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Luis Fernando Suárez : « Il faut savoir oublier pourquoi tu as gagné »

Propos recueillis par Thomas Goubin
Luis Fernando Suárez : « Il faut savoir oublier pourquoi tu as gagné »

Le Colombien Luis Fernando Suárez, 62 ans, est un peu le Bora Milutinović latino-américain. Après l'Équateur (2006) et le Honduras (2014), celui qui a aussi officié dans de nombreux clubs dirigera le Costa Rica au Qatar. Avant d'en découdre avec l'Espagne, cet amateur de psychologie sportive se confie sur sa recette gagnante.

Comment se déroule votre prise en main d’une sélection ?Mon premier objectif, c’est de comprendre la manière de penser des joueurs, mais aussi de la population du pays dans lequel je vais travailler, pour créer un lien affectif. Et pour le Costa Rica, ça a été difficile, car j’ai disposé de peu de temps (il a été nommé le 21 juin 2021, NDLR). Avec l’Équateur, par exemple, quand je suis arrivé au début de la campagne éliminatoire (2004), je connaissais déjà le pays, car j’avais été l’entraîneur adjoint de Francisco Maturana pour la Coupe du monde 1998.

Comment vous êtes-vous adapté au manque de temps ?Comme entraîneur, on peut avoir des peurs, se reposer sur des précédents, mais là, faute de temps, on a rapidement tranché. Notre diagnostic était qu’il fallait faire un changement express, et on a osé le faire. La leçon apprise, c’est que, même s’il est plus confortable de mener un processus long, on peut former rapidement un groupe en se focalisant sur la synergie entre les joueurs, plus encore que sur les qualités individuelles.

On s’est alors demandé quel type de joueurs nous manquait. Et on a appelé de nouveaux éléments, notamment un joueur de 17 ans, Jewison Bennette, qui n’avait pas encore disputé un match en professionnel.

Concrètement, qu’avez-vous changé ? Il faut rappeler le contexte : avant que je n’arrive, cela faisait deux ans que la sélection ne gagnait pas un match international. On a joué presque immédiatement la Gold Cup, et même si on a gagné des matchs, on s’est rendu compte qu’il y avait encore beaucoup de choses à améliorer. On s’est alors demandé quel type de joueurs nous manquait. Et on a appelé de nouveaux éléments, notamment un joueur de 17 ans (Jewison Bennette) qui n’avait pas encore disputé un match en professionnel, et qui maintenant évolue en Angleterre (Sunderland). Et puis, on a sélectionné trois ou quatre de ses coéquipiers des moins de 20 ans, qui ne jouaient pas dans les meilleurs clubs du pays. Cela nous a conduits à nous passer d’autres joueurs qui étaient souvent appelés. Mais on s’est aussi reposé sur des éléments d’expérience pour les encadrer, comme Bryan Ruiz ou Keylor Navas. Ils nous ont aidés à les emmener à bon port. On a rapidement senti une union au sein de ce groupe. On a pris des décisions courageuses, audacieuses.

Vous avez aussi réalisé des microcycles d’entraînement avec les joueurs du championnat local…Je suis très reconnaissant envers la Ligue, car ils ont accepté de mettre des joueurs à disposition pendant des périodes de sept à quinze jours. Avant les matchs éliminatoires, ils libéraient aussi les joueurs plus tôt, et avant le barrage contre la Nouvelle-Zélande, on a disposé d’un mois pour se préparer. Ces microcycles m’ont permis de mieux connaître mes joueurs, de mieux comprendre qui ils étaient.

Pour vous, qu’est-ce qu’un joueur de sélection ? S’il est bon sur le terrain, mais qu’il ne sait pas vivre en groupe, ce n’est pas un bon élément. Un joueur de sélection doit avoir du caractère pour répondre à la haute exigence du supporter, doit comprendre sa responsabilité, savoir conserver son humilité et être bien conscient que les objectifs collectifs sont plus importants que les objectifs personnels.

Vous travaillez avec un psychologue sportif, Felipe Camacho. Quel est son rôle ?Je travaillais déjà avec lui en club (Dorados Sinaloa, La Equidad, Atlético Junior). En fait, cela fait une dizaine d’années que je suis convaincu qu’il faut entraîner le cerveau autant que le corps, ce qui ne se fait pas assez en Amérique latine. Felipe enrichit notre travail, avec des exercices cognitifs, pour entraîner la capacité d’attention ou améliorer la prise de décisions. Et le groupe s’est montré réceptif, il aime ce travail.

Pour travailler la prise de décision, la capacité de concentration, on a fait un match onze contre onze, mais tous avec la même couleur de maillot.

Pourriez-vous donner un exemple concret d’exercice ?Pour travailler la prise de décision, la capacité de concentration, on a fait un match onze contre onze, mais tous avec la même couleur de maillot. Ça complexifie la situation, cela oblige à un effort cognitif supplémentaire. Dans des exercices en espaces réduits, on peut aussi interdire aux joueurs de parler. Finalement, ça permet de réaliser à quel point la communication est importante. Il s’agit toujours d’entraîner le cerveau pour que le joueur soit plus tranquille au moment de résoudre des problèmes en compétition.

Une idée reçue veut que le mental soit plus important que la tactique en sélection. Qu’en dites-vous ? C’est tout aussi important. On ne peut négliger l’un ou l’autre.

Et quel est le football que vous aimez mettre en place ? J’aime les équipes qui évoluent en bloc, qui savent attaquer et défendre ensemble. J’aime aussi que mes équipes traitent bien le ballon. Mais comme entraîneur, je suis surtout convaincu que l’on doit préparer les joueurs à divers scénarios, et c’est ensuite à eux de prendre la meilleure décision.

