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L’Ukraine contre ses démons
« Maintenant, on doit se calmer. Mes joueurs savent ce qu’ils ont à faire. » Après la victoire à l'aller face à la Slovénie, 2-0, l’entraîneur ukrainien Mikhaïl Fomenko n’est paradoxalement pas rassuré. Il sait que le pire est encore à venir. Pour jouer l’Euro, il doit vaincre le pire des ennemis : le mental de ses joueurs.
C’était il y a deux ans presque jour pour jour. Le 19 novembre 2013 exactement. Et déjà, une majorité d’entre eux étaient sur la pelouse du Stade de France : Pyatov, Shevchuk, Rakytskiy, Konoplyanka, Yarmolenko… À quatre pattes, allongés sur le sol, les larmes aux yeux. Car ce soir-là, la France s’était sublimée, survoltée, transcendée. Un homme en particulier avait explosé le mur jaune. Mamadou Sakho, par deux fois, du pied et du genou, était entré dans leur champ de vision pour devenir aujourd’hui encore un douloureux souvenir.
Mikhaïl Fomenko s’en souvient. Il était lui aussi déjà sur le banc : « Il y a deux ans, contre la France, nous avions manqué d’expérience, nous étions une jeune équipe. Au retour, la France a changé beaucoup de choses, alignant cinq nouveaux joueurs, et s’était montrée meilleure. Nous avons appris de cette défaite et ferons en sorte de ne pas reproduire les mêmes erreurs. » Un discours qui se veut optimiste et humble, servi par les leçons du passé.
Une bête noire à cinq têtes
Seul problème : le visage de Mamadou Sakho n’est pas le seul à hanter leur mémoire. En 1997, c’était celui de Bokšić avec la Croatie. En 1999, c’était celui de Pavlin avec la Slovénie (déjà). En 2001, c’était celui de Ballack avec l’Allemagne. Et enfin en 2009, c’était celui de Salpingidis avec la Grèce. À chaque fois, le cauchemar a un visage différent. À chaque fois, l’aller ne se passe pas trop mal, comme ce week-end, toujours selon le coach ukrainien : « On a remporté la première mi-temps de notre barrage. Je suis ravi de ne pas avoir concédé de but. »
Et puis à chaque fois, un grain de sable vient perturber la machine au retour. Et l’Ukraine s’effondre sur la dernière marche. Voilà pourquoi Mikhaïl n’est pas tout à fait serein en conférence de presse d’après-match. Voilà pourquoi chacun de ses mots est mesuré, pesé, avant d’être prononcé. Voilà pourquoi il aurait préféré en mettre trois de plus à l’aller : « Après le premier but, nous avons commis des erreurs, des erreurs individuelles. Peut-être que mes joueurs ont commencé à se relâcher… C’est un peu décevant. On doit maintenant se préparer à la deuxième mi-temps. C’est le match de mardi qui compte et qui sera décisif. » Entre les lignes, on peut le lire : si ses joueurs ne craquent pas, ils iront en France. À moins d’une grosse catastrophe, ce barrage ne peut plus leur échapper.
Le coup de poker slovène
Mais voilà, l’ennemi intérieur est le plus vicieux qui soit. Il pénètre le cortex cérébral et peut retourner les sentiments, les émotions, les réactions. Comme si la vision de la ligne d’arrivée paralysait les bonnes intentions. Côté slovène, Srečko Katanec, l’entraîneur, sait qu’il pourra compter sur cet allié de taille. D’ailleurs, il ne semblait pas du tout résigné au terme du match aller, perdu 2-0. Le malheur des uns faisant son bonheur : « Je ne vais pas jeter l’éponge, beaucoup de choses peuvent encore arriver. Je suis très déçu qu’on ait manqué toutes nos opportunités. Surtout celles en début de match. Mais on a encore un match pour se rattraper. Ce n’est pas encore la fin. Notre sort est encore entre nos mains. On va essayer de produire notre meilleur football. » Il s’est même permis de garder au frais son atout premier pour le ressortir au moment opportun. Au moment où le venin aura pénétré efficacement le mental adverse : « J’ai sorti Iličić (à la 60e) en pensant au retour. On doit pouvoir tout donner et je suis donc prudent avec nos meilleurs joueurs. » Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose pour les Ukrainiens. Au moins, ils connaissent déjà le visage de leur futur potentiel bourreau.
Par Ugo Bocchi