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Les buts sont-ils vraiment des cadeaux ?

Par Markus Kaufmann / Propos recueillis par Markus Kaufmann
7 minutes
Les buts sont-ils vraiment des cadeaux ?

Lancé en un contre un face au gardien, le numéro 9 a le visage fermé et les poings serrés. Il ne s'en rend même pas compte, lui qui se sent ailleurs, devant les portes du paradis. Un plat du pied bien aligné plus tard, c'est l'explosion de joie : sourire angélique, course endiablée et célébration plus ou moins dégénérée. Dans un jeu pouvant pourtant offrir fluidité, mouvement, surprise, harmonie et gestes artistiques, le but reste le seul à décider du résultat final. Violent et inouï, instantané et éternel, joyeux et cruel. Un cadeau pour le football, vraiment ?

« Offrir » un but à son public. Lorsqu’un footballeur marque un but, le champ lexical utilisé fait souvent référence à celui d’un joli cadeau finement emballé. Comme un enfant qui arrive dans le salon plein d’enthousiasme à l’idée de découvrir ce qui se cache sous le sapin, un supporter va au stade en espérant célébrer ses surprises. Les deux repartent joyeux quand ils sont nombreux, amers lorsqu’ils sont trop peu. Mais qui a décidé de célébrer ce moment où le ballon dépasse cette ligne ? Pourquoi ne pas compter aussi, par exemple, le nombre de passes vers l’avant réussies consécutivement ? Ou alors donner une note artistique aux petits ponts et gestes exotiques, histoire d’avoir une meilleure représentation générale du jeu ? Et pourquoi les résumés de match ne s’attardent que sur les buts, alors que d’autres séquences sont bien plus intéressantes et résument mieux ? La dictature du but fait mal au football. Il n’est cadeau ni pour le jeu ni pour le buteur.

La dictature du but sur le jeu

D’après le tableau d’affichage, une action fantastique qui mène à un but vaudra toujours plus que cent belles actions non concrétisées. Pire, une action médiocre menant à un but vaudra plus que cent actions fantastiques non concrétisées. Et ainsi, par manque de réalisme, de chance ou de but, le beau jeu n’implique pas forcément des résultats. C’est ce que Marcelo Bielsa a tenté d’expliquer en conférence de presse la semaine dernière : « C’est facile d’aimer le beau jeu quand les résultats suivent. Si, une fois la défaite entérinée, on vient reprocher l’efficacité… » Car si Carlos Bilardo a la science pour affirmer que « tous ceux qui gagnent jouent bien » , si César Luis Menotti a le cœur pour déclarer qu’ « il est possible de bien jouer et de gagner » , Marcelo Bielsa aurait la raison pour ajouter qu’il est surtout possible de « très bien jouer et de ne pas gagner » .

Car le but est hors jeu : il n’a pas besoin d’idée collective pour se créer, au contraire du jeu. Au commencement, les inventeurs du football ont eu l’idée malsaine – et géniale – de conditionner un jeu collectif à un événement foncièrement individuel. Peu importent la charge de travail, les efforts et l’envie débordante de contrôle du jeu, la notion de mérite a toujours eu tendance à se coincer les pattes dans les filets et à finir assommée par tous ces « buts marqués contre le cours du jeu » . Arrigo Sacchi répète que l’Italie s’est longtemps trompée en considérant le football comme un sport individuel. Mais si le football était vraiment collectif, le but serait secondaire par rapport au mouvement et à la fluidité du jeu.

La dictature du but en 2014

Le but a aussi réussi l’acrobatie difficile qu’est la soumission des opinions. En 2012, Leo Messi remporte le Ballon d’or pour avoir marqué 91 buts. Collectivement, son Barça est pourtant en perte de vitesse et ne remporte qu’une Coupe du Roi. L’année suivante, Cristiano Ronaldo s’empresse de marquer 69 pions pour soulever à son tour la récompense, sans un seul trophée majeur lui non plus. Et une nouvelle logique mathématique – voire économique – est née : le but est plus fort que l’héroïsme dans les grands matchs, ou le leadership dans les grands titres. Plus fort que Drogba en 2012, et Ribéry en 2013. Évidemment, les joueurs éloignés du cadre sont exclus. La maîtrise de Xavi. La virtuosité de Modrić. Le leadership de Mascherano. La vivacité de Di María. La polyvalence de Yaya Touré. Mais le but est-il vraiment la principale source de joie, de gloire et de spectacle dans le football des années 2010 ? Dans un monde où la visibilité est un atout considérable pour tout footballeur, et où les classements statistiques importent autant, le but a le mérite de marquer les esprits. Jusqu’à ses 31 ans, Antonio Di Natale était un bon ailier de Serie A. Devenu avant-centre, il côtoie aujourd’hui les plus grandes légendes de l’histoire du championnat italien, avec plus de 200 buts marqués.

