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Le titre du Danemark 92 est-il le plus gros braquage de l’histoire du foot ?

Par Chérif Ghemmour et Alexandre Pedro
Le titre du Danemark 92 est-il le plus gros braquage de l’histoire du foot ?

Peter Schmeichel, Brian Laudrup, John Jensen, Lars Olsen, Henrik Larsen, entre autres : tous font partie de la formidable équipe du Danemark, entraînée par Richard Moller-Nielsen (disparu en 2014), qui avait gagné l'Euro 1992 en Suède. Un tournoi pour lequel les Danois n'étaient même pas qualifiés.

« Nej. » Le 2 juin 1992, le Danemark – 5 millions d’âmes en comptant large – met dans le vent le traité de Maastricht, la monnaie commune et cette Europe cornaquée par le binôme franco-allemand. De Séguin à Chevènement en passant par De Villiers, les « nonistes » écument chez nous les plateaux télé sur un air de « Nous sommes tous des Danois ». Au royaume du Danemark, les vainqueurs dansent et se rincent le gosier sur leur tube de campagne, Le fantôme de l’Europe, du sous-Neil Young vantant les mérites de l’entre-soi. Loin des débats qui viennent d’agiter son pays, John Sivebaek manque à ses devoirs de citoyen : « J’ai oublié ma carte d’électeur à Monaco dans la précipitation du départ pour la Suède. Du coup, je n’ai même pas pu voter », confesse aujourd’hui le latéral reconverti en agent de joueurs.

Il faut dire que deux jours plus tôt, Sivebaek et ses potes ont pris en marche, et sans ticket poinçonné en qualifications, le train d’une autre Europe : celle de l’Euro 1992. Sarajevo sous les bombes, Vukovar et Dubrovnik déjà martyrs, la Yougoslavie de Tito vole en éclats. Le 30 mai, l’ONU décide de mettre sous embargo le régime de Milošević. Dès le lendemain, la FIFA, légaliste, exclut du championnat d’Europe ce qui reste de la Yougoslavie, où un sélectionneur bosniaque (Ivica Osim), un génie monténégrin (Dejan Savićević) et un noyau dur serbe tentent de maintenir un semblant d’unité.

Shorts de bain, plongeons et bières fraîches

Comme le règlement de l’UEFA le stipule, le 2e du groupe de qualification se voit appelé à la rescousse. Et voilà comment vingt touristes danois débarquent en Suède tongs aux pieds, épouses au bras et bières fraîches dans les poches. Une légende qui fait tiquer Henrik Andersen, héros malheureux de ce mois de juin 1992 (il laissera un genou dans l’aventure) : « Si on compare aux autres équipes, d’accord, l’ambiance était assez décontractée, on buvait parfois une bière après l’entraînement. Mais on ne faisait pas non plus la fête tous les soirs. » Et la fameuse cuite prise dans une boîte de Göteborg après s’être payé l’épouvantail néerlandais en demi-finales ? Mythe encore, si l’on se fie à Kent Nielsen : « On a passé un bon moment à l’hôtel, en se relaxant et en buvant juste quelques bières. On a fait ça à la danoise : on s’est dit que le foot n’était pas la chose la plus importante dans la vie ! Bien sûr que ça l’est… mais en match ! On a pris le temps de décompresser. Et puis, dans ces moments-là, c’est tellement fantastique que tu n’as pas envie d’aller te coucher à 11 heures. C’est tout, rien de plus. » Bien que rattrapés par le lacet du short de bain – certains grillaient déjà sous le soleil de la Costa Brava –, les Danois se préparaient en fait depuis un certain temps à l’éventualité d’un séjour tous frais payés chez le voisin suédois. Kim Vilfort : « Une semaine avant, on avait joué un match contre la CEI (Communauté des États indépendants, nom éphémère de l’URSS post-chute du mur, NDLR), et on avait fait 1-1. Les internationaux qui jouaient à l’étranger sont alors partis en vacances. Mais pendant les trois jours qui nous ont réunis pour ce match, nous avons appris qu’il était possible d’être repêchés. On savait cela. » Peu importe finalement la quantité de houblon consommée ou la part d’improvisation dans cette aventure. Telle que racontée par Vilfort, la morale à tirer de la courte épopée de la bande à Schmeichel est toute simple : « On n’a pas eu à se prendre la tête six mois avant l’Euro en se mettant la pression pour cette compétition, ni à se torturer l’esprit en se disant : « Mince ! Est-ce que je serai sélectionné ou non pour cet Euro ? » »

