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Lucie Schoch : « Il faut un minimum de 30% de femmes pour faire bouger les lignes »

Propos recueillis par Tara Britton
5 minutes
Lucie Schoch : « Il faut un minimum de 30% de femmes pour faire bouger les lignes »

Depuis la Suisse, Lucie Schoch a suivi attentivement la libération de la parole des femmes journalistes de sport initiée par le documentaire Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste de Marie Portolano et Guillaume Priou. Experte des questions liées à la place des femmes dans ce milieu, la sociologue décrypte le sexisme dont sont victimes les femmes dans la profession.

Alors que le débat s’est cristallisé autour d’une personne, Pierre Ménès, certaines journalistes ont appelé à recentrer la discussion autour du système dans son ensemble. Ce système, pouvez-vous nous le décrire ? Lorsque j’ai travaillé sur le cas de la presse sportive en Suisse, je me suis rendu compte que l’un des rouages était le mode de recrutement des femmes journalistes de sport. Embauchées dans beaucoup de situations pour leur genre, ces professionnelles se sont retrouvées confrontées à un milieu hostile, car les journalistes hommes déjà présents auraient bien positionné leurs pigistes, des hommes évidemment, travaillant pour le média depuis plusieurs années. En piquant en quelque sorte cette place, elles se sont retrouvées isolées. L’une d’elles m’a par exemple raconté que pendant six mois aucun de ses collègues ne lui avait adressé la parole. Au-delà de cet environnement hostile, lié au mode de recrutement, il y a énormément de relations de pouvoir. Va-t-elle prendre une part du gâteau intéressant ou va-t-on lui laisser les à-côtés ? Encore une fois, pour ne pas être en conflit avec leurs collègues, certaines journalistes me racontaient qu’elles choisissaient de plutôt s’occuper de la partie magazine. Elles étaient conscientes que cette tâche leur apportait moins de visibilité, mais au moins elles n’étaient pas en conflit, sinon c’était intenable.

On attend des femmes qu’elles apportent une touche différente. Forcément, ces journalistes sont moins valorisées car elles traitent de sujets secondaires, loin de l’approche sportivo-centrée réservée aux hommes.

Dans votre article Femmes dans le journalisme sportif en Suisse – Comment s’ajuster aux passions masculines ?, vous expliquez aussi que femmes et hommes sont considérés comme prédisposés à traiter l’information de manière différente.
Oui, j’ai observé que lorsqu’une femme journaliste de sport était recrutée, il y avait certaines attentes liée à son genre. On lui dit : « Tu es là pour apporter un regard nouveau », sous-entendu comme féminin. C’est l’instrumentalisation de compétences supposées être féminines. Ces femmes se retrouvent donc enfermées, car dans l’obligation de répondre à ces attentes. Et ça se perçoit dans l’attribution des sujets avec des angles plus « humains » qui leur sont attribués. Or, il y a une contradiction entre les attentes de la rédaction en chef et les normes professionnelles en vigueur ou les attentes du public. On traite le sport selon tels critères, mais on attend des femmes qu’elles apportent une touche différente. Forcément, ces journalistes sont moins valorisées, car elles traitent des sujets secondaires, loin de l’approche sportivo-centrée, réservée aux hommes.

C’est pour cette raison qu’on voit par exemple très peu de femmes commenter un match ?Tout à fait. Les femmes n’occupent pas les tâches dites les plus nobles de la profession, ou du moins pendant un certain temps, car elles peuvent quand même évoluer heureusement.

L’exemple de Clémentine Sarlat l’a prouvé : beaucoup de femmes arrêtent d’exercer au moment où elles fondent une famille, ou dans les années qui suivent.

Vous dites aussi dans votre article que ces mécanismes freinent leur progression dans la hiérarchie professionnelle. En Suisse, c’est assez net. Objectivement, en matière de trajectoires de carrière, de compétences, d’ancienneté, ces journalistes devraient atteindre des postes à responsabilités, mais elles n’y sont pas. La question des temps professionnels joue également un grand rôle là-dedans. L’exemple de Clémentine Sarlat l’a prouvé : beaucoup de femmes arrêtent d’exercer au moment où elles fondent une famille, ou dans les années qui suivent. C’est une profession avec beaucoup de contraintes, comme le travail en soirée et pendant le week-end, et elles savent que gérer temps professionnels et temps familiaux peut s’avérer compliqué.

Pour accroître le nombre de femmes dans les rédactions sportives, que pensez-vous des quotas ?Je sais qu’il y a beaucoup de réticences, mais moi je dis toujours que c’est un outil qui est incontestablement un accélérateur de changements. Les quotas permettent de donner un bon coup de pied dans la fourmilière. Les sociologues disent par exemple qu’il faut un minimum de 30% de femmes dans n’importe quel milieu pour faire bouger les lignes. On ne peut donc pas révolutionner les normes professionnelles et les critères de sélection de l’information toute seule.

On ne naît pas en aimant naturellement le sport. Garçons et filles sont éduqués de manière différente à ce sujet.

Le faible nombre de femmes journalistes de sport est aussi lié au faible nombre d’étudiantes en journalisme choisissant cette spécialité. Quelles sont les spécificités du journalisme de sport qui bloquent l’entrée des femmes dans le milieu ?En dehors des temps professionnels et des processus de recrutement que l’on a déjà évoqués, le goût pour le sport est lié à la socialisation des individus. On ne naît pas en aimant naturellement le sport, et garçons et filles sont éduqués de manière différente à ce sujet. Bien sûr que les filles pratiquent du sport, mais regarder des matchs, en discuter, aller au stade, toutes ces activités font plus partie des sociabilités masculines. Et je pense qu’il y a ici un prolongement à faire avec la spécialité du journalisme sportif. De fait, tout se joue dans la cour de récré à l’école avec des garçons qui, par exemple, s’essayent plus aux jeux de ballon.

Pour terminer, êtes-vous positive pour les années à venir ? Oui, les choses évoluent positivement, puisque le goût pour le sport est de plus en plus présent du côté des femmes. Et qui dit plus de femmes, dit que ça en attire d’autres. Le fait de libérer la parole et de rendre visible ces journalistes participe également à féminiser indirectement la pratique. Si les générations futures sont elles aussi confrontées à ce problème, elles en parleront plus vite. Et bien sûr, il y a aussi le fait de provoquer une prise de conscience chez les hommes journalistes de sport.

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Propos recueillis par Tara Britton

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