Fernando Torres a aussi connu cette gloire du but. Ses buts renversants tordaient la Premier League. Puis, après deux opérations au genou en janvier et avril 2010, le 9 égare son explosivité et perd de la vitesse. Ce précieux centimètre d’avance devient dix centimètres de retard. Et même les buts les plus faciles deviennent des montagnes d’efforts. Le 9 est toujours aussi actif dans le jeu, mais tel un golfeur incapable de rentrer ses petits putts, Torres ne marque plus. Cette saison, le champion du monde est le remplaçant de Jérémy Ménez dans une équipe entraînée par un homme qui s’y connaît en 9… Une tragédie. Si le but a battu le jeu et les opinions, il a aussi maudit les buteurs. Car si Torres avait été milieu, il se serait adapté et aurait fait évoluer son jeu. Aujourd’hui, l’obsession du but le prive de ses autres qualités. De manière plus générale, le but ou plutôt l’absence de but rend aveugle : grand sauveur lors de la Coupe des confédérations 2013, Fred aura été au Mondial le finisseur d’une équipe sans jeu ni milieu et aura monopolisé la critique, à tort. De 2010 à 2011, entre blessures et changements d’entraîneur, Diego Milito sera passé du statut de « Ballon d’or de Sir Alex Ferguson » (30 buts) à celui de « Bidon d’or » d’Italie (8 buts). La finition est une tâche cruelle. En 2011-12, il aura planté 26 pions.

Les buteurs, des martyrs ?

Peut-être que le public ne se rend pas compte de ce qu’il faut encaisser pour marquer : tout but est exploit et requiert un travail invisible. Antićiper la trajectoire d’un centre et passer devant une armoire à glace tout en pensant à tromper un gardien entraîné comme un ninja, c’est une mission. Pour ces petits centimètres d’avance, combien de sacrifices, de coups de tête, de coups bas ? Il faut être prêt à tout. Au prix de ses buts, de ces duels, ces sauts, ces chocs et cette adversité, Gabriel Batistuta a récemment admis qu’il ne tenait plus sur ses genoux. Et cette photo de Pippo Inzaghi mettant un coup de coude à Andreï Shevchenko pour mieux placer sa tête en est un merveilleux symbole. Dans la surface adverse, le buteur fait face à une violence permanente. Il est hanté, obsédé. « Même quand je marquais, je ne pouvais pas m’arrêter de penser à l’occasion que je venais de manquer cinq minutes plus tôt » , disait Thierry Henry.

Certains parviennent à dépasser cette vision du but. Dans les colonnes de L’Équipe, Thierry Henry est récemment revenu sur l’année du triplé barcelonais en 2009 : « La perfection individuelle, ce serait de toujours rester placé dans le sens du jeu. Dans ce mouvement. Il faut toujours que le ballon vive. Ce sont les passes qui me plaisent le plus. Je les célèbre d’ailleurs souvent plus que mes buts. » Il faut que le ballon vive. Et au fond des filets, il meurt. C’est dans cette perspective que la saison 2011-12 de l’Athletic Bilbao de Bielsa est une prouesse du mouvement, et du football. Sans les buts, sans les titres et sans les résultats (une 10e place en Liga), Bilbao aura proposé l’un des jeux les plus élaborés d’Europe. Un football exquis, toujours courageux et maître de ses idées, dépassant l’importance du but et donc de la défaite. Parce que tous les 0-0 ne sont pas des purges, et parce que les 5-4 ne sont pas forcément une répétition d’orgasmes.

À force d’emprisonner l’intrigue de façon angoissante, le but a longtemps réussi à rendre le jeu négligeable. Au micro de beIN Sport, Omar da Fonseca racontait récemment : « La première fois que j’ai vu jouer Javier Pastore, c’était à Córdoba lors d’un match entre les jeunes de Talleres et ceux de Boca Juniors. Je me suis demandé si le gamin connaissait les règles du jeu : il a fait douze petits ponts, zéro but, zéro assist. » Peut-être que Pastore n’avait rien compris. Ou peut-être qu’il avait, déjà, tout pigé. Comme la vie, ce football que le but dicte est parfois aléatoire, et souvent diaboliquement juste. Cela suffit pour le rendre injuste, ce qui participe à en faire le jeu le plus passionnant au monde.

Mitchel Bakker, back dans les bacs

Par Markus Kaufmann / Propos recueillis par Markus Kaufmann

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