui a engendré la victoire. Ce serait impossible d’isoler ce facteur précisément pour pouvoir prédire la victoire derrière. Et c’est surtout oublier, et c’est très patriarcal, que la victoire, on la doit surtout aux joueuses, parce que c’est elles qui sont sur le terrain. Donc il ne faudrait quand même pas l’oublier, il ne faudrait pas attribuer les lauriers à la mauvaise personne.

Qu’est-ce que vous aimeriez faire passer comme message ?

On n’a pas besoin de hurler pour motiver. On n’a pas besoin de souffler le chaud et le froid, comme lorsque Hervé Renard crie : « Vous êtes capables de le faire… si vous avez envie de le faire ! » Vous voyez, c’est une petite caresse, puis derrière, on prend une grosse gifle. À quoi ça sert de faire ça à part sidérer les gens ? Je crois qu’on peut faire mieux, qu’on est en capacité d’avoir un discours qui permette à chacune de se sentir à sa place, qui permette de donner confiance, de dire aussi qu’on a confiance en ces joueuses, de leur signifier que c’est un moment important et que c’est un moment important pour soi, mais aussi pour elles. Ça n’empêche pas de mettre des intonations, ça n’empêche pas de mettre du cœur, de l’envie, mais on n’a pas besoin de passer 30 minutes à hurler et à dire quelque chose qui sonne creux, quoi. Des banalités, des choses convenues qu’on a entendues mille fois. J’ai honte quand je vois cette France s’extasier devant de pareils propos complètement perchés, qui n’ont pas de sens, qui sont creux, qui sont juste violents.

Propos recueillis par Anna Carreau

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