Laudrup et les langues de pute

Quand l’ONU lâche la résolution 757, les 20 sélectionnés se réunissent en urgence et entament une préparation de dix jours, menée par le très critiqué Richard Moller-Nielsen, qui avait initialement prévu de passer l’été à poser une nouvelle cuisine dans sa maison. Les premiers jours laissent plutôt à penser que les derniers arrivés risquent d’être les premiers à dégager. « C’était un peu le bordel. Lors des premiers entraînements, l’équipe n’était pas en forme, note Sivebaek. Il y avait pas mal de différence entre ceux qui venaient de finir la saison et ceux qui revenaient de vacances. » Le mérite du sélectionneur danois sera de comprendre que dans une compétition aussi courte, il faut tout miser sur la fraîcheur. Quitte à enfiler la casquette de GO, si l’on suit Kent Nielsen : « Le coach alternait des entraînements classiques avec des activités carrément ludiques comme jouer au minigolf pour se relaxer. Ou bien il organisait des petites compètes de natation entre nous. Ou alors, il nous laissait faire des plongeons rien que pour déconner et décompresser. » Passé par les Espoirs, Moller-Nielsen avait succédé à l’Allemand Sepp Piontek, artificier en chef des « Danish Dynamite » de 1986 (« la meilleure équipe danoise de tous les temps », plaide Henrik Andersen), réduite à l’état de gravillons (1-5) par l’Espagne en 8es du Mundial mexicain. Plus prosaïque que son prédécesseur, Moller-Nielsen se traîne une réputation de technicien frileux et un surnom adapté avant l’heure : Ricardo. Lors des éliminatoires, il se met à dos la fratrie Laudrup, qui lui reproche ses choix tactiques. Pas convaincu, Kim Vilfort plaide la désertion : « Michael Laudrup est parti pendant les qualifs quand il a vu qu’on ne se qualifierait pas. Il voulait avoir la même importance en sélection qu’en club. » Moins borné, Brian – surnommé au pays « Lillesoster » (petite sœur) par les langues de pute et les borgnes – reviendra à temps sur sa décision. Heureux homme.

Hare Krishna, pénis à l’air et leucémie

Reversés dans le groupe A, les intrus danois sont invités à la table de la Suède, de l’Angleterre et de la France, favorite du tournoi après son grand chelem en éliminatoires. Dans un premier temps, John Sivebaek et ses partenaires la jouent profil bas : « On avait juste envie de montrer qu’on n’était pas une bande de vacanciers. » Composé d’un noyau dur issu ou passé par Brøndby – le genre d’équipe à éviter au tirage dans une Europe pré-Bosman – et de bons professionnels partis s’aguerrir en Allemagne (Polvsen, Andersen, Brian Laudrup) ou en Angleterre (Nielsen, Elstrup, Schmeichel), le Danemark offre un ensemble cohérent et uni. Sans surprise, les appelés de la dernière heure transpirent à grosses gouttes pour leur premier match. Mais contre une Angleterre beaucoup moins remuante que ses hooligans, le Danemark arrache tout de même un 0-0 encourageant, au terme d’un match « vraiment pas terrible », évacue Henrik Andersen. Battus ensuite 1-0 par la Suède, les Danois se retrouvent dos au mur contre une équipe de France pourrie par les conflits « entre les Marseillais et le reste du monde », dixit Christian Pérez. Malgré la seule éclaircie française du tournoi – talonnade de Cantona pour Papin, qui égalise après l’ouverture du score d’Henrik Larsen –, les boys de Platini sont crucifiés par Lars Elstrup à la 78e, à la suite d’un alignement à la louche de la défense. Un an plus tard, l’attaquant de Luton partira rejoindre Solens Hjerte, filiale danoise d’Hare Krishna. Devenu « Darando » , l’homme providentiel de 1992 a été vu pour la dernière fois dans les rues de Copenhague, pénis à l’air et corde autour du cou. Une injonction à l’amour libre, paraît-il.

