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Madrid vs Barcelone : une affaire de style
Ce soir se joue le sixième Clásico en un an. Il n’y a que les imbéciles qui trouveront une raison de s’en lasser. Comme tous les chefs-d'œuvre du monde, le contenu importe peu. Ce qui est beau dans un classique, c’est le style.
« C’est le meilleur match parce que ce sont deux très belles équipes. C’est le plus beau match du monde. » Karim Benzema vise juste. Un match qui s’est joué plus de 250 fois en 110 ans d’histoire et qui continue à intéresser autant de personnes à la fois, c’est qu’il doit y avoir une bonne raison. Le Clásico n’est pas un match comme un autre. Cette rencontre a beau se répéter au moins trois fois par an depuis plus d’un siècle (16 fois depuis deux ans, soit un match toutes les 6 semaines), on a beau toujours répéter la même chose, s’en prendre à Mourinho, à Xavi, au Portugal, à la Catalogne ou à tous ceux qui ne pensent pas comme nous, il y a toujours quelque chose en jeu dans un Madrid-Barça. Un Clásico, c’est Messi, Mourinho, Guardiola, Maradona, Ronaldo, Zidane, Rivaldo, Figo, Ronaldinho, Michel, Schuster, Cruyff, Kubala, Kocsic, Di Stéfano, Franco, Laporta et Juan Carlos dans le même match. Il n’y a que ceux qui ne s’intéressent qu’aux mathématiques qui s’ennuieront de voir ce match se répéter. Le football n’est pas un sport. On a donc raison d’en parler beaucoup trop. Un Madrid-Barça, c’est beaucoup mieux qu’une rivalité sportive ou une affaire de clochers. Un Madrid-Barça est une question de vision, c’est-à-dire d’interprétation, c’est-à-dire de style.
Le style, c’est tout
Madrid et Barcelone sont les allégories de deux façons antagonistes de concevoir le jeu. Guardiola l’explique à Hierro en 2005 : « Le Real se débrouille très bien, même s’il joue mal, pas le Barça. Nous devons bien jouer pour avoir une chance de gagner. Ça a toujours été comme ça. » Hierro lui répond : « Le Barça joue à une ou deux touches de balle depuis dix ans et change très ponctuellement d’organisation. Nous, au Real, nous conduisons le ballon tout le temps et notre système dépend de qui s’assoit sur le banc. » Quand Cruyff énonce 14 principes de jeu à respecter et décide que « c’est l’idée de jeu qui commande » , pas les hommes, il a en tête le dogme du ballon et de la possession. Un gamin de la Masia est nourri des mêmes principes de jeu depuis son berceau : le plaisir et le ballon. Le plaisir de jouer parce que c’est l’essence du sport. Le ballon parce c’est le seul moyen d’y parvenir. À Barcelone, toutes les catégories jouent en 4-3-3 (le 3-4-3 n’est qu’une variante,) car cette disposition « permet aux joueurs moins talentueux de se permettre le luxe de toucher des ballons sans les perdre systématiquement à cause de la proximité des joueurs rivaux. Ainsi sa confiance ne se détériore pas et il peut continuer à travailler dans tous les aspects du jeu collectif. » La possession du ballon est le résultat d’un schéma tactique qui s’impose aux joueurs. Le joueur sert le système, pas l’inverse.
À Madrid, c’est le contraire, on croit au génie. Le Real appartient à ses joueurs, pas à ses entraîneurs. Le Real, c’est le club de Di Stéfano, Juanito, Raúl, Redondo, Zidane, Özil, pas celui de Toschak, Hiddink, Pellegrini ou même Mourinho. Le geste prime sur le schéma. Di Stéfano a écrit la légende du Real et voici son secret : « Lutter, montrer son talent, jouer les soixante-quinze premières minutes à fond en essayant de marquer deux ou trois buts et durant les quinze dernières minutes faire plaisir au public pour que les gens rentrent chez eux avec des étincelles dans les yeux et disent« Comme le Real joue bien ! »Mais en réalité, notre style, c’était lutter pendant soixante-quinze minutes et jouer seulement les quinze dernières. » Au Real, le style, c’est l’absence de style. À Madrid, le joueur dépasse l’entraîneur. Valdano : « Les références sont les joueurs, pas les idées. Les exécutants plutôt que les théoriciens. Le Real est un club qui a une passion pour le triomphe, qui célèbre l’effort et aime le spectacle. Mais il place le triomphe au-dessus de tout le reste. Dans cette recherche du triomphe, tous les styles sont valables et le jeu est donc très riche. »
Le fond et la forme, c’est pareil
Technique collective contre épopée, artisans contre artistes, méthode contre génie, collectivité contre individu, esthétique contre efficacité, jeu contre triomphe, Barcelone et Madrid sont beaucoup plus que deux équipes remplies de stars qui se rencontrent pour la quatrième fois cette saison. Les deux rivaux s’opposent dans leur idiosyncrasie même. Plus leurs valeurs s’opposent, plus ils sont eux-mêmes. Plus il sont eux-mêmes, plus ils sont grands. Oui, ce soir, sur la pelouse, il y aura des stars. Oui, on pourra comparer les muscles de Cristiano et de Messi. Oui, il y aura du spectacle. Oui, il y aura des buts. Oui, ce sera encore le match du siècle. Mais il y a bien longtemps qu’il n’est plus question de sport entre ces deux-là. C’est le style qui compte. Parce que « le style est une question, non de technique, mais de vision » , même Proust le dit. Et Marcel, en style, il s’y connaît.
À paraître (14 février 2013) : Thibaud Leplat, Clásico Madrid Barcelone : la guerre des mondes, Hugo sport, Paris, 2013, 256 pages.
Par Thibaud Leplat