Récemment, il y a toujours eu plusieurs sélectionneurs colombiens à chaque Mondial, comme en 2018, où Juan Carlos Osorio dirigeait le Mexique et Hernán Darío Gómez le Panama. Existe-t-il une école colombienne ? Non, il n’y a pas d’école, il y a juste de bons entraîneurs. Depuis 1998, il y a d’ailleurs toujours au moins un sélectionneur colombien. Au Brésil (2014), on était trois : Jorge Luis Pinto, qui était à ma place, au Costa Rica, Reinaldo Rueda (Équateur) et moi (Honduras).

En tout cas, en Colombie, il y a un avant et un après Maturana. C’est une personne singulière.

Y a-t-il au moins une filiation commune ? Êtes-vous les héritiers de Francisco Maturana, la grande figure des bancs colombiens ?En tout cas, en Colombie, il y a un avant et un après Maturana. C’est une personne singulière. Personnellement, j’ai été son joueur, son assistant et j’ai beaucoup appris de lui. Après, j’ai eu d’autres influences, car comme entraîneur, on n’arrête jamais d’apprendre. Aujourd’hui, j’apprends ainsi beaucoup de mon entraîneur adjoint.

Didier Deschamps dit qu’il préfère être sélectionneur qu’entraîner en club. Est-ce aussi votre cas ? Oui. Être sélectionneur est un jeu passionnant. Tu n’entraînes pas au quotidien, mais savoir choisir les joueurs, les observer prend beaucoup de temps. Et puis, ta responsabilité est immense puisque tout un pays attend beaucoup de toi. Prendre ou pas un joueur peut alimenter un débat national… Il faut avoir un haut sens des responsabilités.

J’ai aussi donné à chaque joueur une clé USB pour qu’ils puissent regarder à nouveau nos décryptages du jeu du Japon, de l’Allemagne et de l’Espagne. Et j’espère qu’ils le font…

Dans votre groupe, l’Espagne et l’Allemagne sont les grands favoris. Quel message transmettez-vous à vos joueurs ? Ils sont les logiques favoris, mais une bonne préparation peut aider à jouer les trouble-fêtes. Lors de notre dernier rassemblement, avant d’affronter la Corée du Sud, j’ai ainsi organisé un atelier sur nos adversaires du Mondial. J’ai aussi donné à chaque joueur une clé USB pour qu’ils puissent regarder à nouveau nos décryptages du jeu du Japon, de l’Allemagne et de l’Espagne. Et j’espère qu’ils le font… Mais l’avantage que j’ai avec cette sélection, c’est que beaucoup de joueurs ont déjà vécu cette situation et ont déjoué les pronostics (en 2014, le Costa Rica avait atteint les quarts de finale, NDLR). Du groupe de 2014, sept ou huit joueurs sont encore là. D’ailleurs, ce groupe a déjà montré sa force mentale pendant les éliminatoires, où on était bien mal embarqués à mi-parcours (six points pris en sept matchs, NDLR). Pour les barrages, par exemple, j’ai senti un groupe qui ne s’est pas fait happer par l’optimisme ambiant. Au Costa Rica, on avait l’impression qu’il suffisait qu’on se présente sur le terrain pour gagner contre la Nouvelle-Zélande. Mais on savait qu’on devait réaliser un très bon match. Et d’ailleurs, ça n’a pas été facile (1-0).

Quelles grandes leçons avez-vous tirées de vos Coupes du monde précédentes ? Qu’il faut sans cesse se renouveler. Je me rappelle que lors de ma deuxième Coupe du monde (2014), j’avais l’impression de répéter une histoire. Avec l’Équateur, on avait battu le Brésil en éliminatoires, une première, et avec le Honduras, on l’avait emporté pour la première fois à l’Azteca, face au Mexique (1-2). Mais il faut savoir oublier pourquoi tu as gagné, car dans le football, tout est éphémère. Avec le Honduras, le dénouement de notre histoire n’a ainsi pas été aussi brillant qu’avec l’Équateur (huitièmes de finale en 2006, élimination au premier tour en 2014, NDLR). J’ai alors aussi réalisé qu’il ne fallait mettre aucun détail de côté. Une expression d’un joueur au petit déjeuner, la manière de se saluer, tout doit être analysé.

Votre capitaine et gardien, Keylor Navas, ne joue pas au PSG. Que vous inspire sa situation ? Je ne vais pas cacher que j’aimerais qu’il joue. Mais je le connais, je sais que c’est un guerrier, qu’il ne va jamais abdiquer. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il se retrouve dans cette situation. Ça lui est déjà arrivé, notamment au Real Madrid. Mais avec tout ce qu’il a montré, il ne devrait pas vivre cela.

Keylor arrive à toujours rester concentré sur son quotidien. Mentalement, il est fort et est toujours aussi enthousiaste.

Comment expliquez-vous qu’il soit si difficile pour lui d’être un titulaire indiscutable ? Je pense que quand on vient de cette partie du monde, on peut être un peu méprisé. Je ne parle pas de racisme, ni rien de ce genre. Mais face à ce manque de considération, l’important est d’en faire un facteur de motivation. Et Keylor arrive à toujours rester concentré sur son quotidien. Mentalement, il est fort et est toujours aussi enthousiaste. J’ai pu m’en rendre compte dès notre première conversation avant la Gold Cup. J’ai compris qu’on partageait la même obsession de vivre une nouvelle Coupe du monde. Et nous y sommes.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Thomas Goubin

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