Malgré la présence des femmes après les matchs, l’ambiance est moins relâchée en juin 1992. Il faut dire que se profilent les Pays-Bas en demi-finales, une machine bien huilée où Dennis Bergkamp est venu sublimer l’équipe de 1988. Sous une décontraction apparente, les outsiders n’en mènent pas large, à l’image de Sivebaek : « Je ne nous voyais pas gagner. C’était le tenant du titre et la meilleure équipe du tournoi. Dans ma tête, c’était mission impossible. » Pétris de certitudes et d’orgueil, les Néerlandais prennent les Danois à la néerlandaise : de haut et tout en morve. Galvanisés par un Brian Laudrup meneur ailé à qui Moller-Nielsen accorde la liberté de mouvement refusée à son frère, les Danois regardent les Bataves dans les yeux. Ils mènent même à deux reprises grâce à leur tube de l’été, Henrik Larsen, avant de s’imposer aux tirs au but. « Je crois que la différence entre eux et nous, c’est que les Hollandais jouaient pour aller en finale, alors que nous, on courait et on se battait pour jouer la finale », donne à penser Kent Nielsen, pourtant blessé ce jour-là. Genou en vrac à la suite d’un choc avec Marco van Basten, Henrik Andersen finit, lui, le match « sous morphine » aux urgences de Göteborg : « Pour moi, ça a été le début de la fin, malheureusement. Après ma saison à Cologne, je pouvais partir où je voulais. Cette blessure a tué ma carrière. Mais je n’en veux pas à Van Basten. Il ne l’a pas fait exprès, contrairement à ce qu’on a dit. » Loin de la nuit d’ivresse fantasmée pour saluer la finale, l’ambiance post-exploit se partage entre peine et euphorie. À la blessure d’Andersen s’ajoutent en effet les allers-retours de Kim Vilfort au chevet de sa fille de 7 ans qui, atteinte d’une leucémie, vivait ses derniers instants. « C’est quelque chose que tu ne peux pas décrire. J’ai essayé de vivre normalement… Les coéquipiers m’ont bien soutenu », dit-il pudiquement aujourd’hui.

Coup de latte, contrôle du menton et vilain petit canard

Malgré les blessures, la fatigue – avant la finale, l’entraînement se réduit à barboter dans la piscine de l’hôtel – et les coups de latte du destin, le Danemark revient de trop loin pour trébucher en finale. Grande Allemagne ou pas en face. « Les Allemands ont été très forts dans les vingt premières minutes. Schmeichel nous a fait quelques arrêts déterminants. Mais l’Allemagne a joué le jeu qu’on souhaitait qu’elle joue, on n’a donc pas été surpris », résume Kim Nielsen. À la 18e minute, John Jensen troue la lucarne de Bodo Illgner pour sa seule frappe cadrée du tournoi. Comme dans un conte de Hans Christian Andersen, il est écrit que le vilain petit canard se transformera en cygne majestueux à la fin. Au plus fort de la domination allemande en deuxième mi-temps, Kim Vilfort ponctue ainsi le dernier chapitre d’une frappe du gauche précédée, semble-t-il, d’un contrôle de l’avant-bras suspect. En fait, le bon Kim touche le ballon du… menton : « Si j’avais fait main, je m’en souviendrais sans hésitation. » Derniers arrivés et derniers partis, les « plagistes » du début du mois viennent d’aligner les trois derniers vainqueurs de l’Euro et de réconcilier les partisans du oui et du non à Maastricht : à Copenhague, les habitants noircissent les rues pour fêter le retour des héros improbables. S’il avait su, Michael Laudrup aurait peut-être annulé ses vacances. Il a juste raté un flirt d’été avec l’éternité.

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Malick Fofana, titulaire diabolique

Par Chérif Ghemmour et Alexandre Pedro

Article publié dans So Foot n°66 en juin 2009

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